Quand des supporters de foot théâtralisent leur quotidien.

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« Je suis supporter de foot » ! On parie que la phrase en fera sourire ou soupirer plus d’un… il y a les clichés que ça évoque : bière et pizza, klaxons, «Le plus important, c’est les trois points », « Le public, c’est le douzième homme »… C’est normal, c’est fait pour. Pourtant, c’est derrière ce titre pour le moins évocateur que le Fan coaching de la Ville de Liège lance un projet théâtral qui entend dépasser les préjugés liés à la passion pour une équipe (en l’occurence, le Standard) et jeter des ponts entre disciplines sportives et culturelles…

Frédéric Paulus est assistant social et travaille depuis presque vingt ans au service « Fan Coaching » de la ville de Liège. Sa mission initiale est la prévention de la violence lors des rencontres du Standard. A l’origine, le Fan Coaching s’adressait aux supporters qui «posent problème » dans et autour du stade. Mais le contexte a bien changé en vingt ans. Les multiples dispositifs policiers ultra-contraignants lors des matchs « au sommet» (contre Anderlecht, Charleroi, etc) ont fait que la violence entre supporters est devenue quasi impossible, les groupes rivaux n’ayant plus la possibilité de se croiser avant ou après les matchs. De plus, la campagne de prévention contre le racisme réalisée par le club et différentes associations a plutôt bien réussi  et la première génération des hooligans problématiques vieillissant, il semblerait que le situation se soit nettement améliorée depuis une dizaine d’années.

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C’est dans ce contexte que le Fan Coaching élargit son public-cible et travaille désormais à créer des liens entre le monde du foot et l’art, la culture et l’éducation, mais pas seulement (voir encadré). La culture comme moyen de prévention mais aussi de communication entre ceux qui aiment le foot et ceux qui peut-être ne l’aiment pas.

Après plus de quinze ans de prévention contre la violence, Frédéric a un peu l’impression d’avoir fait le tour de la question. Une première volonté de mêler foot et culture naît lors de la collaboration de Vincent Solheid avec le Standard de Liège. Artiste plasticien,  il réalise une œuvre monumentale sur les colonnes du stade du Sclessin [1] dans le courant des années 2000. C’est le premier projet  qui aurait, selon Frédéric, réussi à transcender la passion de milliers de personnes  dans un projet artistique. Le Fan Coaching travaille également beaucoup la problématique du racisme, et a organisé avec le Standard plusieurs voyages, notamment à Auschwitz, dans les camps de concentration. Mais Frédéric veut aller plus loin : «Il fallait sortir de ce côté un peu « mémorial » et nous avons organisé une représentation de la pièce de théâtre « Un fou noir au pays des blancs » de Pie Tshibanda, à l’intérieur du stade, exclusivement pour les supporters. Ce fut un grand défi pour nous. Plein de gens nous disaient que les supporters n’en avaient rien à foutre du théâtre et tout ça. On a fait salle comble avec 250 personnes, ce qui a prouvé que les supporters ne s’intéressent pas exclusivement au foot et peuvent aussi être touchés par des problèmes sociétaux. »

Frédéric demande alors à son service de pouvoir explorer ce domaine au sein du Fan Coaching. Durant un an, il fait des recherches mêlant foot et culture et trouve alors une veine inépuisable. « C’est la rencontre avec Riton Liebman, comédien, auteur et réalisateur bruxellois, qui a peut-être été le déclencheur. Riton est un grand supporter du Standard de Liège. Il l’est d’ailleurs tellement qu’il a écrit un one man show qui s’intitule « Je suis supporter du Standard». Le one man show sera présenté ce 1er juin au local du Fan Coaching à Sclessin. Ce sont deux projets distincts mais on peut dire que le one man show a influencé mon souhait d’explorer le théâtre »

C’est ce qu’il fait en proposant à Sylvain Plouette, comédien, metteur en scène et animateur de réaliser un atelier autour de la figure du supporter. Ce dernier raconte : « A la base, je suis supporter du Standard, mais mon truc, c’est le théâtre. Et à la suite du projet de Pie Tschibanda, où les supporters étaient spectateurs, nous avons décidé de « leur faire passer la barrière » pour devenir acteurs. Acteurs et créateurs, parce que ce sont leurs histoires que l’on va raconter… »

« Moi, ce qui m’intéresse, c’est la construction de projets qui mettent en relation des tas de gens complètement différents. »

En février, le « recrutement » démarre, par tâtonnements. Frédéric explique : « Nous, on est habitués à aller trouver les gens. Ici, il s’agissait de brasser plus large ». Une première campagne d’affichage a lieu, essentiellement sur le quartier de Sclessin mais aussi au-delà, des flyers sont distribués aux supporters lors des matchs. Un communiqué est envoyé aux groupes de supporters pour qu’ils le diffusent en interne, sans trop de succès. « On est donc revenus au contact direct dans le stade avec les groupes. »

Il faut savoir que le Fan Coaching, dans les années 90, travaillait essentiellement avec « le noyau dur » du HellSide, problématique à l’époque à cause de faits de racisme, notamment. Frédéric ajoute : «Maintenant, on a diversifié nos contacts, avec les groupes de supporters et les groupes d’animation, comme le PHK [2] et les UI96 [3]. Bon, comme on est un service de la Ville, ce n’est pas toujours évident de nouer des collaborations avec des groupes qui se veulent plutôt indépendants. Mais bon, ça a fonctionné dans d’autres circonstances, avec l’organisation de fêtes de quartier. » Il a fallu briser la glace, vendre le projet. «Moi, ce qui m’intéresse, c’est la construction de projets qui mettent en relation des tas de gens complètement différents. » Le PHK a répondu favorablement au projet. Les personnes intéressées seront alors contactées individuellement pour commencer à créer un groupe.  « Mais il s’agit de garder ce groupe ouvert. Il ne faudrait pas que cela devienne une espèce de Private Joke que seul ce groupe pourrait comprendre » précise Sylvain.

Et si on est supporter d’un Sporting ? On peut participer ?  Frédéric opine : « En théorie, oui. D’ailleurs le projet s’appelle « je suis supporter de foot». Sylvain rigole : « Tout le monde est le bienvenu. Maintenant, si il y a une personne qui arrive et qui toutes les 30 secondes clame qu’elle est supporter d’Anderlecht, ça peut faire des chouettes scènes, mais jusqu’à une certaine limite. » Frédéric va même plus loin. Son souhait aurait été que même des non-amateurs de foot participent.

« La vie de supporter, c’est déjà du boulot. Il y a les matchs chaque semaine, la création d’animation, les déplacements ! »

Sylvain plante les bases du projet: « On va travailler l’improvisation, déjà pour voir ce que chacun a à dire, mais aussi dans l’idée de créer des personnages. L’impro est utile à différents niveaux. On va surtout travailler les codes de langage dans le foot et les confronter à ceux du théâtre. Dans le foot, il y a l’équipe, dans le théâtre, la troupe. Il y a le terrain d’un côté, le plateau de l’autre. Des répliques d’un côté, des passes de l’autre, etc … » L’atelier entend dépasser les clichés qui collent aux supporters de foot et toutes les idées préconçues qui vont avec.  Des clichés qu’eux-même véhiculent, selon Sylvain. « La façon qu’ils ont de discuter foot entre eux est caractéristique, on va travailler cela en impro. »

Durant les deux premiers mois, il s’agira de créer un groupe motivé. Sylvain insiste: « On ne veut pas faire de l’occupationnel, il faut que les personnes soient réellement impliquées. » Dans le courant du mois d’août, le groupe sera fermé avec pour projet de créer un spectacle en décembre. « On va dire que si on a un 45 minutes qui tient la route, je serais satisfait » tempère Sylvain. « Faut pas croire, mais la vie de supporter, c’est déjà du boulot. Il y a les matchs chaque semaine, la création d’animation, les déplacements. Cela fait déjà beaucoup. Ca pourrait surprendre, mais ils ont aussi une vie privée, des enfants! »

Les ateliers et la représentation se passeront au Local du Fan Coaching à Sclessin, au local Fan Home, rue de la centrale n°13 (en face de la tribune 1 du  Standard). Plus d’infos Frédéric Paulus : frederic.paulus@liege.be Tél : 0472 533 001

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