Stas Academy

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Pour répondre à ceux qui m’ont signalé qu’il était bien difficile de se procurer les livres (occultés) de Marc-Édouard NABE, je file un bon tuyau : des Morceaux choisis de l’affreux bonhomme sont disponibles aux éditions Léo Scheer : quasi 500 pages pour une vingtaine d’euros. Une nommée Angie Davis a choisi et ordonnancé les extraits qui forment cet abécédaire à partir des mille pages sélectionnées par l’auteur lui-même parmi les dix mille qu’il a publiées en vingt années. Il ne s’agit pas d’une compilation mais d’une sorte de florilège, de fragments sélectionnés et ordonnés selon une série de critères, tant politiques que littéraires voire personnels. Le fruit de ce montage (au sens cinématographique) fait apparaître le regard singulier du Nabe sur le monde actuel. “Rabaisser la France, tel est mon goût. Lui rabattre son caquet de conne. Qu’on ne l’entende plus donner des leçons à tout le monde ! De Le Pen aux socialos en passant par les libéraux-centristes, ils veulent tous sauver cette poufiasse de patrie, redorer le blason de cette salope. Tout ce qui déstabilise la France a mon applaudissement.” – “Même si j’étais enclin à la démocratie, le socialisme à la française m’en dégoûterait. La démocratie, c’est : tous les hommes ont droit à la parole à condition que ce soit toujours les mêmes qui la prennent. Nous survivons dans un système de sempiternels “gentils” punissant inlassablement les mêmes “méchants”. Il faudra bientôt faire les comptes de ces dernières années… Tout est à l’envers : aujourd”hui, le démocrate est plus fasciste que celui qu’il accuse de l’être, la féministe hait profondément la femme, et le raciste, c’est l’antiraciste qui voudrait bien que celui qu’il estime raciste soit désigné comme tel et puni sur son seul faciès…” Etc. Et à la sempiternelle question que tous les idiots lui posent, à savoir s’il est antisémite, il répond ceci : “— Ça dépend des Juifs… Je me vois mal vivre sans Kafka, Suarès, Proust, Soutine, Eisenstein, les Marx Brothers, Modigliani, Fritz Lang, Simone Weil et surtout Jésus-Christ ! J’en passe et des vivants…”
Bizarre : dans le C4 précédent, je vous parlais aussi de JOSSOT, dessinateur (antimilitariste et anticlérical violent) incontournable, qui a donné à la caricature son statut d’art à part entière. Ses idées anarchisantes, sa vision du monde acerbe et cynique, son pacifisme et son humanisme révolté, interpellent toujours nos consciences. “Non content de fustiger les comportements grégaires des suppôts de la société industrielle, il a aussi défié les conventions et foulé les frontières idéologiques (vu qu’il a embrassé l’Islam en 1913 avant d’achever sa vie en sceptique absolu). Quel intense bonheur de découvrir donc quasiment l’ensemble de son œuvre grâce à une exceptionnelle exposition : Jossot, caricatures – De la révolte à la fuite en Orient (1866-1951), visible jusqu’au 18 juin à la Bibliothèque Forney (Hôtel de Sens, 1, rue du Figuier – 75004 Paris – du mardi au samedi, de 13 à 19 heures). Le catalogue, établi par Michel Dixmier & Henri Viltard est du genre somptueux. Fendez-vous d’un voyage en Sarkozye rien que pour aller se délecter de ça, c’est absolument magnifique. Mais je m’égare, car il y a une seconde raison pour s’y rendre : aller voir l’expo sur “l’Art de l’Irrévérence”, au Centre Wallonie-Bruxelles (face à Beaubourg). le Petit Guide de l’Irrévérence (au pays de Liège) qui l’accompagne (co-édité par la Châtaigneraie & Yellow Now) est un véritable petit bijou. Sous la direction d’Alain Delaunois & Marie-Hélène Joiret, une quinzaine de plumes alertes dressent le bilan de ce qui fait la spécificité de l’esprit principautaire, un humour tantôt rosse (sinon vache), tantôt noir, un sens aigu de l’autodérision, une insolence roborative. Toute une série de manifestations et spectacles annexes se sont ingéniés (avec succès) à perturber les soirées parisiennes. Après une semaine où le Cirque divers fut ressuscité, une “Nuit de la Belgique sauvage” les secoua du bon rire car Noël Godin et moi avions, pour la circonstance, rassemblé un certain nombre de “mauvais sujets”. Parmi eux, les deux forgeurs d’aphorismes les plus coruscants du moment que sont Éric DEJAEGER et Jean-Philippe QUERTON. Le premier nous gratifie, chez Gros Textes, de Non au littérairement correct ! , un hilarant opus dans lequel alternent des “listes” éberluantes et des fusées qui ne le sont pas moins. J’adore écrire au subjectif imparfait – Il vaut mieux avoir le cul dans le beurre que l’inverse. – Même si un politicien se lave tous les jours, il se mouille rarement. – C’est souvent sa soupe qui rend l’écrivain populaire. – Si Johnny Depp avait une plus grosse bite, Vanessa Paradis articulerait mieux quand elle “chante”… Le second nous offre, aux éditions du Cactus inébranlable, Des capiteuses pensées, un recueil où sont recensés, classés selon les sept péchés, un solide paquet de propos imparablement assénés, autant d’uppercuts balancés dans la trogne de l’odieuse pensée uniforme. Quand le paon est crevé, il met la roue de secours. – Si le premier mai est la journée du travail, le premier “mais” symbolise le début de la contestation. Une semaine plus tard, le “oui, mais” évoque déjà la capitulation. – Avoir une gueule de lamproie ne veut pas dire que vous êtes fait pour le boulot. – Y aura-t-il des témoins au procès de Jéhovah ? – La Belgique indisposée : hémorragie d’insanités dans un état tampon où il n’y a plus de règles. Un aimable zig, venu nous écouter, TOULOUSE-LA-ROSE, m’offrit Pensées, donc (Sens & Tonka, 99, rue du Faubourg-du-Temple F 75010 Paris), “des aphorismes trempés à l’acier du bon sens et de la politique qui révèlent le sordide des idées trop largement partagées”. Tiens ! un Français digne d’être Belge ! J’encule la vulgarité. – Si tous les homosexuels du monde voulaient se donner la main, qui leur branlerait la bite ? – Ne partez pas en vacances, restez-y. – Le chien est l’esclave de ce con dont le chat est le maître. – Si Dieu avait mis le sucre dans notre sperme plutôt que dans nos urines, la vie aurait été beaucoup plus facile pour tout le monde. Dans le genre “fouteur de merdre”, Jean YANNE n’était pas mal non plus. On n’arrête pas la connerie, publié par le Cherche midi, nous le rappelle aimablement. “La connerie, c’est comme le judo, il faut utiliser la force de l’adversaire.” Toute sa vie, Jean Yanne a été captivé par la connerie. Plus fascinante encore que l’intelligence, parce que sans limites, elle a été sa grande passion. Doué d’un véritable génie pour la débusquer dans ses manifestations les plus variées, les plus discrètes comme les plus éclatantes, il remarquait : J’ai la faculté d’assimiler la connerie ambiante comme les abeilles butinent les fleurs et prennent le pollen pour en faire leur miel. Et, grâce à cette intégrale des textes, répliques et pensées, agrémentée de nombreux inédits, on se poile franchement. Tout le monde veut sauver la planète, mais personne veut descendre les poubelles. – J’en connais qui seraient capables de tuer pour avoir le prix Nobel de la paix. – Vivre en couple : je ne vois pas pourquoi je sacrifierais l’admiration de milliers de femmes au sens critique d’une seule. – Le monde est peuplé d’imbéciles qui se battent contre des demeurés pour sauvegarder une société absurde. – Je ne fais pas dans le mauvais goût, je fais dans le mien. Question d’en finir avec les “pensées”, mentionnons aussi Qu’en pense Keith Richards ?, un choix opéré parmi les propos du bad boy par Mark BLAKE, rédacteur en chef du célèbre magazine musical anglais Q (chez Sonatine, 21, rue Weber F 75116 Paris). Qu’il s’exprime sur le sexe, la drogue, le rock’n roll ou Mick Jagger, le spécimen vaut le détour. Je suis Keith Richards. J’essaie tout une fois.
L’indispensable Yves FRÉMION, republie aux éditions L’Échappée (32, av. de la Résistance F 93100 Montreuil), dans la collection “Dans le feu de l’action”, Léauthier l’anarchiste, De la propagande par le fait à la révolte des bagnards (1893-1894), paru jadis chez Flammarion sous le titre l’Anarchiste. Le fanatique Émile Henry qui fit sauter le café Terminus, le dandy Vaillant qui lança une bombe à la Chambre des députés, le calme et réfléchi Santo Caserio qui assassina le Président Carnot d’un coup de poignard, sans omettre Kœningstein, dit Ravachol, ceux-là toutes les têtes bien faites les situent. Mais Léon Léauthier, un cordonnier sans guère d’instruction, affolé par de “mauvaises lectures”, dont l’ambition était de “crever le bourgeois” et qui, le 13 novembre 1893, âgé de vingt ans, après avoir commandé (sans intention de le payer) un excellent repas dans un restaurant de l’avenue de l’Opéra, voyant, à côté de lui, un monsieur bien mis et décoré, lui plongea son tranchet dans la poitrine, on le connaît moins bien. La victime était M. Georgewitch, ministre de Serbie, ce qui valut à l’assassin d’être transporté en Guyanne. En 1894, il y organisa avec un certain nombre de forçats, notamment le jeune Simon dit Biscuit, complice principal de Ravachol, une évasion qui aurait sans doute réussi sans la dénonciation d’un co-détenu. Gardiens et forçats en vinrent aux mains et, dans la lutte, Léauthier et Simon furent tués… L’idée d’avoir sauvé de l’oubli le destin de cet homme est des plus louables. À sa maison d’édition, les Ateliers du Tayrac (66, rue Julien Lacroix F 75019 Paris), Frémion publie aussi, à l’occasion des 20 ans de l’association Droit au Logement, Sans Dessin Fixe, un recueil d’images “engagées” de tous les dessinateurs de presse et de BD qui ont soutenu et accompagné la lutte inlassable de l’association. “Parce que le rire est plus solidaire que la haine” ! L’Yves trempe aussi dans la réédition, chez l’Artisan Humoriste, de la série complète des 48 numéros de l’Ara guindé, feuille hebdomadaire d’humour affligeant, GÉNIALE revue confidentielle envoyée par André IGUAL à quelques happy few. On s’amuse infiniment à toutes les pages (dessins déjantés, aphorismes bienvenus, texticules déroutants) : 20 euros bien dépensés ! Et puis  Papiers Nickelés, la revue de l’image populaire, nous offre, dans son n°28 (désormais 32 pages) un paquet de trucs 100% épatants : Sapeck, le fumiste qui savait dessiner, Steinlen, peintre et ami du peuple, l’”épatarouflant” Albert Humbert et sa Lanterne de Boquillon, Germaine Bouret, Sternberg & Gourmelin, Marcus Osterwalder, “Monsieur Larousse” de l’illustration, sont, entre autres, au sommaire : un numéro, une fois de plus, pour le moins grandiose !

Comment ne pas faire la fête à l’initiative d’Olivier JUSTAFRÉ qui a savamment concocté un Supplément aux Fous littéraires, intitulé Graines de folie (chez Anagrammes, 15, rue de la Poste F 22700 Perros-Guirec – 34 euros) ? On se doute bien qu’André Blavier aurait pu continuer un siècle encore à traquer les Hétéroclites, certains lui seraient demeurés inconnus, tant s’avèrent innombrables les auteurs de thèses saugrenues, le plus souvent peu (ou pas du tout) diffusées. On en découvre ici près de 250 et plus de 600 titres jusqu’ici totalement ignorés. La bibliographie que voici classe les écrivains par ordre alphabétique, ne respectant donc pas la division thématique suivie par Blavier. Ce choix découla du constat que, dans bien des cas, un même écrit pouvait aborder des sujets appartenant à diverses catégories. Mais il eût été si simple de faire précéder chaque notice d’un idéogramme permettant (quand même) de le classer, de plusieurs quand une catégorie unique ne suffisait pas ! Cette virgule posée, je ne peux que vanter les mérites de l’ouvrage, estimable bouffée d’oxygène dans notre monde “si formaté, où tout est prévisible, aseptisé, calibré, qui n’offre que très rarement l’occasion d’une telle évasion intellectuelle”. Alors que ceux qui désirent savoir si Adam et Ève parlaient Basque ou Breton dans le Jardin d’Éden, si le centre du Monde est situé en Corse ou dans l’Aveyron, si notre terre est plate, cylindrique ou pyramidale plutôt que bêtement ronde, se ruent bien vite, à intellect perdu, dans cette somme de dingueries… Enfin, dépensez donc les 2 euros que coûte le Petit éloge de la vie de tous les jours de Franz BARTELT (Folio), 26 chapitres du genre merveilleux. J’y pique ceci : “Quelqu’un a dit que le café était imbuvable. C’était le premier paradoxe de la journée, car pour prétendre avec quelque crédit qu’un café est imbuvable, il faut l’avoir bu. Le simple fait de l’avoir bu fonde sa capacité à être bu. Et s’il est bu, il était buvable. Il n’existe, en effet, de café imbuvable que le café qu’on ne boit pas. Soit parce qu’il est inaccessible, soit parce qu’il dégage un arôme qui interdit à toute personne de s’en approcher à moins de trois mètres. La propriété d’”imbuvabilité” d’un café ou de tout autre breuvage est complexe à établir. Un café qui demeure sur le bord d’une table pendant des années et qui s’est évaporé jusqu’à la dernière goutte peut être considéré comme imbu. Mais tout imbu qu’il ait été, cela n’implique pas qu’il était imbuvable lorsqu’il se trouvait dans son état liquide. Un café qu’on a oublié de boire ne peut pas être soupçonné d’avoir été imbuvable. Par conséquent, je m’élève contre l’emploi trop fréquent de l’adjectif “imbuvable” appliqué au café d’une façon générale. Si, par exemple, on boit la moitié de cette tasse de café et qu’il nous est impossible de boire l’autre moitié, l’honnêteté commande qu’on divise la quantité de breuvage en une moitié buvable posée sur une moitié imbuvable. Il ne serait même pas intègre d’affirmer dans ce cas que le café est à moitié buvable, car soit on boit, soit on ne boit pas, ce qui est bu est bu, on ne peut pas boire à moitié, il y a ce qu’on a bu et ce qu’on n’a pas bu, et tout ce qu’on boit de café avant de décider qu’un café est imbuvable est indéniablement buvable, puisqu’on le boit, et que si on l’a bu c’est qu’il n’était pas imbuvable. Soyons donc sérieux et cessons de parler à la légère.”

André STAS, R.

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