Cyber-révolution ou télérévolte?

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Soyez réalistes, demandez l’impossible

Depuis les évènements récemment survenus dans le « monde arabe», l’idée de prendre Facebook & Cie pour des plate-formes d’engagement politique a pris tellement de crédit que les responsables de Google et Twitter se sont associés pour mettre au point un service “Speak to Twitter” 1. Son but: aider les cyberactiviste à détourner la censure dont ont fait l’objet les réseaux sociaux lors des soulèvements populaires. Marc Zuckerberg (fondateur de Facebook) et Jack Dorsey (fondateur de Twitter) n’auraient pu rêver mieux pour la destinée de leur projet. Ces deux outils numériques se voient désormais auréolés d’une légitimité démocratique alors qu’ils n’avaient été conçus que dans une optique très terre à terre : sociabilité, rencontre, retrouvailles entre jeunes en quête d’excitation et d’échanges rapides. Deux idées prosaïques, certes, mais qui cadrent parfaitement avec l’accélération des mœurs.

Ce serait donc là — dans cet univers numérique souvent jugée oiseux et raillé par les sceptiques qui l’accusent d’abriter le « langage sms », de permettre aux « emoticones » de codifier les émotions, et au buzz de remplacer la réflexion – que seraient nées les révoltes qui ont renversé les tyrannies tunisiennes et égyptiennes. La simplicité et l’efficacité des outils numériques ont séduit une jeunesse arabe désenchantée par l’autoritarisme et l’archaïsme des médias d’État. Ces nouvelles générations aiment la rapidité des échanges, la libre circulation de l’information. En 2010, l’engouement pour les smartphones BlackBerry (difficiles à décrypter) avaient déjà éveillé les soupçons des autorités locales – qui décidèrent d’en interdire la vente. Qu’importe, les blogs foisonnent et reculent les limites des débats par la pratique. Au fil des tweets, des e-commentaires et des vidéos de téléphones, une conscience politique jaillit – même si elle reste désordonnée.

Les exemples tunisien et égyptien montrent qu’un mouvement de contestation peut naître sur les réseaux sociaux, en l’absence d’une ligne directrice claire – si ce n’est un « ras-le-bol généralisé ». La protestation résulte d’une conjonction de courants de pensées hétéroclites – puisque toute personne possédant un terminal numérique s’improvise émettrice de discours, productrice d’information. Ce manque d’encadrement amplifie le déchaînement révolutionnaire en suivant la variation des revendications : d’un point de départ économique, on aboutit rapidement à « Président, dégage ! ». D’ailleurs ce n’est qu’à la fin de la révolte égyptienne qu’on voit apparaître un début d’organisation avec « le rassemblement des jeunes de la révolution du 25 janvier ».
Tout au long des événements, le langage cybernétique sans ambages tranchera avec l’extrême prudence de l’opposition politique traditionnelle, ridiculisant la dialectique aseptisée des débateurs autoproclamés. Rendus amorphes par des années de marginalisation et de peur institutionnalisée, ceux-ci sont condamnés à suivre une contestation imprévisible en spectateurs. Même le guide des Frères Musulmans, historique parti d’opposition égyptien, se voit contraint d’avouer sur l’antenne d’Aljazeera qu’il « prend note de ce qui se passe Place Tahrir »

En faisant de l’information une denrée hautement périssable livrée en flux intarissable, les sites de microblogs auront réussi à tirer le tapis sous le pied des médias officiels – définitivement ringardisés. Toutefois, ce cyber-mouvement ne concerne qu’une frange limitée du peuple : classe moyenne et urbaine, étudiants, jeunes cadres… et il n’aurait jamais eu ce prétendu impact sans le concours des médias traditionnelle qui relayent l’info.

Une chaîne controversée

Depuis sa création en 1996, sur les modèles de la BBC et de CNN, Aljazeera, la chaîne arabe d’info en continu, se voulait professionnelle, pourfendeuse de l’immobilisme
politique, des dictatures et de l’impérialisme. Les régimes arabes l’ont rapidement jugée subversive. Dans le paysage audiovisuel local de l’époque, c’est la révolution totale. Mais ces dernières années, l’absence d’une matérialité du message transmis et le durcissement de l’attitude des autorités politiques en avaient un peu affaibli l’impact. Bien que bénéficiant d’une large audience, coups de boutoir permanents et tentation populiste des régimes dictatoriaux avaient fini par exacerber les nationalismes et entraîné un rejet du projet éditorial.

Quand Mohamed Bouazizi s’immole, Aljazeera semble mal en point. Longtemps interdite par Ben Ali, elle ne ménagera pas ses efforts pour détourner le black out sur l’information — se nourrissant notamment des vidéos et des photos de portables postées par des cyberdissidents. Sa ligne éditoriale flirte parfois avec le militantisme. Cette alliance stratégique s’impose comme une nécessité impérieuse pour les deux supports. Elle permet de livrer massivement l’information brute à la foule des spectateurs – les scènes de répression insoutenables intensifiant le courroux du peuple tunisien.

En racontant et filmant la répression, Aljazeera a participé à galvaniser le mécontentement, mais il faut raison garder. Les soulèvements réprimés dans le sang n’ont pas attendu les nouvelles technologies de l’information pour marquer l’histoire de la région. Derrière le fatalisme apparent de ces peuples, un terreau d’injustice social et un climat explosif latent existaient… L’étincelle met le feu à la plaine quand la sécheresse est passée d’abord.

Notes:

  1. Service qui permet d’utiliser les réseaux téléphoniques pour envoyer des messages aux sites de microblogages

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