Burnes out

Download PDF

Youpie, ce sont les vacances ! Habitué à diriger son personnel au milli poil, Jean-Jacques Delavigne, appelé JJ par ses intimes, a tout prévu. PDG d’une fabrique de chaussures de luxe, il s’est occupé lui-même des réservations et du planning malgré les propositions de Marie-Louise, sa secrétaire zélée. Pas question de confier l’organisation du séjour familial à qui que ce soit ! D’ailleurs Marie-Louise est juste là pour lui apporter son café et taper son courrier. Pour le reste, il ne fait confiance à personne et est habitué à tout régenter, partant du principe qu’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Et puis, cette année est très particulière puisque, pour la première fois, il va rencontrer son beau-frère avec qui sa femme s’était fâchée à mort pour des questions d’héritage, vu que le bonheur est dans le blé. Trente ans que Yolande n’a plus vu son frangin, ça se fête ! Le beau-frère s’étant senti floué, avait jugé bon de tirer la gueule et de claquer la porte, adieu Berthe ! Mais la vie adoucit parfois les rancœurs et il avait fini par passer l’éponge, coucou me rev’là, et tchica boum, tout baigne.
Désireux de démontrer son efficacité et surtout de faire valoir sa fonction de PDG, JJ avait pris les choses en mains et insisté pour tout payer, après tout, il avait les moyens. Le beau-frère avait vu là un geste normal, rééquilibrant un peu sa part d’héritage bouffée par sa sœur. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes et les valises étaient prêtes pour Saint Jean Cap Ferrat. Georgette et Lucien s’étaient préparés un look vamos à la playa, chemise à fleurs et robe petite maison dans la prairie, remise au goût du jour par Paris Hilton, vue dans Voici chez le coiffeur qui s’était acharné sur la permanente de Georgette.

Le grand jour est arrivé ! Tout le monde se retrouve au Grand-Hôtel, l’établissement le plus chic de la côte à près de 1.000 euros la nuit avec vue sur la pinède (moins cher) ou vue sur la mer (bonbon). JJ avait choisi la mer, on ne mégote pas avec la famille. Désireux d’en mettre plein la vue à ses invités, il avait prévu des circuits touristiques et organisé tout le planning par internet, réfléchissant à un savant mélange entre randonnées et culture, mens sana in corpore sano étant sa devise. A la vue de sa nouvelle famille, JJ avait eu un petit haut-le-cœur, ne s’attendant pas du tout à se retrouver avec une copie des Bidochon, vu que sa femme était issue d’une lignée bourgeoise, même si le château de la grand-mère avait été vendu aux enchères, parce que tombé en ruines comme la vieille. Après tout, se dit-il, le look ne fait pas le moine, passe au-dessus de ça mon JJ. Mais le sourire pincé de Yolande ne le rassura pas.

Après les effusions d’usage, petite larme à l’œil pour Lucien qui se rappelait sa frangine en socquettes lui volant ses billes, chacun alla se rafraîchir dans sa chambre avant de se retrouver pour le souper.
T’as vu bibiche, fit remarquer Lucien, on voit la mer de la fenêtre !
Ouais, m’en fiche de la mer, moi, je dois pisser. Ca fait deux heures que je me retiens !

Chaque année, le couple allait en vacances au même endroit, à Zuidcoote, dans le camping des dunes, parce que Lucien était fan de films de guerre et que le lieu lui rappelait Belmondo, le débarquement à Dunkerque, Juin 1940, il regardait la mer et il y était ! Le sergent Julien Maillat c’était lui ! Et cerise sur le gâteau, le patron du camping l’accueillait chaque fois avec cette sublime réplique de François Périer : Ah te voilà toi, fils de garce! Sacré bon dieu de bon sang de fils de garce, où t’étais passé ? » Il ne s’en lassait pas et hop on fêtait l’arrivée au pastaga.

Tu as vu comment elle est fagotée la femme de mon frère ? a dit Yolande en s’asseyant sur le lit où elle poussa un gros soupir.
Ne t’attarde pas aux apparences, chérie, c’est peut-être une femme très bien.

Et sa permanente, c’est d’un ringard ! Il n’était pas comme ça Lucien. Toujours tiré à quatre épingles. Elle le tire vers le bas.
Mais JJ n’
écoutait plus. Plongé dans son planning, il étudiait avec attention chaque minute de la journée de demain, angoissé à l’idée qu’un imprévu pouvait tout faire capoter. Il avait toujours détesté les surprises et ce qu’il ne pouvait pas maîtriser.

Ce soir, fit-il, il ne faut pas s’attarder car demain matin, on se lève tôt. Le guide nous attend pour une randonnée à 8H.

Quoi ? 8H ? Mais tu es fou ! Ce sont les vacances… Et bien tu n’as qu’à dormir, moi j’irai avec Georgette et Lucien, voilà tout.

Ah ! Ah ! Parce que tu crois que c’est le genre à se lever aux aurores pour aller s’écorcher les orteils dans les rochers ?

Oui, justement, ce ne sont pas des mondains comme toi. Le sport, on voit que ça les connaît.

Il est vrai que ma belle-sœur a déjà ses chaussures de montagnard, t’as vu ses godasses ? Les sandalettes de Mère Thérésa !

JJ ne répliqua pas. Parler de chaussures face à la mer, lui donna l’impression d’être encore au boulot. Il subissait une telle pression dans son travail, que les vacances lui permettaient de recharger ses batteries, comme il disait. Mais ce n’était pas une raison pour perdre son temps à ne rien faire ! Il fallait que chaque minute soit bien remplie. D’ailleurs, il prenait soin d’immortaliser tous ces précieux moments avec son appareil photo. Et se faisait un plaisir de les partager avec ses amis lors de son retour. Bizarrement, d’années en années, les amis avaient de plus en plus d’obligations et il finit par se retrouver seul. Tant pis pour leur gueule.

Les Delavigne s’étaient changés pour le souper : elle, portait une robe du soir toute simple mais de chez Chanel quand même, et lui, un costume en lin, chic et léger, avec des chaussures maison. Quant à Georgette et Lucien, ils étaient restés pareils, au grand dam de Yolande. Plus philosophe, JJ avait appris au bureau à ne pas se fier aux apparences. Mais quand Georgette avala d’une traite sa « farandole de caviar sur lit toasté nappé de coulis à la fine champagne », il commença à avoir des doutes. Et quand au vu du «Tournedos Rossini garni de fantaisies boisées » elle réclama un steak frites, il attrapa des sueurs. Le Pouilly fumé fut remplacé par « une bonne bière » suivie de quelques autres, pas loin du tonneau que les deux tourtereaux éclusèrent pratiquement cul-sel. Quand JJ leur parla du programme de demain, ils avaient déjà la tête dans le cul et c’est seul avec son guide qu’il partit à l’assaut des rocheuses.

Quand il rentra à l’hôtel à midi quarante, tout le monde dormait encore ! Il alla tambouriner à la porte de son beau-frère pour le buffet froid, sur la terrasse de l’hôtel face à la grande bleue. Une heure plus tard, tout le monde était sur le pont. La permanente de Georgette en avait pris un coup ! JJ mit le peu d’entrain de ses hôtes sur le compte de la fatigue du voyage et l’accumulation de stress au boulot. Il fallait bien une journée pour se retaper, il pouvait l’admettre.

Aujourd’hui, plage de 2 à 4, décréta-t-il tout souriant, et après, visite du zoo.

Ah ben non, rétorqua Georgette, moi je reste à la plage. Faut que j’bronze sinon les copines ne me croiront pas quand je leur dirai que je reviens de vacances. Et puis j’suis allergique aux poils de chameaux.

Bon, et bien nous irons tous les trois, décréta JJ. Ma femme, Lucien et moi.
Ah, non, Lulu, tu ne vas pas me lais-ser seule dans le sable avec tous ces vicieux qui vont mater mes nibards !

Lucien lança un regard fataliste à son beau-frère, lui signifiant qu’il ne pouvait évidemment pas abandonner son épouse dans un lieu aussi dangereux.

Les gens ici sont très courtois, expliqua JJ. Et bien élevés. Vous ne risquez absolument rien.

Tu parles ! Tous les mecs sont des cochons. Et puis, qui c’est qui va porter le frigo box avec les canettes de bière, hein ?

Devant un tel argument, Lucien capitula et JJ se retrouva de nouveau seul au zoo, vu que son épouse avait préféré faire du shopping.

Le lendemain, était pour lui une journée cruciale. Il s’était décarcassé pour obtenir des billets d’entrée pour la visite de la fabuleuse Villa
Ile de France, regorgeant des trésors de la baronne Ephrussi de Rotschild. Mais de nouveau, il se retrouva seul parmi les 5.000 œuvres accumulées lors de ses voyages. Georgette n’aimait pas « les vieilleries ». C’est seul aussi qu’il grimpa dans le phare, Georgette ayant un souffle au cœur. De nature optimiste, on ne vend pas des chaussures si on n’a pas la foi, JJ avait espéré jusqu’au dernier jour, que pour la visite de la magnifique chapelle St Hospice, il serait accompagné de toute la famille. Bernique ! Georgette n’aimait pas les curés…Et JJ a fini par péter un boulon! On l’a vu courir tout nu sur la plage, les burnes à l’air et plonger dans la mer.

Personne ne l’a jamais revu. La dernière photo qu’il a prise de lui était celle de son cul.

Aucun commentaire jusqu'à présent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.