Dès l’Antiquité, de grandes tragédies viennent bouleverser les institutions humaines et modifient les perceptions du monde. Un des grands chocs de cette période remonte à 410. L’Empire Romain est sur le déclin depuis plusieurs décennies mais les habitants de Rome n’ont encore rien vu venir et vivent dans l’imaginaire d’une inviolabilité de la grande cité à la puissance éternelle…
Et c’est justement en 410 qu’arrive un drame qui va changer totalement la perception des choses : les Wisigoths, emmenés par Alaric, vont saccager Rome – qui n’avait plus été prise depuis 800 ans! La ville est en partie brûlée. Les envahisseurs restent trois jours, le temps d’emporter un immense trésor. D’autres pillages suivront, l’un en 455 par les Vandales, l’autre en 546 par les Ostrogoths – mais c’est cet événement-là qui modifiera définitivement la manière dont les Romains voient leur univers : Rome n’est plus ni éternelle ni inviolable – dans la tête des Romains, l’idée du déclin de l’Empire va se répandre. Leur monde ne sera plus jamais le même.
Certains Romains préfèrent fuir en Afrique romaine, en Egypte ou en Palestine. D’autres cherchent à maintenir l’Empire. Comme le Général Aetius qui repousse les invasions et négocie avec les barbares pendant près de 20 ans – tentant de maintenir l’Empire. Pour finir assassiné… par l’Empereur, jaloux de sa réussite et de ses succès.
Au Moyen-Age, il semble moins évident de trouver un événement décisif. Toutefois, la Peste Noire se détache comme l’un de ces épisodes qui ont marqué les esprits. Entre 1348 et 1352, l’Europe sera touchée par une épidémie qui décime entre 30 et 50% de la population. La pandémie trouve son origine dans le conflit qui oppose les Mongols aux Génois. Ces derniers sont assiégés dans la ville portuaire de Caffa, en Mer Noire, et leurs adversaires, touchés par la maladie, catapultent leurs cadavres à l’intérieur de la ville – menant une sorte de guerre bactériologique médiévale. Lorsque les Génois reviennent en Europe, ils rapportent la maladie, qui s’étend ensuite sur tout le continent.
Face à cette vague de morts pour laquelle aucune solution n’est trouvée, les populations commencent à désigner des boucs émissaires : les Juifs et les gens du voyage, comme responsables de l’épidémie. Ils sont poursuivis, plusieurs centaines sont exécutés. D’autres personnes voient en la Peste Noire un châtiment divin et créent des groupes de flagellants, afin d’expier leurs péchés avant l’Apocalypse. Outre ces tentatives de réponse dont la pertinence reste fort hypothétique, la pandémie modifie également l’organisation de la société. La main-d’œuvre commence à manquer et les propriétaires terriens peinent à trouver des personnes pour travailler dans les champs. Pour en obtenir, ils font des concessions et abolissent les servages. Petit à petit, les serfs disparaissent de l’organisation sociale. Il ne s’agit pas d’une rupture directement visible par les contemporains des événements, néanmoins la perte massive de population et la difficulté d’endiguer l’épidémie entraînent une série d’interrogations et de troubles qui bouleverse le quotidien. Persécution des Juifs, messages apocalyptiques et modification du tissu social : la Peste Noire entraînera des bouleversements profond dans la société de l’époque.
Les Temps Modernes s’ouvrent sur une série de grands bouleversements dont le plus important se situe sur le plan religieux. Pendant plus d’un millénaire, l’Eglise Catholique Romaine a contrôlé la chrétienté en Europe occidentale, mais de nouveaux courants apparaissent. Ils seront communément regroupés sous le terme “protestantisme”. L’autorité de Rome en matière religieuse se trouve irrémédiablement contestée. Les protestants estiment que la manière dont le Saint-Siège régit la religion ne leur convient plus et décident d’interpréter la Bible d’une autre façon. Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que des courants dits hérétiques apparaissent, mais, cette fois-ci, l’affaire va prendre une très grosse ampleur
en rencontrant une toute nouvelle invention : l’imprimerie.
L’avènement de l’imprimerie permet de diffuser très rapidement les nouveaux courants. De plus, la Bible est enfin écrite dans les langues locales, et plus en Latin, ce qui rend plus facile la compréhension des textes. Ainsi, des régions (comme la Scandinavie ou l’Angleterre) se convertissent au protestantisme – y compris dans la noblesse. Dans d’autres pays, les autorités royales, qui appuient leur pouvoir sur l’Eglise, tentent de maintenir la religion catholique sur leur territoire. De véritables guerres éclatent entre les factions religieuses. Les populations converties subissent la persécution, mais la fin de l’hégémonie du catholicisme est définitive.
Les différents princes royaux sont obligés de faire des concessions avec les protestants afin d’assurer leur maintien. C’est le cas en France ou dans le Saint-Empire germanique. De nouveaux Etats apparaissent, comme par exemple les Provinces-Unies, actuels Pays-Bas. Dans les régions où le pouvoir continue de persécuter les protestants, ces derniers voient dans le Nouveau Monde un espoir de vivre pleinement leur foi. Ils migrent donc vers les Amériques qu’ils vont coloniser. Après la Réforme, l’homogénéité religieuse de l’Europe occidentale est détruite. Cette nouvelle carte religieuse aura désormais de l’importance dans le cadre des différentes alliances entre les Etats.
A l’époque contemporaine l’humanité a subi de profondes modifications dans sa manière de penser. La Première Guerre Mondiale apparaît comme un très bon exemple. En 1914, les Etats européens et leurs colonies, suivant des alliances organisées des années auparavant, rentrent dans un conflit qui va bientôt s’étendre un peu partout sur la planète. Cette guerre durera quatre ans et sera la plus violente que l’humanité ait connue. Les armes modernes font des dégâts considérables, que ça soit sur les personnes ou sur le territoire. Les morts se comptent par millions. La brutalité du conflit choque énormément les personnes qui y assistent et qui y participent. Face à l’horreur, des courants pacifistes, dont le slogan “la Der des ders” est le plus connu, apparaissent. L’humanité prend conscience de l’horreur de la guerre et cherche des solutions pour y mettre fin. Les idées socialistes et communistes gagnent en importance. Celle de créer une grande assemblée mondiale également. Une réponse est donnée par le président américain de l’époque, Woodrow Wilson. Il crée la Société des Nations, destinée à rassembler les différents Etats pour régler leurs conflits autrement que par les armes et pour qu’ils collaborent entre eux. Même si ce nouveau mode de pensée n’empêche pas la Seconde Guerre Mondiale, il s’agit bel et bien d’une nouvelle façon de voir les choses. La première tentative pour créer une civilisation mondiale de la paix. Évidemment, la réussite n’est pas toujours au rendez-vous mais il s’agit bien d’une rupture conceptuelle. Tout ces exemples montrent bien que l’humanité a connu des époques de sur-chauffe et de grands bouleversements qui modifient profondément le mode de pensée des personnes vivant ces événements. Un choc modifie la société dans laquelle les gens vivent. Bien sûr, ces choses n’arrivent pas du jour au lendemain – mais il y a toujours des indicateurs qui montrent que cela pouvait arriver. Qu’une pression poussait au chambardement. Tout comme à notre époque, il y a peut-être des signes d’une rupture imminente que nous avons du mal à percevoir? Peut-être y aura-t-il, par exemple, un après 14 janvier 2011 1 et cette date est-elle d’une nouvelle rupture?
Mais, rassurons-nous, dans le passé, si l’humanité est toujours sortie quelque peu modifiée d’évènements de ce genre, parler de la « fin du monde » reste aussi prophétique qu’incertain. Disons qu’UN monde pourrait peut-être bien finir…
Notes:
- Date à laquelle Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu en Tunisie. ↩