Une vie sans frontières ?

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Un jour parmi tant d’autres, Lino P. décide de quitter la Belgique. Son but : combiner ses deux passions, le voyage et l’aide aux personnes en difficulté. Sa recherche de travail dans l’humanitaire débouche finalement sur un engagement au sein de « Médecins Sans Frontières ». Grâce à cela, il a travaillé et vécu dans les quatre coins d’Afrique pendant 7 ans avant de revenir au royaume d’Albert II pour s’occuper des programmes d’urgence de pays tels que l’Inde ou la Guinée.

Tom Coosemans, lui aussi, est un amoureux de voyages et a soif de découvrir d’autres cultures. Ayant vécu en Amérique du Sud pendant quelque temps, il rentre en Belgique, mais ne parvient plus à être à l’aise nos contrées — il prend finalement la décision de repartir, en 2007, pour le Quatar. Il n’est pas tout seul : sa famille l’accompagne dans l’aventure, avec l’intention de ne plus revenir en Belgique.

Entre difficultés et privilèges

Tom et Lino représentent les deux modèles d’expatriés les plus communs. Le travailleur d’ONG et celui des entreprises internationales. Malgré des parcours assez différents, ils ont rencontré des situations, des difficultés et des privilèges semblables à travers leur expatriement. Le premier défi à surmonter a été le décalage entre le pays d’accueil et le pays d’origine : « Au début, il faut s’adapter aux nouveaux horaires de travail, mais aussi à ceux de l’école des enfants ou même des magasins, explique Tom Coosemans. « Les gens pensaient qu’on allait dans un pays fermé, mais le Qatar est plus ouvert que l’Arabie Saoudite, donc il n’y a pas de soucis pour le travail des femmes, le machisme étant l’une des craintes récurrentes. Au contraire, le Qatar montre beaucoup de signes d’influence américaine. Il y a toutes sortes de magasins de marques, de grosses voitures… par contre, pour consommer de l’alcool, on a besoin d’une licence, et le porc n’est pas disponible en rayons. Mais pour le reste, tout reste similaire. »

Lino, par contre, trouve que les contraintes se situent plutôt du côté de la vie sociale : « Le plus difficile est de s’adapter continuellement aux équipes de travail de l’ONG, qui changent d’un pays à l’autre. Aussi, il est ardu de reconstruire un réseau social. D’ailleurs, la plupart des amitiés se nouaient entre expatriés. Si je songe à mon expérience en Afrique, on remarque qu’il se crée souvent un cercle d’expatriés qui se fréquentent plus facilement parce qu’ils ont un même statut classe moyenne. Ils ont l’habitude d’aller dans les mêmes restaurants, les mêmes cafés… Et ils finissent par se regrouper et peuvent ainsi discuter, boire et manger dans une ambiance occidentalisée »

Des cercles fermés

Dans la construction d’un réseau amical, un aspect significatif se dégage des deux types d’expatriation rencontrés : les relations avec la population d’accueil sont peu nombreuses et généralement liées uniquement au milieu du travail.  « On a des relations avec des gens des cinq continents, on a des Anglais comme voisins, des Sud-africains, et on rencontre des francophones, souvent pour la Saint-Nicolas, ce qui nous permet de conserver certaines traditions » affirme Tom Coosemans. « Par contre, dans mon cas, je n’ai pas d’amis qataris, seulement des collègues de travail. Ma femme, elle, par exemple, a des copines qataries : à mon avis, les rencontres quotidiennes à l’école facilitent les liens avec la population autochtone. »

« Ce n’est pas facile d’entretenir des amitiés avec des gens de la région » se plaint Lino. « Les expatriés se comportent parfois comme des « riches » et beaucoup de gens qui s’approchent de nous ont un intérêt économique en rapport avec n’importe quel domaine de la vie. Du coup, on garde une certaine distance parce qu’on sait qu’on ne peut pas tout accomplir — on reste prudents avec les personnes locales. Mais il y a des exceptions : au Burundi, j’avais un cercle d’amis autochtones, ils étaient vraiment chouettes »

Les rapports avec
la population du pays sont marqués aussi par un autre aspect : le niveau élevé que les locaux attribuent aux étrangers dans la hiérarchie sociale. D’habitude, les Européens sont très bien traités par les forces de l’ordre, par le personnel des restaurants ou des lieux publics. « Dans les pays arabes, les gens se sentent à l’aise quand ils parlent avec un Européen, d’ailleurs, les « blancs » sont considérés comme supérieurs » affirme Tom.

De son côté, Lino se souvient clairement de cette facette de la vie quotidienne en Afrique : « Les autorités et les gens en général considèrent qu’il ne faut pas déranger les « blancs », donc on a des privilèges et des faveurs que la population civile n’a pas. En revanche, si un « blanc » s’adresse aux autorités avec une attitude arrogante, il ne franchira la barrière qu’avec des heures de retard. »

Revenir, rester, ou repartir ailleurs ?

15_2C’est notamment ce traitement de faveur qui a encouragé le travailleur de « Médecins Sans Frontières » à mettre fin à son parcours d’expatrié et à recommencer une nouvelle vie à Bruxelles. « J’étais fatigué, j’avais envie d’être anonyme, j’en avais marre d’être le « blanc », même si parfois ça me donnait de privilèges. Après sept ans d’expériences, je ne voulais plus continuer à être en « transit », de vivre d’aéroport en aéroport. Je désirais enfin pouvoir me balader à Bruxelles, prendre un café à une terrasse : les choses les plus simples étaient celles qui me manquaient le plus. ».
Cependant, Lino n’a pas arrêté net son parcours de voyageur : il continue à gérer différents programmes de MSF dans des pays en voie de développement. Il s’explique : « Maintenant, je ne voyage à l’étranger que dix jours de temps en temps, ce n’est pas la même vision des choses. Néanmoins, il me manque le côté imprévisible de ma vie d’avant ; ici, c’est la routine, mais la vie est plus confortable. »

Tom, bien au contraire, ne se voit pas revenir en Belgique. La vie d’expatrié lui plait – et elle a aussi conquis sa famille. Pour lui, les inconvénients d’habiter d’autres pays sont devenus des avantages. « Ici, j’ai une vie exceptionnelle. Malgré le fait que je travaille presque quatorze heures par jour, six jours par semaine, j’ai beaucoup plus de temps que quand j’habitais en Flandre. Tout mon temps libre est dédié à ma femme et mes enfants, puisqu’on n’est pas obligés de rendre visite à la famille ou à des amis par acquis de conscience. On peut profiter ensemble de nos week-ends sans aucun engagement « par compromis ». D’ailleurs, être loin de la famille apporte beaucoup des bonnes choses : par exemple, ma mère connaît mieux mes enfants que ceux de mon frère qui habitent à quelques kilomètres de chez elle. Les visites familiales sont beaucoup plus intenses que si on était restés en Belgique, parce que nous habitons vraiment ensemble pendant quelques semaines. Dans mon cas, les avantages et les désavantages sont en équilibre. »

Une chose est claire pour tous les deux : il y a des millions de prétextes pour s’expatrier. Ça dépend du parcours, de la personnalité de chacun. Pour Tom, c’est surtout le climat et le travail qui ont motivé son départ. Lino a plutôt été amené à vivre loin de la Belgique à cause de l’envie de voyager et d’aider les autres. Cependant, au fur et à mesure des années, les désirs diffèrent, la vie change — et la prise de décisions importantes s’impose. Retourner dans le pays d’origine ou continuer l’aventure ? Telle est l’éternelle question. Pour la famille Coosemans, le questionnement semble un peu distinct : il se pose d’avantage dans les termes « Où après le Qatar ? », tant il paraît clair qu’ils n’abandonneront pas leur «statut » d’expatriés. Lino, lui, préfère garder la porte entrouverte : plus vraiment expatrié, mais toujours dans le métier – ce qui l’amène à continuer à voyager bien plus qu’un travailleur lambda. Visiblement, le retour à la monogamie territoriale n’a rien de facile, quand on a goûté à la vie cosmopolite.

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