Werner Moron, paracommand’art, se propose de commencer cette table ronde en mettant les pieds dans le plat : « En matière de financement de l’art, le marché et le public sont tous deux capable de monstruosité ». Mais en la matière, « ils font tout, tout ce qui est possible et inimaginable. Et, dans ce «tout » là, il y a des choses qui vont bien et des choses qui vont moins bien ! ». Paul-Émile Mottard est bien au courant du problème, tout en restant convaincu de la légitimité de l’action des pouvoirs publics : « Avoir une responsabilité culturelle, c’est faire des choix [qui] doivent se fonder sur des valeurs […] traduites en termes de politiques, et ce n’est pas un hasard si, à la Province de Liège, parmi les priorités que nous avons établies, il y a le soutien à la création et l’accès à la culture. »
La question est complexe, Jean-Michel Botquin en est convaincu. Il nous raconte une conversation qu’il eue naguère avec le photographe Toscani, qui fut engagé par Benetton pour lui faire des campagnes de pub où il avait tellement de liberté qu’il ne montrait pas un seul vêtement de la marque! Toscani disait : « pour moi, Luciano Benetton, c’est Jules II ». Jules II est le pape qui a financé la Chapelle Sixtine et la Chambre de Raphaël en laissant de grandes marges de manœuvre aux artistes. Alors bien sûr, « on pourrait se dire que c’est du capitalisme, il a mis son pourvoir de l’image au service de Benetton, mais en fait non, Toscani a aussi créé une très belle école dans son pays d’origine, à destination des jeunes créateurs ».
Alexia Creusen rappelle que, dans toute cette affaire, 1789 reste un moment-clé. C’est la fin des corporations, le terme « artiste » va désormais s’appliquer à tout une série de métiers jusque là considérés comme complètement différents. Un groupe social naît, et contrairement à ce qui était en vigueur avec les corporations, il n’est ni fermé, ni hiérarchisé. Tout le monde (potentiellement) va pouvoir se dire « artiste ». Le 19ème siécle verra l’émergence de deux figures toujours déterminantes dans la système actuel : le marchand et le critique d’art. « Je pense que ce système va s’écrouler un jour », pronostique Bruno Leboulangé, « et il appartient aux artistes de trouver des moyens de faire autrement, d’anticiper en espérant cet effondrement. Dans un siècle ou deux, peut-être, il y aura tellement d’artistes que l’on va revenir à un prix normal, il n’y aura plus des sommes fantasmagoriques». Un peu sur le modèle de Keith Harring qui avait outrepassé l’interdiction des grandes galeries qui l’exposaient et continuait de vendre des dessins à 2 $ dans sa petites boutique new-yorkaise ? l’astuce était de tout reverser à une œuvre charitative…
La jeune équipe de Blair magazine l’a déjà compris : « On ne peut pas ne pas être orienté, c’est clair, on l’est forcément par son « partenaire financier ». Mais le choix s’impose : « Eux, ils ont besoin qu’on fasse leur promotion, et nous, on a besoin de leur argent, donc c’est normal. La seule liberté qu’on a, c’est de bien choisir nos partenaires ». Pour Sophie Langhor, ce problème n’a rien d’extérieur à son travail. « En tant qu’artiste, je me conçois comme partie d’un système et pas en individu autonome. Ça me permet de penser l’œuvre d’art non pas comme un fétiche mais comme un objet transitionnel dans un système de relations complexes. Et de toujours la remettre dans son contexte. […] Pour moi, les œuvres n’ont pas beaucoup de valeur si elles sont juste très bien faites techniquement mais décontextualisées ».
L’équilibre entre l’intervention de l’État et l’apport du marché, voilà le secret pour Jean-Michel Botquin. L’excès, celui du second temps de la politique culturelle sous Mitterand, ou celui qui entraîne une banque à se payer une tranche de sponsoring artistique alors qu’en face de son expo publique un musée se meurt, le voilà l’ennemi (commun à tout les intervenants culturels).
Mais pour Paul-Émile
Mottard, chez nous, « il n’y a pas assez de moyens financiers dans le secteur culturel, et c’est un constat que l’on peut faire régulièrement. Les arts plastiques, par exemple… Au niveau de la province, c’est un secteur qui à mes yeux a été largement abandonné par mes prédécesseurs. Aujourd’hui, notre préoccupation, c’est d’aller à la rencontre de l’artiste et c’est vrai qu’il y en a un nombre incalculable dans notre province, ce dont on se félicite ». Une démarche que le député provincial conçoit comme complémentaire à celle du galeriste et rigoureusement non intrusive dans le travail de création.
Werner Moron, en tant qu’artiste, se pense comme « un individu qui produit des oeuvres antisociales ». Il précise : « parce que je ne suis pas content de la société dans laquelle je vis, j’aimerais quelle soit mieux, je peux m’en contenter mais mon objectif au départ, qui part de l’adolescence et qui ne se terminera jamais, c’est de changer le monde. Cette idée-là, c’est une connerie qui fait qu’on va se fracasser dans la société — mais c’est en même temps une nécessite impérieuse. Voilà pourquoi un artiste fait chier tout le monde. Et si tu ne sais pas mettre ta peau sur la table, n’emmerde pas les autres ».