Concrètement, le stress, c’est quoi ? Dans le domaine médical, on l’appellera « syndrome général d’adaptation ». Il s’agit en fait d’un ensemble de réponses de notre organisme aux contraintes et aux pressions qu’exerce sur nous notre environnement. En clair, nous ressentons un stress lorsque la situation nous oblige à nous adapter – quand ça commence à chauffer, en somme.
Or, aujourd’hui, tout va de plus en plus vite : une nouvelle mode, un nouveau gadget technologique ou un nouvel événement politique prétendent chambouler nos vies toutes les deux minutes; une infinité de chaînes de télé nous noie chaque jour un peu plus sous un flux indigeste d’informations dans lequel les nouvelles du jour, le catch, les résultats du foot, les émissions de cuisine et la peur de la fin du monde se juxtaposent dans un mélange sans queue ni tête! Pour ne rien arranger, plus une société est moderne, plus celle-ci est codifiée de manière aussi multiple que complexe : un fatras de lois, des règles, de coutumes (le plus souvent à la limite de l’inivisible) définissent son fonctionnement. Or, nous vivons justement dans une société moderne… De ce fait, notre milieu de vie est ultra-réglementé sans qu’on s’en rende bien compte. Et donc, il est naturellement générateur de contraintes (sociales, juridiques, financières, etc).
Le constat est suffisamment clair : la société actuelle est un environnement hyper-stressant ! Le stress étant le résultat des changements qui se produisent autour de nous et auxquels nous devons nous adapter, il n’y a finalement rien d’étonnant à ce que celui-ci soit en augmentation permanente dans un environnement comme le nôtre, qui évolue et communique cette évolution à une vitesse parfois difficile à suivre pour le cerveau humain.
Pour de nombreux spécialistes de l’information, la société contemporaine est un environnement TRES favorable au stress, notamment à cause de notre surexposition aux médias et notre usage abusif des moyens de télécommunication. Mais beaucoup pensent également que cette omniprésence des médias et de la technologie a d’autres effets sur la psychologie humaine plus indésirables et plus insidieux encore que le stress, qui ne serait que la partie la plus visible de l’iceberg, le symptôme le plus évident d’un problème de plus grande ampleur.
Pour ne citer que lui, Gilles Lipovetsky, professeur de philosophie de l’université de Grenoble, considère les médias comme les responsables de plusieurs grands problèmes actuels. Et il n’y va franchement pas avec le dos de la cuillère.
Dans son essai sur l’individualisme dans les sociétés contemporaines, L’ère du vide 1, Lipovetsky développe et argumente sa théorie. Selon lui, le concept de vie privée a littéralement été détruit par les nouvelles technologies. En effet, depuis que nous avons tous un téléphone portable et une ligne internet, nous sommes tous un peu surveillés et nous sommes tous joignables où que nous soyons. De plus, comme le montre le succès de la presse à scandale et des réseaux sociaux sur internet, les gens exposent de plus en plus leur vie privée et s’intéressent de plus en plus à celle des autres. On n’est finalement plus jamais tranquille. La combinaison de ces différents facteurs nous aurait amenés, selon Lipovetsky, à nous replier sur nous-mêmes, à devenir de plus en plus narcissiques, dans le but de protéger et de conserver un petit bout d’intimité.
Mais il ne s’arrête pas là! Lipovetsky évoque également l’éventualité que nous devenions tous de plus en plus blasés sous l’influence des médias. La violence, par exemple, ne choquerait aujourd’hui plus grand monde car on y aurait été trop exposé – les médias la banaliseraient, tout simplement. La réduisant à une sorte d’état de fait peu discutable, qu’on nous montre de manière extrêmement courante à la télévision et au cinéma. Même les journaux télévisés n’y vont plus de main morte avec les
images sanguinolentes. Le plus gros succès commercial de toute l’histoire de l’industrie du divertissement est d’ailleurs Call of Duty : Black Ops, un jeu vidéo sorti l’année dernière dans lequel le joueur est justement amené à tuer à tour de bras…
Ce processus que les sociologues nomment l’« accoutumance médiatique » est valable pour tous les sujets dont traitent les médias de masse. Ainsi, de la même manière que la violence choque de moins en moins parce qu’on en voit trop, les gens se désintéresseraient des sujets d’actualité politique et économique simplement parce qu’on en parle trop !
Ce que redoutent évidement les observateurs des médias, c’est que l’on aboutisse à une situation dans laquelle nous serions en permanence confrontés à une quantité absolument gigantesque d’information – sites internet, chaines de télé, magazines gratuits ou payants – nous donnant l’illusion qu’il est possible de tout savoir sur tout, à propos de n’importe qui ou de n’importe quoi, à n’importe quel moment. Le résultat ferait plutôt peur : nous finirions par être «médiatiquement accoutumés » à la quasi-totalité de ce qui se déroule autour de nous. Tout aurait un goût de « déjà vu ou entendu » et nous paraîtrait atrocement fade – infiniment répétitif. On peut d’ailleurs se demander à quel point ce scénario n’est pas d’ores et déjà en train de se produire…
Mais le plus vicieux avec la surinformation et l’accoutumance médiatique qu’elle engendre, c’est qu’elle nous confère l’impression que les médias savent tout ce qui se passe et que, grâce à eux, nous pouvons donc être parfaitement informés. Or nous avons bon être TRES informés, ça ne veut absolument pas dire que nous sommes BIEN informés ! Les médias ne savent évidemment pas tout ! Ils ne font que créer l’illusion d’un savoir absolu – en se montrant de plus en plus présents et accessibles. Et leur public ne saura guère plus que ce qu’ils lui disent.
En même temps, les sociologues parlent d’ «environnement informationnel surchargé », nous sommes à chaque instant bombardé d’informations – trop nombreuses, dépourvues de hiérarchisation. Tout nous arrivent sans aucun classement. Problème auxquerl il convient d’ajouter celui de la redondance: les médias tournent en rond et ne font, se répéter les uns les autres. Les sites internet partageant le même sujet, les chaines de télé abordant les mêmes thématiques ou encore les films racontant la même histoire …
L’hégémonie de l’audio-visuel a largement contribué à cette impossibilité d’endiguer le flux d’infos. Autrefois, ça passait essentiellement par l’écrit. Il fallait donc faire l’effort de lire. Seuls les gens désireux d’être informés l’étaient : refuser de lire un texte, ça reste assez simple – refuser de voir ou d’entendre est plus compliqué. Les messages qui nous submergent aujourd’hui prennent la forme de sons et d’images – devenant plus difficiles à ignorer. Notre attention ainsi capturée se retrouve alors coincée dans une série de bad trips, conjuguant nos pires peurs avec nos pires angoisses.
Catastrophes, scandales sanitaires, attentats, épidémies défilent dans un régime discursif paranoïde. On mitraille les masses en règle avec de la « bonne » mauvaise nouvelle, qui risque bientôt d’occuper tout l’espace médiatique. Pour finir par infester les conversations privées – logeant le cauchemar jusqu’au fond des cerveaux. L’hystérie collective peut redémarrer.
On peut donc s’interroger sur le caractère nocif de l’obsession communicationnelle qui traverse nos sociétés connectées. Le flux des infos trop souvent anxiogène qui assaille nos cerveaux finirait par nous faire mener une vie plus stressante. Et sortir de l’impasse n’a rien de simple – inutile de croire qu’il suffit de balancer PC et GSM par la fenêtre. Les technologies de l’information ont définitivement incorporé toutes les dimensions de nos existences.
Les humains modernes pourraient bien se retrouver à un carrefour – obligés de choisir entre quantité ou qualité, entre savoir situé et fragmentaire, d’une part, ou savoir absolu et
universel, de l’autre. Vu les précédents historiques, s’ils n’optent pas pour la croissance infinie et exponentielle, on pourra calmement employer le mot “recolution”…
[1]
Notes:
- Gilles Lipovietsky, « L’ère du vide , Essais sur l’individualisme contemporain », Folio Poche, 1989. ↩