Même en tongs, le stress nous guette

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« Ah, un peu d’ombre, enfin ». Un quadra entre dans un restaurant, son épouse BCBG à ses trousses. Leurs deux enfants ne tardent pas à s’installer eux aussi à une table. L’endroit est désert. Personne ne vient accueillir les clients. Nous sommes en Grèce, en plein mois d’août, à l’heure la plus chaude. « On va rater l’bateau pour l’excursion, ‘pa », lance la gamine. « J’aurais préféré manger dehors au soleil », précise le fils. Intérieurement, le père de famille en sandales-chaussettes et sac-banane commence à bouillir. Déjà qu’il s’est chopé un méga coup de soleil dans le dos alors qu’il se promenait en marcel. Alors, une remarque de plus et il explose. « Allons, allons, on est ensemble, c’est le principal », dit d’une voix niaise la mère. « On va passer de bonnes vacances. » On va passer de bonnes vacances ? On doit passer de bonnes vacances ! Et le père, excédé, se lâche en sortant la tirade du père nourricier qui se crève 40h/semaine, 48 semaines sur 52, pour ramener du pognon à la maison et payer des vacances au soleil à sa famille. Que pour seul remerciement, il n’a que des jérémiades. Quels enfants ingrats!

Heureusement, ceci n’est qu’une fiction. Nous sommes au théâtre, la pièce « Les gens bien n’osent plus sortir le soir » de Jean-Claude Grumberg, mise en scène par Eric De Staercke, se déroule sous les yeux des spectateurs. Une fiction, certes, mais si proche de la réalité. Dans la salle, la sauce prend. Le public rit, il se reconnaît. Mais cet été, ce même canevas se reproduira pour lui aussi… Même à six heures d’avion de chez nous, le stress nous guette. Et puis, que va-t-on raconter aux collègues quand on va rentrer ? Il ne faut surtout pas qu’ils aient l’impression que l’on n’a pas passé du bon temps.

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Vacances vitrines de la réussite sociale

Dans une société où le travail à temps plein est devenu le standard économique minimal accepté, les congés payés sont un dû à rentabiliser. Quelques semaines par an, loin du costard-cravate, loin du métro-boulot-dodo. Le rêve… Non, c’est un autre job à temps partiel en réalité. Il faut profiter, surtout. Voir plein de choses extraordinaires. Rencontrer des gens du cru. Prendre l’adresse du vignoble du coin et le conseiller à des amis en rentrant au pays. Se faire une belle réserve d’images splendides pour tenir le coup encore un an avant les prochaines vacances. Les vacances doivent nous rapporter. Non pas de l’argent, mais de quoi faire envie aux autres. Cette prostitution du loisir n’a pas toujours existé. L’arrivée des réseaux sociaux n’est pas étrangère à cette surenchère. « Regarde comme mes vacances étaient géniales ! Regarde ma réussite ! » Voilà le message que font passer, parfois sans s’en rendre compte, les milliers d’internautes qui ajoutent chaque jour les plus beaux clichés de leur city-trip à Rome ou de leur voyage en Australie sur leur profil Facebook. Quel comble quand on y pense. S’il y a bien un moment de l’année où on peut relâcher la pression, c’est au moment des vacances. Et non, il faut encore se donner des objectifs et surtout les atteindre. Cette façon de penser nous enchaîne.

Pire, sur les forums internet, le mot vacances et le mot stress sont de plus en plus souvent associés. «Abgalline » fait partie de cette frange. Sur la toile, la jeune femme dévoile une triste vérité : elle ne sait pas être en vacances ! « Le 4 juillet, je vais être en vacances pour deux mois et je suis très angoissée à cette idée, dit-elle. Ce n’est pas parce que je vais les passer seule (j’ai l’habitude) ni parce que je ne pars pas. En effet, je dois faire des démarches pour acheter un appartement, donner des cours, faire du bénévolat chez une personne âgée, préparer un concours. Donc, je vais avoir des activités. Mais je ne supporte pas le changement du rythme de vie, ni de me retrouver dans le vide de l’absence de travail. » Si nos grands-parents l’entendaient, ils tomberaient à la renverse. Eux, pour avoir quelques jours de répit, des
congés payés, ils ont dû se battre, et voilà une femme qui s’en plaint ! C’est notre société qui a donné naissance à des Abgalline. Le credo est simple: « Travailler beaucoup, pour gagner beaucoup d’argent qu’il faut dépenser pour des choses tape-à-l’œil : fringues de marque, voyage aux Seychelles, bagnole de luxe,… » Paraître est le maître mot. Difficile dès lors de trouver le repos, même en vacances. Certains deviennent dépendants de leur boulot qui sert de repère pour tout dans leur vie. C’est la jauge qui permet de savoir sur quelle marche de l’échelle sociale se positionner. C’est la jauge qui permet d’avoir tels ou tels amis. C’est la jauge qui devient la mesure de la vie.

Sur le net encore, les conseils pour partir détendu en vacances foisonnent. Le « cadre débordé » doit classer ses dossiers en fonction de l’urgence pour ne pas trimer comme un âne à son retour de la plage. On lui propose même d’engager quelqu’un pour le remplacer. Pour gérer au mieux la transition « boulot-repos » qui effraye tant Abgalline, l’offre de stage de relaxation pré-vacances ne manque pas non plus. Si vraiment l’homme d’affaires ne sait pas décrocher, les sites concernés proposent d’aménager une plage horaire de maximum une heure pour appeler le bureau ou travailler sur l’un ou l’autre dossier. La mère de famille n’échappe pas non plus à ce nouveau marketing de préparation aux congés. Les agences de voyage y voient l’opportunité de lui présenter les multiples avantages des « mini clubs » où caser ses bambins toute la journée pendant qu’elle lit un livre au bord de la piscine. Pour chaque profil, il y a une solution miracle. Mer, montagne, gîte ou hôtel all in, les agences ont exactement ce qu’il vous FAUT ! Du moins, c’est ce qu’elles font croire pour que vos vacances ressemblent non pas à votre rêve mais au rêve commandé par la société.

Des vacances soupapes

Et puis, il y a ceux qui arrivent vraiment à donner tout son sens au mot vacances. Dérivé du latin « vacare » qui signifie « être sans ». Les vacances, sont ce moment sans travail, rien que pour soi où l’on fait ce que l’on n’a pas le temps pendant l’année. Où on prend le temps de vivre. Où on oublie les horaires qui nous stressent. Pour y arriver, il suffit d’une bonne dose de motivation. Mais voilà, rares sont ceux qui y arrivent vraiment. Dès lors, depuis quelques années, les formules « far away the world » ont la cote. Le principe est simple : on vous retire de force ce qui vous enchaîne le reste de l’année : votre montre, votre téléphone portable, votre ordinateur, votre connexion internet… Il y a ce petit chalet en Suisse où aucun réseau de téléphonie ne se capte. Il y a ce pèlerinage dans le désert où on réapprend à vivre à dimension humaine. La version philosophique, nus dans une grotte, présente le même programme. Se déconnecter vraiment, l’espace de quelques jours. Tous ceux qui ont essayé raffolent et s’inscrivent d’année en année pour poursuivre le cycle de décrochage des angoisses du monde. Evidemment, comme pour tout, cela a un prix. Et on peut dire que pour le peu de confort qui est proposé, certaines organisations ne se mouchent pas du pied. Qu’importe, si c’est le seul moyen de vraiment recharger ses batteries, on fonce ! Une fois encore, c’est le portefeuille qui s’ouvre pour se vider l’esprit.

En fin de compte, que nous reste-t-il pour faire baisser le mercure de notre stresso-mètre ? Ne soyons pas défaitiste, une baisse salutaire de la température reste toujours possible : il « suffirait » de se recentrer sur les bonnes priorités. En vacance, on oublie un maximum de chose – et en premier lieu la nécessité de briller de mille faux en société.

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