Stas Academy

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Relisant ma prose du n° précédent, je regrette d’avoir glissé trop vite sur le somptueux roman de Tom ROBBINS, Une bien étrange attraction (Gallmeister). En effet, les aventures et théories des personnages qu’on y découvre ont continué à me trotter en tête : le magicien John Paul Ziller et son babouin Mon Cul (un avatar de Bosse-de-Nage ?), Plucky Purcell et son encombrante momie, Marx Marvelous et la sublime Amanda, fausse gitane mais vraie sorcière. Il y a du Jarry chez Robbins, c’est l’évidence, rien que le dénouement le prouve. Aussi, je réitère : farcissez-vous ce roman, on en sort « changé ». Ceci dit, contrairement à ma promesse, je ne vous parlerai pas de Rodrigo FRESAN cette fois-ci. Je l’ai un moment abandonné pour me farcir d’autres choses, mais j’y reviendrai, c’est sûr.

En effet, dans le Dictionnaire des Provocateurs, mon attention fut attirée par un zig dont j’ignorais tout (on ne peut pas tout savoir) : Marc-Édouard NABE, présenté comme peintre, musicien, écrivain, polémiste surdoué. Fils de Marcel Zanini (le petit homme au bob du tube « Tu veux ou tu veux pas », vous voyez ?), né en 1958, il écrit, âgé d’à peine 22 ans, un premier livre qui devra attendre cinq ans pour trouver un éditeur : Au régal des vermines. En février 1985, le jeune et brillant écrivain est invité par Pivot dans son émission Apostrophes, où il tient nombre de propos 100% « rentre dedans », dont certains que d’aucuns jugent antisémites. Tel Georges-Marc Benamou, qui saute dans un taxi pour débouler dans le studio et lui balancer un gnon monumental. Qu’avait donc dit Nabe pour déclencher pareille fureur : La Licra, vous savez ce que c’est ? Ce sont des gens qui se servent du monceau de cadavres d’Auschwitz comme du fumier pour faire fructifier leur fortune. L’association lui intentera d’ailleurs un procès (qu’elle perdit quatre ans plus tard) pour « diffamation et incitation à la haine raciale ». Le mal était fait : désormais son nom était presque devenu « un gros mot » et il eut beau faire éditer livre sur livre (26 ! ), il fut victime d’un black-out généralisé. Définitivement écœuré, il republia son premier opus au Dilettante, assorti d’une préface intitulée le Vingt-Septième Livre, dans laquelle il dresse un bilan terriblement lucide autant qu’amer sur sa « non-carrière » littéraire. Mettant en parallèle son échec et la réussite de Houellebecq (son ex-voisin d’immeuble), il annonce sa ferme intention d’arrêter d’écrire (son 28ème et dernier aura d’ailleurs pour titre l’Homme qui arrêta d’écrire). Un tel personnage à contre-courant avait tout pour m’interpeller. Quand j’en parlai autour de moi, je n’obtins que des idées toutes faites sur lui (c’est un antisémite ) mais constatai assez vite que tous ceux qui en causaient de la sorte n’avait absolument RIEN lu du bonhomme. C’est pas du tout mon genre ! Pour une centaine d’euros (quatre fois le prix d’origine, ce qui restait « une affaire » car certains libraires le proposent à 1.000 ! ), j’acquis donc sur le net ce premier livre qui tant sentait le soufre et le dévorai vite fait. Eh bien, ce type n’est pas plus antisémite qu’un autre, il hait simplement à peu près tout le monde et tire dans le tas ! Et pour notre plus grande joie, car il tape fort et juste, qui plus est d’une plume hyper-talentueuse. Exemple : « Nous vivons en pleine crise anthologique, une ère de dictionnaires, de catalogues. C’est la synthèse atroce du Oui classique et du Non romantique. Ô la radieuse confusion ! La Poubelle d’étoiles ! (…) Tout ce qui est dégénéré est bon. C’est l’époque de l’ampleur des merdes. Années soixante-dix ? Remise en question des merdes ! Années quatre-vingt ? Acceptation des merdes de la remise en question ! Ce sont les méninges de l’amusant, de l’ironique ! Ça leur est bien pratique aux Ironiques la mort de l’ « Artiste » ! (…) Toutes les maladies sont devenues des santés. les gens normaux, ce sont les pédés, les voyous, les ouvriers, les handicapés, les rockers, les lycéens, les minables.
Voilà la nouvelle crème. On a renversé le bocal! Moi je veux bien : je serai donc contre tout ce qui est normal, je suis le renversement! Il suffit de savoir où tracer la marge. Quelle merveille ! Un vrai petit bijou de révolution ! Le monde, c’est le monde à l’envers. On a pris tout ce qui était interdit ou mal vu et on en a fait les nouvelles valeurs. Il ne suffit pas de marcher sur les mains pour changer de corps, c’est le sang qui monte à la tête, pas l’âme… Moi qui ai toujours eu horreur des minorités, je suis servi. Je suis pour l’individu contre la minorité. J’exècre les majorités de poche, les hors-la-loi qui veulent être reconnus, les marginaleries revendicatrices, exclues mais jalouses… Ils sont tous là ces ratés d’une sale Réussite qu’ils envient secrètement alors qu’elle m’a vraiment toujours dégoûté moi. Si la plupart des larves margineuses avaient les moyens de voler la place des larves travailleuses, ça ferait un échange de paquets de larves avantageusement indifférent, apte à prouver la salope horreur de chaque partie. Ils aboient tous par petits groupes, sectes, communautés, revues, organes, organismes, mouvement mièvres ou sympas, sans s’apercevoir qu’ils ne sont que la maquette de tout ce qu’ils font semblant d’exécrer. (…) C’est notre époque ! Tout est moderne, tout le monde se croit dans le coup alors que dans tous les domaines c’est une dégénérescence terrible, une piédestalisation des conneries, une panthéonisation-rumination des chefs-d’œuvres mineurs. Toute vieillerie est prétexte à une exposition. On fait de l’art de n’importe quoi (c’est la néfaste influence du ready-made), on porte aux nues les nullités. Il faut avancer ! Au large les exemples ! Plus de peinture ? Plus de littérature ? Plus de musique ? Qu’à cela ne tienne : voici les nouveaux arts ! Beaucoup moins chiants ! Beaucoup plus « réalistes » ! Modernes ! Sociaux !… Avant le septième, le Déluge ! Voici la bande dessinée, la publicité, la danse « modern jazz », le cinéma, la vidéo, le living, la mode, la gym, la cuisine, et la variété ! Oui ! Bourrée de vrais professionnels : ils font tourner leur canne et les gens applaudissent pendant vingt minutes ! C’est plein de pros, de pros de la débilité ! Comme si c’était impressionnant d’être professionnel ! Quel intérêt de bien faire ce qui n’a strictement aucun intérêt ? Quelle belle chose que la Variété française aux panthéons ! La Chansonnette dans la Pléiade ! Guy Béart entre Baudelaire et Bossuet !  » Plus de 300 pages du même tonneau, brocardant sinon flinguant quasi toutes et tous… Et, même si c’est parfois franchement réac (mais un réac qui n’a pas hésité à défendre Action directe dans les colonnes de l’Idiot international ), ça génère plutôt souvent le bon rire ! J’arrête là avec cette aimable crapule de NABE, Empereur de la provoc, car je m’en suis farci d’autres (Zigzags (son second), puis deux pures merveilles jazzistiques la Marseillaise (sur Albert Ayler) ou Nuage (sur Django Reinhardt), et suis pour l’instant plongé dans les quatre énormes tomes de son Journal, où tout le monde déguste). C’est bien simple, j’ai l’intention de me taper les 28 (à commander chez lui car il a racheté tous les droits à ses anciens éditeurs). Un « cas » intéressant, vraiment !

La dernière fois que je vous ai parlé du curé MESLIER, c’était lors de la parution (aux Éditions libertaires) du bouquin de Thierry GUILABERT, préfacé par Michel ONFRAY, les Aventures véridiques de Jean Meslier (1664-1729) curé, athée et révolutionnaire. Je remets le couvert, en vous conseillant d’acquérir Il n’y a point de Dieu (Jean Meslier, athée, profession curé), le texte d’une pièce de théâtre de Gilles ROSIÈRE & Bernard FROUTIN (mêmes éditions, coll. Théâtre). Le très brillant Serge DERUETTE en signe la préface et la postface, lui qui vient de nous offrir un monumental Lire Jean Meslier, chez Aden, dans la collection « Opium du peuple ». Collant au plus près au texte du Testament, il nous entraîne avec une louable passion à la découverte du Mesliérisme. Car c’en est
bien fini aujourd’hui d’ignorer ou de minimiser la « bombe » que constitue le Mémoire du curé d’Étrepigny et de Balaives, petits villages des Ardennes, au nord de la Champagne. Ayant d’abord voulu aider les paysans et les pauvres (ses paroissiens), prenant fait et cause pour eux contre l’arrogante injustice du seigneur local qui les méprisait, il fut réduit au silence par l’archevêque de Reims et comprit de la sorte l’ignoble collusion de l’Église avec l’aristocratie. Il avait perdu une bataille, il s’agirait donc désormais de gagner la Guerre et d’abattre l’oppression féodale. Et comme la féodalité est bénie par l’Église, d’abattre l’Église. Et puisque l’Église se fonde sur la religion, d’abattre la religion. Et parce que la religion a pour « fonds de commerce » Dieu, rien moins que d’abattre Dieu, de Le détruire, purement et simplement ! Il écrivit donc la toute première théorie complète d’athéisme, d’anti-cartésianisme et de matérialisme philosophique (La matière ne peut avoir été créée. Elle a d’elle-même son être et son mouvement. ), sa pensée s’avérant aussi la toute première à être à la fois communiste et révolutionnaire ! (Unissez-vous donc, peuples ! Secouez entièrement le joug de ceux qui vous oppriment ! ) Si vous ignorez tout de ce précurseur incontournable, ruez-vous sur ce livre qui rend un hommage mérité à ce penseur d’exception qui souhaitait que tous les grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec des boyaux de prêtres. Un autre type dont la résurrection récente m’a fait un immense plaisir, c’est JOSSOT, un des caricaturistes les plus virulents de la Belle Époque. L’anarchisme de ses dessins (dont les inoubliables numéros spéciaux de l’Assiette au Beurre) n’a pas pris une ride, qu’il y fustige le « dressage » imposé aux mômes par les parents et les pédagogres, qu’il y assassine l’Église, l’armée, la flicaille ou la magistrature. Pourtant, ce ne sont pas eux qu’on réédite mais bien deux petits livres écrits par ce brave homme alors qu’il s’était installé en Tunisie : le Fœtus récalcitrant & l’Évangile de la paresse (chez Finitude). Toute la causticité de ses dessins se retrouve aussi dans ses mots. Dans le premier, passent à la Trappe les « déformateurs de cerveaux », dans le second tous les maux engendrés par le travail et son corollaire, la cupidité. » L’esclavage, la colonisation, les dérives de la science ou l’épuisement de la nature sont les conséquences de l’activité des industrieux, qui inventent sans cesse de nouveaux besoins pour inciter l’homme à travailler plus encore. »

Quelques petites choses du genre agréables à vous signaler vite fait bien fait: 1°un nouveau Franz BARTELT, la Fée Benninkova (le Dilettante). Une fée qui a perdu sa baguette se réfugie chez un handicapé, qui s’endettait jusque là pour qu’une caissière de grande surface accepte de dévoiler devant ses yeux dilatés les différentes parties de sa plantureuse anatomie… Grinçant à souhait. 2° le très cynique roman de Claire HUYNEN, Série grise (au Cherche Midi). Un vieil acariâtre en maison de repos décrit sans concession l’univers du mouroir où il attend sa propre fin. Heureusement, un très mauvais sujet y devient son poteau, pour notre intense jubilation. À épingler, un succulent dialogue avec le psy de service dont voici une réplique : — Vous ne croyez pas en une vie après la mort ? — Bien sûr que si. Je crois aussi à la paix dans le monde, à la morale de l’histoire, aux putains qui s’offrent à l’œil et à Mary Poppins. Et je suis convaincu que dieu a des gros seins. 3° la réédition chez Points de l’Art de péter (1751), de Pierre-Thomas-Nicolas HURTAUT, afin de ne rien ignorer des 62 sons divers qu’ils font entendre. 4° dans le même ordre d’idées, les Plats qui font péter, 36 recettes propres à incommoder vos ennemis ou se débarrasser des fâcheux, de Patrice CAUMON (Éditions de l’Épure). Bien plus poilant qu’un livre de cuisine ordinaire. 5°Pas ce soir chéri(e) ?, Une histoire de la sexualité aux XIXème et XXème s. (Racine). Si vous voulez savoir
de quoi nous nous serions, à ce qu’on dit, « libérés », parcourez ce bouquin plutôt bien documenté et croquignolesquement illustré. 6° Raymond MINNEN, la Subversion des objets, An artist in wonderland (100 Titres / Yellow Now) pour découvrir le génie de Mol, créateur d’insolentes autant que drôles anti-icônes où notre époque en prend plein la gueule. 7° De l’autre côté du tiroir, d’Olivier SMOLDERS (Yellow Now), un catalogue déraisonné, sorte de « cabinet de curiosités » dans lequel on vagabonde sans jamais s’emmerder une seule seconde.

Ne me reste qu’à vous « sommer » d’acheter en kiosque le premier numéro du mensuel satirique franco-belge ZÉLIUM(3 euros 50). Siné Hebdo & la Mèche ayant disparu, voici la relève ! Un max de dessins incisifs (du genre Sarko dans un désert balançant : Du haut de ces talonnettes, 45 mois vous conchient ), d’articles marrants ou saignants, bref, on en a pour ses petits sous… Il faut que ce nouveau vilain petit canard vive, les aminches, que ce ne soit pas un feu de paille. Plongez vers l’oseille et faites-lui un max de pub.Vaut-il mieux changer la face du monde, ou sa pile ? Penser à long terme ou panser à la va-vite ? La réponse dans ce journal, prometteur en diable.

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