Ah ! La voilà. Il était grand temps. Les moineaux et les pinsons pépiaient peu, les archets des criquets ne stridulaient plus guère, les saules ne pleuraient plus que des larmes sèches et l’or du blé pâlissait à vue d’œil. Ce printemps estival avait tout asséché. On frôlait la surchauffe, la dessiccation, la soif ! La soif, quelle horreur !
Heureusement, la voilà. Depuis ce matin elle tombe abondamment. Et la voilà aussi accompagnant la pluie, sous son ciré jaune, pleine de grâce, imperméable au temps qui passe. Elle a la pêche et elle y va. La ligne et le crin, hameçon, flotteur et asticots, panier et épuisette, la voici prête. Elle a dégoté une belle retenue qui est loin d’être une punition, l’endroit rêvé pour pêcher sans faute au moins un petit saumon. Elle s’assied au dessus de la vase de la berge sous sa capote cirée car il pleut à verse.
— Ca mord ?
— Je ne mords pas et le poisson non plus !
— Permettez que…
— Je vous en prie…
— Vous appâtez ?
— Oui, avec de drôles d’asticots.
— Regardez ! Vous avez une touche là, ça frétille !
— Oh oui, vite un coup de moulinet, c’est un petit saumon, ça tombe bien, il m’en fallait 250gr. Prenez l’épuisette…
— Ca y est, je le tiens…
— Moi aussi ! A nous les délices, je vous invite…
— Et si on prenait un bain de midi avant la popote ?
— Je n’ai pas de maillot !
— Je fermerai les yeux…
— Alors d’accord, moi aussi.
Le saumon ne frétille plus mais frémit doucement dans la poêle sur un filet d’huile d’olive, une pointe d’ail, sel et poivre. 4 minutes d’un côté, 4 de l’autre, il sera ensuite écrasé à la fourchette en prenant garde aux arêtes. Dans un poêlon 400ml d’eau salée en ébullition et 100 gr. de polenta. On fouette pour obtenir une pâte lisse et homogène. Elle mélange alors le poisson à la polenta, ajoute persil et un brin d’aneth et de ses mains habiles façonne avec deux cuillères à soupe des quenelles ovoïdes. Elle les pose dans un plat bien beurré et les place au four chaud une vingtaine de minutes en les arrosant. Elle prépare pendant ce temps un beurre de crevettes (moitié- moitié mixé) puis se fait un petit roux avec une noix de beurre autant de farine et du bon lait, une rasade de cognac, une giclée de concentré de tomate et une pincée de safran… Et on passe à table.
— Remarquables vos semelles de Queneau…
— Vous voulez rire ?
— Excusez-moi, vos quenelles de saumon…
— Ah oui, j’allais dire…Pour la « pata », c’est la page d’à côté, et sous la dalle, c’est place Saint-Lambert, cornegidouille…