Sur le sujet, j’avais des informations plutôt disparates : d’un côté, les mises en garde catégoriques du CIAOSN [Centre d’Informations et d’Avis sur les Organisations Sectaires Nuisibles] sur les dangers liés aux manipulations de l’Eglise de Scientologie. Ce discours est conforté (sur le web) par quantité de témoignages terrifiants d’ex-membres repentis qui dénoncent des abus de pouvoir, le harcèlement et la dépendance financière ou psychique, très importants. De l’autre côté, les témoignages directs d’actuels membres de l’Eglise eux-mêmes, qui me semblent vivre une existence assez épanouie, aux antipodes de ce que j’avais appris. Bref, j’étais assez dubitatif quant à ce que j’allais y découvrir.
L’Eglise de Scientologie s’est installée dans les anciens bâtiments de la Cocof, à Bruxelles. Les lieux sont immenses et ont été entièrement rafraichis par ses nouveaux propriétaires. J’ai été aussitôt très bien accueilli : beaucoup de personnes aimables se tenaient à la disposition du quidam qui, comme moi, désirait jeter un œil à cette structure. J’eus même le privilège de disposer d’un guide qui me présenta le bâtiment et ses activités. La première chose qui me frappa était l’apparente et singulière opulence des lieux : l’église a les moyens de ses ambitions et ne s’en cache pas.
Dès le premier contact, mon guide, un homme d’une bonne cinquantaine d’années me questionna sur mes attentes et mes objectifs. J’ai préféré jouer cartes sur table et lui expliquer quelles étaient mes dispositions à l’égard de l’Eglise de Scientologie, c’est-à-dire un mélange de méfiance et de curiosité. Je souhaitais en découvrir davantage sur un milieu que je ne connaissais quasiment que par ouï-dire.
J’expliquai de prime abord que j’avais des appréhensions quant à la dépendance des membres vis à vis de l’Eglise, surtout du point de vue financier. « Contrairement à d’autres cultes, l’église de Scientologie n’est pas subventionnée. Elle vit des dons de ses membres. Aucun don n’est forcé », m’expliqua mon guide, « nous avons donc besoin de leurs apports pour permettre la diffusion de nos préceptes. Chacun est cependant libre de donner en fonction de ses possibilités: il est tout à fait envisageable d’être scientologue et ne pas avoir les moyens de contribuer financièrement à son fonctionnement. » Plus tard, interrogée à ce sujet, un membre me confirma cette information. « Je ne dépense pas de sommes folles pour l’Eglise ; mais je n’hésite pas non plus à payer une cotisation de 50,00€ par exemple pour soutenir une mission humanitaire dans l’un ou l’autre pays. De même, j’ai acheté certains ouvrages de référence de Ron Hubbard, j’ai alors payé, en moyenne, 30€ par ouvrage. J’en ai une dizaine. Cela ne me parait pas disproportionné ».
Relier les hommes avant tout
Mon guide me présenta ensuite brièvement l’organisation « Je comprends que le terme « Eglise » puisse vous choquer. Mais en réalité, il n’est utilisé qu’en référence au terme latin « religare » qui signifie « relier ». La scientologie cherche à relier les hommes entre eux. Le terme d’église correspond à cette volonté. Nous estimons que chaque homme est naturellement bon, mais qu’il faut parfois le guider. Nous disposons de méthodes efficaces afin de ramener de grands criminels à la raison. Nous avons en outre des procédés d’alphabétisation très performants qui ont fait leurs preuves dans des pays comme la Colombie, par exemple. »
« La Belgique et la France sont quasiment les seuls pays qui continuent à nous diaboliser. La presse et les politiques nous y font un procès inéquitable. Il est vrai qu’il existe des agendas cachés : l’un de nos chevaux de bataille est la lutte contre l’industrie pharmaceutique. Or celle-ci est toute puissante et alliée aux politiques, eux-mêmes de connivence avec le monde des médias. La société est abusée continuellement : on cherche à l’abrutir de médicaments de toutes sortes, pour l’empêcher de penser de manière adéquate. Et ce sont les politiques,
leurs « experts psychiatriques » ainsi que les médias qui en sont les complices, directs ou indirects, de cet état de fait. En tant qu’opposants à cette doctrine, nous sommes victimes d’une campagne constante de dénigrements ».
La tournure que prenait la discussion ne me plaisait pas : il est certain que la puissance du lobby pharmaceutique n’est pas à démontrer et que leur pouvoir (qui relève du bien être collectif ; il aurait dû être entre les mains de l’Etat, soit dit en passant) s’exerce de façon abusive, avec le blanc seing de certains politiques. Mais la « théorie du complot » et la victimisation sont des armes politiques trop connues pour leur caractère néfaste. Beaucoup de drames se sont joués, dans l’Histoire, via ce procédé.
« Les réponses à de nombreuses questions »
Mon guide passa à autre chose. « Nous estimons que 60% des maladies sont liées au mental ; prenant ce fait en compte, le scientologue se soigne bien mieux des maux que certains patients médicamentés à outrance, en se basant sur les principes développés par le fondateur de l’Eglise, Ron Hubbard dont la production théorique est phénoménale ». Pour valider cette affirmation, nous effectuons un passage par la librairie de l’Eglise qui paraît effectivement bien étoffée. « Les réponses à beaucoup de questions se trouvent ici. Une personne qui rencontre des soucis dans son milieu professionnel ou dans sa vie de famille, pourra être guidée via les principes formalisés dans ces ouvrages ».
« Dans chaque Eglise de Scientologie, nous avons des conseillers qui sont là pour répondre aux éventuelles questions qui leur seront soumises ». Mon guide m’explique alors que les personnes qui se forment sur base de ces ouvrages doivent s’impliquer dans leurs recherches pendant une bonne dizaine d’années avant d’en maîtriser une partie du contenu. « Tout problème a une solution : il ne s’agit pas de simples méthodes de communication ou de management, c’est bien plus poussé que cela ». J’en restai là et notai en mon for intérieur qu’il fallait absolument que je consulte ces ouvrages afin de me forger ma propre opinion.
L’Eglise de Scientologie constitue un mode de pensée particulier qui est né dans le monde anglo-saxon, à l’époque où le marketing et la communication en étaient à leurs balbutiements. L’Eglise a indubitablement évolué avec ces méthodes, les poussant à leurs extrêmes. Elle semble représenter pour ses membres, un lieu d’échanges convivial ; mais j’éprouve un malaise certain dans ce milieu, issu d’une culture à des années lumières de la mienne. Le fait que l’Eglise ne jure que par les écrits d’un seul homme, Ron Hubbard, dont la production théorique dense influence tant de personnes à travers le monde pose bien des questions.