Depuis une trentaine d’années, le burn-out a fait l’objet de nombreuses recherches. Le terme burn-out apparaît pour la première fois dans un article de 1969 d’H. B. Bradley, où il le définit comme un stress particulier lié au travail. En quoi consiste le burn-out ? Pourquoi dans les entreprises aujourd’hui, toutes professions confondues, le nombre de salariés atteints par ce mal augmente ?
Stresseurs professionnels
Didier Truchot, enseignant-chercheur en psychologie sociale du travail et de la santé, a orienté ses travaux de recherche sur le sujet. Pour D. Truchot : « On peut définir le burn-out comme un syndrome psychologique lié au contenu et à l’environnement du travail. Il s’agit d’un épuisement émotionnel, une fatigue chronique qui est installée. Ce syndrome se traduit par une perte progressive des ressources de l’individu. Il n’a plus les moyens, les capacités de répondre à son travail, aux exigences de sa hiérarchie, de ses collègues, de ses clients… Il ne peut plus travailler. On a observé que le salarié va se mettre de plus en plus en retrait. Il y a un désengagement de la part du salarié pour son travail. On appelle cela aussi la dépersonnalisation. Le burn-out définit l’état de la personne et le processus qui amène à cet état », explique-t-il.
Toujours selon lui, le burn-out arrive par une accumulation de stresseurs dans l’environnement du travail qui à la longue finissent par éroder les ressources de la personne. Cela peut être un conflit avec la direction et la stratégie mise en place au sein de l’entreprise qui est en décalage avec la réalité du terrain. Le salarié ne la comprend pas et les moyens donnés au salarié pour atteindre ses objectifs sont souvent insuffisants et en contradiction avec la réalité de son travail… Des symptômes physiques et psychologiques vont apparaître chez le salarié atteint de burn-out. Physiquement, on a pu étudier un sentiment de fatigue chronique, un taux de cholestérol élevé pouvant entraîner un diabète de type II, des troubles musculo-squeletiques (TMS), du sommeil… Sur le plan psychologique, l’individu ne gère plus ses émotions, cela se traduit par des accès de colère, débordements de larmes, tristesse, conduite addictive par la prise de médicaments, drogues, alcool…
Concernant la dépersonnalisation dans son travail, D. Truchot prend l’exemple du médecin généraliste atteint de burn-out qui va se détacher de ses patients et ne plus les considérer comme des personnes. Quand on lui demande s’il y a des professions plus atteintes que d’autres, D. Truchot répond : « On ne peut pas parler en terme de profession car dans tout métier on peut être atteint par ce syndrome. Quelle que soit la profession, si vous êtes dans certaines conditions de travail, vous serez frappés d’un burn-out. »
Au début, on a axé les recherches sur le burn-out aux métiers de proximité avec le public comme les personnels du service public, du secteur hospitalier, les enseignants… Puis, au fil des études, les chercheurs se sont rendu compte que le burn-out n’était pas lié à une profession en particulier, mais au contraire à l’environnement et aux conditions de travail. Aujourd’hui, le relationnel est mis en avant dans tous les secteurs d’activité, les gens travaillent en réseau, en équipe. Mais, souvent, les équipes changent, car les entreprises font de plus en plus appel à des travailleurs free-lance, en intérim… Aussi, la cohésion de l’équipe n’a pas le temps de se faire. Les liens sociaux que l’on pourrait créer sur la longueur pour donner une véritable émulation de travail au sein du groupe n’existent plus. Résultat, les travailleurs ressentent une certaine instabilité dans leurs rapports avec les autres.
On est aujourd’hui capable de mesurer le burn-out, différents outils existent. Les recherches ont permis de le faire reconnaître auprès de la communauté scientifique et au niveau social. Elles ont également démontré que le burn-out peut atteindre tout individu, quelle que soit sa profession. Aujourd’hui,
il est possible de mettre en place des programmes pour prévenir ou enrayer le burn-out quand il est présent dans une entreprise. Pour D. Truchot, il est plus efficace de soigner les salariés de manière collective en recherchant pourquoi dans une entreprise le taux de burn-out est élevé. Les causes en sont externes à l’individu, c’est dans l’organisation, l’environnement du travail qu’il faut rechercher les causes premières de ce « mal ».
My toyotism isn’t fantastic
Alors, pourquoi de plus en plus de personnes sont -elles atteintes par cet épuisement professionnel ? Le monde du travail a connu des bouleversements dans son organisation, dans ses méthodes de management depuis une trentaine d’années. Ces changements ont d’abord amélioré les conditions de travail des ouvriers, employés, cadres… mais par la suite, elles les ont détériorées. Selon D. Truchot, la politique du productivisme à tout prix, la course aux rendements, la diminution des moyens, la non information des individus au sein de l’entreprise, la fragmentation des tâches, les nouvelles technologies, les délocalisations… ont modifié profondément le visage et les rapports au travail.
« Les entreprises rachetées par des fonds de pension », dit-il, « sont les pires pour les salariés car le but est de faire le maximum de profit en très peu de temps sans se soucier des travailleurs. On va augmenter le rendement horaire, mettre en place des plans de licenciement… Résultat, on arrive à des ouvriers qui sont usés par leur travail. C’est une dérive aujourd’hui de cette méthode de travail qu’est le toyotisme (forme d’organisation de travail japonaise imaginée en réponse aux difficultés du modèle taylorien-fordien) et qui devait donner un monde parfait. On est en train d’installer cette politique dans les hôpitaux, si une infirmière parle cinq minutes avec un patient c’est du temps perdu. » Puis, face aux flux d’informations, aux ordres contradictoires de sa direction…, le salarié ne peut pas tout gérer car il n’a pas les moyens suffisants pour le faire et humainement parlant c’est impossible. Il doit partager toutes ces informations, ces connaissances avec ses collègues via le travail en réseau. Le relationnel va se greffer sur ce partage de savoir et il est souvent difficile pour le salarié de l’assumer. Il va avoir l’impression de perdre le contrôle de son travail.
Le travailleur ne sait plus à quoi sert son travail, il est tellement coupé du reste de la chaîne qu’il ne trouve plus de sens à son métier. L’infirmière manque de moyens pour bien remplir sa fonction. Le médecin a le sentiment de ne plus être respecté par ses patients, d’avoir perdu son statut social… Toutes ces personnes à la longue vont avoir l’impression d’une perte de contrôle sur leur environnement de travail, d’un manque de reconnaissance, d’une absence de soutien social de la part de leurs collègues, leurs supérieurs… Personne n’a un contrôle absolu dans une entreprise, mais le salarié a un contrôle sur son travail qu’il partage avec ses collègues. Quand il a le sentiment de le perdre, cela devient problématique. Tous ces manques de ressources sur le lieu de travail, les conflits avec un collègue ou sa hiérarchie…composent entre autres les stresseurs qui, sur du long terme, risquent d’user la personne et de l’amener progressivement au burn-out, de la conduire même dans certains cas au suicide.
Le monde de l’entreprise est-il un monde de socialisation où on a envie de s’engager dans le travail, ou est-ce un univers fait d’individualisme et de compétition ? D. Truchot a observé que de plus en plus de gens ne s’investissent plus dans leur travail. Ceci est marqué par un désengagement grandissant des salariés. Le burn-out n’est pas reconnu de nos jours comme une maladie professionnelle ni en France, ni en Belgique, ni en Suisse par rapport aux pays du Nord de l’Europe comme la Suède ou les Pays-Bas, par exemple. Pourtant le burn-out peut être considéré comme une des maladies professionnelles graves en progression en ce début du XXIe siècle. Ne serait-il pas la
pathologie qui cache les « ratés » de notre civilisation industrielle ?