Balade à Boendael

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De ce passé agricole, il ne reste rien. La rivière Maelbeek a été enterrée, les étangs asséchés (sauf ledit « étang d’Ixelles »), les brasseries n’existent plus. Pour en trouver des reliques, il faut aller de l’autre côté de la commune, à Boendael, en empruntant la chaussée du même nom. La chaussée de Boendael, tout le monde la connaît à Bruxelles, mais perd sa trace au-delà du cimetière d’Ixelles, car on ne vient pas dans ce quartier résidentiel si on n’y habite pas. La place du Vieux-Tilleul forme l’ancien centre villageois. Le quartier resta le dernier refuge rural d’Ixelles jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Après quoi il s’urbanisa rapidement. Il faut fermer les yeux un instant pour imaginer l’ancien hameau, avec ses quelques masures serrées autour d’un petit oratoire, l’ancienne église paroissiale Saint-Adrien, remplacée en 1941 par l’austère et massive église de briques « Klampsteen » grises-rouges, bâties un peu plus haut. L’église n’est plus au milieu du village.

L’ancienne chapelle, désacralisée, est devenue un espace culturel, à l’instar de la vieille église de Berchem-Sainte-Agathe. Longtemps inutilisée, sous-exploitée, elle réserve toutefois quelques bonnes surprises, à l’occasion. Outre les expositions, le « Centre d’art » de la chapelle de Boendael s’était même profilé comme lieu d’innovation dans le domaine de la musique expérimentale – Luc Ferrari y donna un concert mémorable en 2004. A côté de la chapelle, l’Auberge de Boendael, où plus d’un on fêté leur anniversaire, où la communion de leur petit neveu, est une ancienne ferme. C’est le plus ancien bâtiment de la place. Une de ses dépendances a abrité, l’espace de quelques années, la Maison du Vieux-Tilleul, un atelier d’artistes faisant office de cabaret occasionnel. La chanteuse Barbara y passa, au début des années 50, ses récitals y étaient chahutés par les étudiants de l’Université toute proche. Comme les artistes n’avaient aucune licence pour débiter des boissons fortes, la police fit fermer les lieux. Depuis, la maison est devenue un club de tennis très smart.

Banlieue bousculée par Bruxelles

Si le square, dans sa partie sud, a conservé, vaille que vaille, son aspect d’antan, avec sa ferme de 1756, son vieux puits bourguignon, son point d’eau dissimulé sous les frondaisons du tilleul séculaire (le premier arbre classé en région bruxelloise) – Charles-Quint himlself vint paraît-il s’y abreuver au retour d’une chasse – le côté nord est entièrement loti : une barre d’immeuble si haute que votre serviteur a renoncé à en compter les niveaux, un grand magasin GB, qui s’ajoute au Delhaize de style hangar du coin de la chaussée de Boitsfort. Le marché vient de déménager (avril 2011) sur la place. Autrefois établi plus haut sur la chaussée, à mi-chemin du cimetière d’Ixelles, à hauteur de la cité sociale Volta, les marchands ambulants se plaignaient du manque d’affluence des riverains. A la fin de l’été, une brocante plutôt élégante y est organisée. C’est que la sociologie du quartier a bien évolué.

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Néanmoins, on trouve des « poches » de petits revenus, éparpillées dans ce coin de Bruxelles assez huppé. Des immeubles sociaux avenue du Bois de la Cambre, d’autres plus haut vers la chaussée de Boitsfort et le « Dries », là où dans les années 70 et 80, la « bande du bled », des petits délinquants, enquiquinaient leur monde. Au bout de la rue Louis Ernotte (un philanthrope du XIX qui s’occupa de nécessiteux), un autre immeuble social, le « Mélèze », que le Foyer ixellois a fait ériger en 1973. La maison sur l’autre coin, avec ses dépendances, était jadis à usage de ferme. Elle est aujourd’hui à l’abandon. Curieusement, plusieurs villas de cette rue limitrophe entre Boendael (Ixelles) et Watermael, sont à l’abandon, effondrées, expropriées il y a des lustres au profit de la SNCB et de la Commune d’Ixelles pour on ne sait trop quel projet spéculatif. Entre deux villas abandonnées, un cheval se sent bien seul dans son enclos improvisé. La rue Ernotte est une de ces
rues où les habitations sociales côtoient les villas cossues, modernes et habitées celles-là.

La rue Ernotte longe les derniers potagers d’Ixelles, ultimes souvenirs de l’activité maraîchère jadis fertile de Boendael, depuis que les prés de l’avenue d’Italie ont été lotis, au début des années 90. Quatre-vingt riverains de tous âges et de toutes conditions et nationalités, sans compter les chats sauvages et les corneilles, ont colonisés les parcelles, bâtis des cabanes de bric et de broc, plantés leurs légumes, leurs fleurs, leurs transats. Ils sont aujourd’hui menacés. D’ailleurs, le « plan Logement » de la Région bruxelloise a déjà détruit la moitié de cet espace potager, de l’autre côté de la chaussée de Boitsfort. Les riverains se battent pour préserver ce qui reste. [http://www.potagersxl-en-danger.org/] C’est que la constructite aiguë a gagné Boendael, pourtant déjà densément lotie. L’ancien bâtiment de l’Institut de l’Enfant-Jésus (1910) est en train d’être converti en logement pour une néo-bourgeoisie qui trouve très « fun » d’habiter des lieux qui n’étaient à l’origine pas destiné au logement. L’ancienne sablière du Schoolgat est désormais entièrement lotie. Les promoteurs ont donné aux nouvelles rues des noms aussi ridicules que « Clos Médicis ». Pourquoi pas « Drève du Paysan parvenu », en hommage à Marivaux ?

Au carrefour de l’ancien Dieweg

En 2008, un nouvel immeuble d’appartement a été construit sur le petit côté est, le long de la rue de la Treille, mettant fin à un vieux chancre de quarante ans. Commune et promoteur étaient chacun propriétaire de parcelles non contiguës, et n’ont jamais pu se mettre d’accord. Un dossier brillantissime, mené de mains de maître, qui, sur plusieurs législatures, valut quelques beaux échanges de noms d’oiseaux au Conseil communal. Au rez-de-chaussée entièrement vitré de cet immeuble résolument contemporain, les employés d’une agence immobilière s’affairent derrière leurs ordinateurs. C’est que, dans un grand élan fantasmatique de transparence, la société tertiaire aime à se donner en spectacle. C’en est presque gênant pour les passants. De l’autre côté de la place, un sans-abri squatte l’abri d’un minuscule parc public. Devant les deux grandes surfaces commerciales, des désoeuvrés tapent le chaland, profitant du confort relatif des bancs léopoldiens, avant de se décider pour une éventuelle tournée des grands ducs. Celle-ci se ramènera à vrai dire à peu de choses, le nombre de café du quartier s’étant rétréci comme peau de chagrin. Il n’y en a plus sur la place, ni sur l’ancien « Dieweg », l’actuelle avenue du Bois de la Cambre. Sauf au bout de cette avenue, où l’on est déjà à Watermael, le « Coq d’or » est devenu, sous les auspices de sa patronne, le foyer de la contestation des petits cafetiers encore un peu plus garrottés par l’interdiction de fumer qui menace leur affaire. [http://www.fedcaf.be/] Plus de cafés, mais quelques restaurants bien côtés, quoique la disparition guette là aussi : le Chalet rose a non seulement fermé, mais son terrain a été loti – on racontait volontiers dans le quartier que c’était l’endroit de prédilection des ministres pour y emmener leurs maîtresses, mais c’était sûrement il y a longtemps…

La disparition menace aussi le Club-house Solvay de l’avenue du Pérou, tout à l’autre bout du quartier, vers l’hippodrome. Une société britannique, bien connue pour ses clubs de fitness haut de gamme, a racheté le domaine où les employés de Solvay (et leurs descendants) pouvaient, depuis 1929, venir se détendre et profiter d’un grand parc qui compte quelques remarquables spécimen d’arbres. Mais le capitalisme social lui aussi à une fin. Le club-house, à l’architecture « 1958 » typique, était au programme des journées du patrimoine en 2008. Les plafonniers à eux seuls valent le détour. Il n’est malheureusement pas classé, ce qui est bien dommage, vu que les Anglais veulent le raser. Les riverains se mobilisent, là encore. [http://blog.sauver80perou.be/] A-t-on vraiment besoin d’un centre de fitness (avec spa et centre de conférence) de
plus ?

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