Le Printemps de l’Irrévérence : «Avec l’accent liégeois, Mai 68 se dit février 69»

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D’Une Certaine Gaieté a ouvert le Printemps de l’Irrévérence au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris avec une programmation qui a séduit le public parisien venu goûter à l’irrévérence liégeoise.

Sur la scène du Centre, le Jardin du Paradoxe (reconstitution du Cirque Divers) a servi d’écrin aux spectacles. Le vendredi 18 mars, le Greg Houben Trio a envoûté le public venu en nombre. Le samedi 19 mars, la soirée s’est déroulée en deux temps. Tout d’abord, une projection des «Fous du roi » (documentaire de Richard Olivier sur les artistes wallons et liégeois en particulier), puis une table ronde autour du livre de Jacques Dubois, Jean-Marie Klinkenberg et Nancy Delhalle « Le tournant des années 70, Liège en effervescence ». Ensuite, le Mama Roma Show a enflammé une salle comble.

Le lundi 21 mars, Carmelo Virone a rassemblé plusieurs personnalités ayant fréquenté Jacques Izoard pour une soirée d’hommage. Etaient présents René de Ceccatty (écrivain et essayiste), Françoise Favretto (éditrice, Atelier de l’Agneau), Colette Lambrichs (éditrice, La Différence), Antonio Moyano (écrivain), ainsi que les poètes Joseph Orban, Salah Stétié et Antoine Wauters.

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Chaque soir, pendant les spectacles, le public était invité à participer à la « spectacularisation du quotidien » et à monter sur scène pour se faire coiffer, surfer sur le net ou encore se réchauffer un plat au micro-ondes. Les participants sont repartis conquis… et bien coiffés!

Le détails des événements sur le site « [d’Une certaine gaieté->http://certaine-gaite.org/index.php?page=posts&mod=post&post_id=61] », vous y trouverez également un [documentaire vidéo->http://certaine-gaite.org/av/video.php?av_id=40] ainsi qu’un [album photo->http://www.facebook.com/media/set/?set=a.204589149561612.51045.100000315843818] sur notre page FaceBook.

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« Avec l’accent liégeois, Mai 68 se dit février 69 »

Le 19 mars dernier, dans le cadre du Printemps de l’Irrévérence au Centre Wallonie Bruxelles, « Le Tournant des années 1970. Liège en effervescence », de Jacques Dubois, Jean-Marie Klinkenberg et Nancy Delhalle 1 était le point de départ d’une table-ronde autour de laquelle les deux premiers auteurs du livre ainsi qu’Yves Frémion, Laurent Cholet, Jaques Vallet et Jean-Pierre Bouyxou, confrontaient leurs vues sur le bouillonnement qui remua la Cité ardente à l’époque au « Mai 68 » parisien. Compte-rendu.

D’emblée, une question se devait d’être évacuée : la comparaison a-t-elle une pertinence? Pourquoi Liège? Selon Jean-Marie Klinkenberg, Liège a une tradition révolutionnaire pluriséculaire : 1789 vit éclater une mémorable « Révolution liégeoise ». A l’époque moderne, ses innovations technologiques lui donnent une dimension internationale. Plus récemment, la région est un des noyaux d’un post-surréalisme teinté de ‘Pataphysique. À l’époque qui nous intéresse, la ville a une dimension internationale – par ses contacts technologiques. C’est aussi un foyer de ce qu’on peut appeler le « post-surréalisme », un courant assez proche de la ‘Pataphysique. « Le Tournant des années 1970 » se replace dans ce contexte-là pour tenter de raconter l’ébullition exceptionnelle qui anima la ville de Liège cité pendant une décennie. Jaques Dubois ajoute que Liège se caractérisait par « une espèce de tissu social idéal, car c’est une ville avec un passé, avec des équipements culturels, économiques… suffisamment grands et puissants pour qu’il y ait matière à cette efflorescence et en même temps assez de proximité pour que les contacts s’établissent facilement entre les gens.» Et de préciser : « Partant de quoi, dans le domaine culturel au sens large, tout un besoin de décloisonnemeement allait s’exprimer ». Pour Jacques Dubois, la particularité de février 69 (
traduction liégeoise de Mai 68), c’est l’absence de coupure entre révolution « culturelle » et événements sociaux, dans la mesure où, d’une certaine manière, février 69 est préparé par les grèves de 60.

Il rappelle également qu’à l’époque « […] dans tous les domaines culturels, on a vu émerger de petites équipes, de petits noyaux très soudés qui revendiquaient la collectivité de leurs actions, qui lançaient des choses pas toujours avec le souci de faire œuvre mais plutôt de préparer le terrain ». Parmi lesquelles un étrange cabaret nommé « Cirque Divers ». Dans ces années-là, on va voir apparaître au tout premier plan parmi d’autres des gens comme Jacques Lizène, Jacques Delcuvellerie, André Stas. Plus généralement, Yves Frémion le souligne, ce qu’on nomme Mai 68 « correspond au moment où on a légitimé dans la société tout ce qui n’apparaissait jamais à la radio, à la télévision, ou dans les journaux. » Et d’ajouter : « Je pense au rock, à la science-fiction, à la BD, à l’érotisme, au cinéma fantastique, tous ces trucs dont on ne parlait jamais. »

Jean-Paul Bouyxou raconte qu’à Paris, il y avait, avant Mai 68, un mouvement qui ne s’appelait pas encore « contre-culture » mais se positionnait déjà contre la culture imposée, traditionnelle, universitaire. Un événement important comme le festival du film expérimental organisé à Bruxelles, qui produira toute une génération de cinéastes belges, date précisément de 67. Comme le dit Jaques Vallet : « La résistance dépasse le cadre d’un mois. […] Tout ce qui a été véhiculé en 68 a pu exister parce qu’il y avait eu des situationnistes, des surréalistes, des dadaïstes… Tous les slogans des étudiants en 68, ils les avaient pris dans leurs lectures, et nous, on était des vecteurs de ces gens-là ».

Et puis, il y a eu comme un coup d’arrêt. Pour Jean-Marie Klinkenberg, « ce qu’on a appelé la “crise “ dans les années septante est en fait une réorganisation du capitalisme qui a créé une nouvelle culture. Une culture de la fragilité, avec un retour sur soi… Les valeurs dominantes sont alors les valeurs proches : la famille, les amis (« Touche pas à mon pote ! »). Il y a eu un repli dû à une fragilité générale. La demande de sens, qui existe bien évidemment encore […], est dorénavant satisfaite par des replis sur l’intime. » Mais des traces de l’effervescence première continuent d’imprégner la vie quotidienne : « L’action théâtrale dans les écoles n’est plus la même, mais cette idée de contact direct demeure, elle est là. Au cinéma, — art populaire s’il en est, un art populaire qu’on voulait transmettre partout, et aujourd’hui, ça donne une espèce de réseau d’art et d’essai, avec les Grignoux. […] Ce sont les retombées positives. Il ne faut pas tomber dans le catastrophisme en disant que c’est fini ».

Pour Jaques Dubois, la fermeture du Cirque Divers et la « réduction » du centre liégeois de radio-télévision constituent de « violentes régressions ». « Ça ne veut pas dire non plus que les jeunes créateurs souhaitent qu’on revienne à des choses comme ça, mais tout de même, il y a eu un déficit… »
Yves Frémion propose une autre vision : « Tous les trucs que je n’arrivais pas à faire dans les années septante, je les ai faits dans les années 90 et 2000… Et je compte bien poursuivre encore pendant un siècle ou deux ! Moi, je pense que ça continue. D’autre part, ces dernières semaines, nous nous rendons compte que la révolution a lieu dans tous les pays arabes, et quand je vois le nombre d’Arabes qu’il y a à Bruxelles, à Liège et à Paris, je suis plein d’espoir. Il y a des gens qui font des choses. […] Aujourd’hui n’importe qui peut faire un film ou une photo avec son téléphone et le balancer au monde entier. Pour nous, c’était très compliqué, on allait piquer dans les patronages. On faisait d’énormes concessions. Aujourd’hui, en réalité, on a tout pour faire cent fois mieux qu’en mai 68. Alors après, il faut quand même avoir un peu envie de faire la révolution. Ça, ça ne se décrète pas, ça ne se vote pas : ça appartient à notre
liberté individuelle
 ».

Laurent Cholet explique que le problème a changé, il s’est déplacé vers « ceux qui finalement seront « les lecteurs », « les spectateurs ». A l’époque, il y avait une attente pour chaque fanzine, chaque pièce de théâtre, chaque concert… Les gens étaient capables de traverser une ville à pied pour aller voir un film ou écouter du jazz… Aujourd’hui, le problème c’est que tout est disponible. On peut tout faire, mais en gros tout le monde s’en fout ».

Jean-Pierre Bouyxou précise : « Il y avait des filières qui se construisaient. Quand on s’intéressait à un sujet, on savait qu’il y avait tel fanzine, tel journal, tel livre qui était sorti,… Maintenant, avec Internet, c’est comme chercher des moules en nageant au milieu de l’océan ».

En conclusion, Yves Frémion se veut raisonnablement triomphant : « Mai 68 s’est fait parce qu’on vivait dans une société de surconsommation et que nous, les jeunes, on n’en voulait plus. Et c’est là qu’on a gagné puisque, maintenant, les gens ne consomment plus, ils n’ont plus rien, ils n’ont plus de pognon… C’est la grande victoire de mai 68… »

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31 mars: La Nuit de la Belgique Sauvage

Sur une suggestion d’Une Certaine Gaieté, le Printemps de l’Irrévérence a aussi invité André Stas pour une soirée littéraire placée sous le signe de la pataphysique. Avec la complicité de Noël Godin, auteur d’une Anthologie de la subversion carabinée (Ed. Age d’homme), et la participation de Jan Bucquoy, Eric Dejaeger et Jean-Philippe Querton, Théophile de Giraud, Fanchon Daemers…

Visionnaires allumés, performeurs insolites, poètes, oulipiens, pataphysiciens, faiseurs d’aphorismes inspirés… Cette espèce bizarre de scripteurs dérangés n’est pas en voie d’extinction. L’écrivain et plasticien André Stas proposait ici d’en découvrir les spécimens les plus surprenants tout en évoquant la figure emblématique d’André Blavier, pataphysicien proche de Raymond Queneau avec lequel il a correspondu, et auteur d’une oeuvre unique : «Les Fous littéraires » (Ed. des cendres).

Notes:

  1. Jacques Dubois, Jean-Marie Klinkenberg & Nancy Delhalle (dir.), Le Tournant des années 1970. Liège en effervescence », Bruxelles : Les Impressions nouvelles, coll. “Réflexions faites”, 2010.

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