Le lac d’Hofstade est né suite aux travaux de la deuxième ligne de chemin de fer Bruxelles-Anvers (1902-1916), sur une berme rehaussée qui a nécessité des milliers de tonnes de terre. Dès 1920, l’énorme excavation proche du village d’Hofstade, que l’eau de pluie a inondée (avec quelques machines abandonnées dans les fonds), est prise d’assaut par les sportifs amateurs de nage. Et Hofstade, c’est infiniment plus près de Bruxelles qu’Ostende. Les Bruxellois s’y ruent, qu’ils soient sportifs ou simple plaisanciers. La ville de Malines tente d’interdire les baignades, les lacs étant considérés comme apports d’eau douce, elle fait placer des barbelés et des tours de guets. L’affaire devient politique, on crée même une commission parlementaire.
L’heure est bientôt à l’organisation des loisirs de masse. Mieux vaut en effet, pour les gouvernants, gérer ces loisirs, plutôt que de les laisser se développer spontanément, au risque de ne plus pouvoir contrôler les désirs des masses. Hofstade va bénéficier de cet « éveil social ». Des entrepreneurs astucieux, et intéressés, vont très vite comprendre l’intérêt de ce qui est en train de devenir un « pôle touristique », avant que cet élan ne soit repris par les pouvoirs publics. Dans les années trente, une entrée holywoodienne donne accès à un village de vacances de style « Ancienne Belgique » copié sur celui de l’exposition d’Anvers de 1930. On y trouve pêle-mêle un kiosque à musique, un bâtiment promotionnel des chocolateries « Côte d’Or », un point de vente du parti des Travailleurs belges, un vélodrome bétonné avec tribunes, un camping et, bien sûr, la plage de sable. Une inauguration officielle en grandes pompes se tient présence du Roi Albert 1er. Les estaminets fleurissent et se disputent les faveurs des visiteurs, qui vaquent de kermesses en élection de Miss Hofstade-Plage.
Le lent déclin du camping des écureuils
Après la guerre, le domaine tombe entre les mains de l’Etat, qui veut en faire une vitrine du savoir-faire national et oriente les investissements et la modernisation vers un parc sportif – avec notamment une piscine olympique, aujourd’hui en ruines. A partir des « Golden Sixties », avec l’amélioration des conditions de vie et le développement des possibilités d’évasion, le domaine décline lentement, quoiqu’il continue à attirer bien des sportifs de la région et des plagistes de Bruxelles. Certains s’établissent même durablement dans les campings, précarité aidant, ils trouvent aux abords du domaine un havre à proximité de quartiers qui s’embourgeoisent : au point qu’il y a une dizaine d’années, les derniers campings permanents ont été nettoyés par les municipalités, qui ne voulaient plus voir en peinture ces résidents précaires indésirables, souvent francophones de surcroît… Dans le domaine, le public change, les familles d’immigrés, ceux qu’en Flandre on appelle gentiment les « allochtones », remplacent les familles flamandes, qui jetent leur dévolu sur le domaine Hazewinkel, un peu plus près de Malines, et un peu plus loin de Bruxelles…
Ces dernières années, la cohabitation en a pris un coup. De jeunes Bruxellois « d’origine immigrée » sont accusés de faire monter exagérément la température dans le domaine, d’y susciter des bagarres qui ont nécessité l’intervention répétée de la police locale. Au point que le bourgmestre CD&V de Vilvorde, très énervé, a demandé que la STIB prolonge sa ligne de bus qui dessert la gare de Vilvorde jusqu’au domaine de loisirs. Car les bagarres commencent à l’extérieur du domaine, dans les bus et les trains qui emmènent les agitateurs à Hofstade, et le bourgmestre estime que De Lijn (les TEC flamands) n’a pas à payer le prix de ces troubles, puisqu’il s’agit de Brusseleirs… N’ont qu’à casser les vitres des bus de la STIB. A l’été 2010 déjà, polices locale et fédérale avaient dû s’engager à escorter les bus de la ligne qui dessert le domaine. De semblables échauffourées ont tendance à se multiplier, comme à Wégimont (Soumagne) où des jeunes de Bressoux (
Liège) ont caillassé un bus en 2008, ou comme à Marcinelle en 2009, où le centre de délassement tournait au pugilat.
La nouvelle saison hofstadoise s’annonçait riche en frissons et en sensations, chaleur aidant. Le domaine sportif et récréatif, gratuit, va carrément devenir un champ de bataille. Le climax est atteint le lundi de Pâques, quand une jeunesse bruxelloise turbulente a décidé d’improviser une distribution d’oeufs bien pochés. Les trublions se sont d’abord cognés les uns les autres, avant de se liguer contre les gardiens de sécurité qui ont vainement tenté de calmer le jeu. Les trois flics appelés à la rescousse ont été accueillis par deux cent jeunes déchaînés et une pluie de projectiles. Finalement, le centre de délassement sera investi par une septantaine de policier. Trop is te veel, pour les autorités locales, car c’est loin d’être un incident isolé, Hofstade faisant régulièrement parler de lui pour le grabuge qui y est occasionné.
A Huizingen, un domaine similaire plus proche encore de Bruxelles (6 km) qui a aussi connu des troubles causés par des Bruxellois, c’est par un droit d’entrée discriminatoire qu’on a « réglé » le problème. Un tarif différencié, qui varie du simple au triple, y a été imposé, afin d’exclure les Bruxellois qui, depuis toujours, viennent en masse à ce domaine. Certes, il y a d’autres domaines, publics ou privés, où les tarifs varient, plus attractifs pour les habitants locaux. Mais à Huizingen, ils sont clairement rédhibitoires. Dans le même ordre d’idée, c’est à la même époque, en 2008, qu’à Liedekerke, le bourgmestre entendait interdire l’accès des plaines de jeux aux petits francophones. Et ce n’est là qu’une des vexations parmi d’autres infligées aux Francophones dans le Brabant flamand. Ce combat d’arrière-garde pour « préserver le caractère flamand » de la Ceinture verte de Bruxelles mobilise beaucoup les énergies des édiles communaux brabançons – hormis bien entendu ceux des communes à facilités – qu’un journaliste du NY Times accusait de « fascisme non-violent » et de «purification ethnique ». Pour une fois que ce ne sont pas les mandataires FDF qui le disent.
Plagisme sécuritaire
A Hofstade, le parc n’est pas clôturé, c’est un espace ouvert où l’on se promène librement. Qu’à cela ne tienne, on y a construit une clôture, et instauré un droit d’entrée. Deux semaines après les incidents de Pâques, le Bloso installe une clôture provisoire, en attendant la définitive, qui nécessite une procédure urbanistique. Les riverains, même si la gratuité d’accès leur est promise, ne sont pas très contents. Ils ont fait circuler une pétition pour qu’on ne clôture pas l’entièreté du site, 160 ha quand même. En vain. Le cloisonnement complique l’accès au site, qui est aussi un parc de promenade, pour les joggeurs, entre autres. La fermeture du domaine sera également néfaste pour la migration des animaux, mais ça, le Bloso s’en tape. Et puis, à l’intérieur, l’ambiance risque bien de changer. On parle de vigiles supplémentaires, de caméras de surveillance, de listes noires aux entrées où il faudra montrer sa carte d’identité…
En attendant sans doute le couvre-feu, que plusieurs communes wallonnes ont déjà décrété vis-à-vis des jeunes en été. La privatisation des lieux publics, leur quadrillage par des milices, leur balayage par des dispositifs panoptiques coûteux qui permettent, au mieux, de repérer après coup l’un ou l’autre trublion, toutes ces « solutions » court-termistes risquent non seulement d’un peu plomber l’ambiance, mais surtout de seulement déplacer les problèmes. Si des bagarres éclatent en Forêt de Soignes, on va la clôturer aussi ? Et si des kayakistes pètent un câble sur la Lesse, on lance les hélicos ?
Il manque, à Bruxelles notamment, de structures de sport et de loisirs. [voir article pages bxl] En son temps, l’idée d’une piscine en plein air au canal, chère à l’ancien ministre Pascal Smet, avait suscité une levée de bouclier des partis de droite, peu désireux d’investir dans des infrastructures qui ne concernent pas leurs clients électoraux. 1 Mais quelques piscines et sacs de sable supplémentaires ne suffiront pas à tempérer les montées d’adrénaline de certains. C’est pourquoi les gestionnaires politiques n’ont d’autre recette à proposer, peu désireux d’apporter des réponses autres que sécuritaires à un malaise social grandissant.
Notes:
Cf « Een koude douche voor een warme stad », Brussel deze week, 5 mei 2011. ↩