Balade à Buda

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Lorsque, longeant le canal vers Willebroek, on aperçoit la silhouette métallique du Pont de Buda, on arrive dans un autre monde. Cette importante structure à tablier levant signale l’entrée du port de Bruxelles, même si ce n’est pas sa fonction première. On peine à imaginer que ce colosse parvient à se mouvoir, tant il semble figé dans sa carcasse, tel le géant Talos dans le film Jason et les Argonautes – qui, lui, finissait par s’animer, et belliqueusement encore, face aux humains et à leur parjure.

Le pont porte le nom d’une ancienne ferme construite à proximité et appelée Buda en référence à une bataille remportée par les Autrichiens sur les Turcs en 1686.Cette bataille marqua le coup d’arrêt de l’avancée ottomane en Europe. L’ouvrage actuel inauguré en 1955 par le prince Albert remplace une réalisation antérieure construite en 1934 et détruite durant la Seconde Guerre Mondiale. De l’autre côté du canal, on a construit une nouvelle véloroute sur le chemin de halage, mais elle ne mène nulle part. Là où elle vient mourir, deux cents mètres après le pont, commence la chaussée de Buda, et son cortège d’usines et de hangars abandonnés.

Sur les ruines du monde industriel

Au XIXe siècle, la pression urbanistique et industrielle ont complètement modifié le paysage de cette campagne un peu perdue aux marches de la ville. Champs, vergers et pâturages ont disparu progressivement, les grandes propriétés de plaisance construites le long du canal ont cédé la place à un no-man’s land industriel à faire peur. Le canal fut élargi sous Léopold II, à la hauteur du pont Van Praet se constitua l’avant-port de Bruxelles. L’activité agricole et l’habitat se sont réfugiés sur ses versants, du côté de Neder-Over-Heembeek, un des rares « villages » de Bruxelles à avoir su conserver un certain cachet.

La désindustrialisation a frappé durement le hameau de Buda, en pleine « reconversion », comme on dit pudiquement. Les démolitions ne vont pas sans poser de problèmes, vu la pollution des sols. Au début des années 2000, celle de l’ancienne cookerie du Marly (Carcoke Buda-Marly) provoqua même un grave incendie. Le site n’est assaini complètement que depuis le printemps 2010. Feues « Les Fonderies bruxelloises » (« Fobrux-Haeren ») sont toujours debout, mais à peine. Située en région flamande (Harensteenweg 521, à Vilvorde). Les bâtiments sont sur une liste de sauvegarde [http://inventaris.vioe.be/dibe/relict/70514], mais pas protégés. La fonderie fut en activité de 1920 à 1970 et était connue pour ses poêles à charbons ou ses cuisinières au gaz – on en trouve encore d’occasion.

Sur les ruines des anciennes usines, chaudronnerie, tannerie, chimie, etc., se sont implantées de nouvelles entreprises liées au secteur tertiaire, comme l’imposant terminal de DHL, dans cette architecture passe-partout faite de murs de tôles. Sur d’autres, rien, ou des bâtiments vides. Quelques maisons, il y a malgré tout des habitants à Buda. Au coin de la chaussée et du canal, un café « interdit aux mineurs » semble fermé pour de bon. C’était peut-être un café de dockers, avant. Au numéro 11, l’usine Zinchem-Benelux n’existe plus, il ne reste que son muret d’enceinte et sa boîte aux lettres. Zinchem, ex-Etablissements Franck & Steeman N.V., est aujourd’hui connu sous le nom de Prayon – qui occupe différents sites en Belgique. Le site de Buda a servi pour les « exercices stratégiques » de la police, avant d’être démoli fin des années 2000.

Au croisement de la rue du Dobbelenberg, il y a toujours cette piste de karting couverte, le dimanche c’est avec le bourdonnement du ring et celui des avions au décollage le seul bruit qu’on entend à Buda, et le seul endroit où l’on peut croiser une âme vive. L’ancienne visserie n’étais plus utilisée que comme hangar par la Sabena lorsque le « Kart’Inn » vint s’y établir en 1994, pour le plus grand bonheur de ceux que le coût de ce passe-temps bruyant ne rebute pas – à l’époque, 500 FB le quart d’heure. Le karting est la parfaite synecdoque de ce qu’
est advenu ce coin de campagne autour de la ferme de Buda, qui n’a pas seulement payé un lourd tribut qu’à l’industrie, mais aussi aux infrastructures de communications, qui tissent ici un nœud qui semble si pas inextricable, du moins passablement brouillon. L’ancêtre de Zaventem, l’aérodrome de Haeren, a été implanté dans un champ voisin, ce que le bruit des décollages nous rappelle toutes les cinq minutes.

Apprendre à jongler avec un diabolo

Enjambé par le viaduc de Vilvorde (le ring) au nord, par la Woluwelaan à l’est, le canal à l’ouest et la gare de formation de Haeren au sud, Buda sera bientôt également enjambé encore une fois par une nouvelle ligne de chemin de fer (le « diabolo »), déjà pléthorique. Autrefois, ces lignes desservaient les nombreuses industries de la zone. Elles transportaient les marchandises et amenaient les ouvriers – les haltes, Haeren-Nord, Buda, Machelen, sont toujours là. Elles permettaient aussi aux paysans qui ne s’étaient pas enfuis pour de bon d’embarquer leurs chicons, qui quittaient le village par trains spéciaux. Haeren, c’était aussi la région du chicon. Ils subsistent dans quelques potagers des riverains de Haeren ou de Dieghem. Il y a une rue du Witloof, à cheval sur les territoires de Haeren et Machelen.
C’est précisément là, sur le terrain de l’ancienne chaudronnerie Wanson, que le ministre de la justice entend construire une nouvelle prison, amenée à remplacer celle de Saint-Gilles. Car dans le monde tertiarisé, l’industrie punitive n’est pas en crise.

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