A l’heure où les mobilisations sociales et les mouvements de contestation réussis se font au départ de facebook… A l’heure même où des employés d’IBM Italie ont fait plier leur direction en convoquant une mobilisation d’avatars sur « Second Life » pour un premier piquet de grève virtuel… Comment les syndicats questionnent-ils leur pratiques, leurs modes de communication et leur identité par rapport à un monde du travail et à un monde tout simplement en pleine mutation ? Et au-delà de certaines formes expérimentales et minoritaires émergentes à l’étranger, nos grands syndicats institutionnels belges seront-ils capables de se réinventer et de relever les défis qui ne manqueront pas de se poser au 21ème siècle ? Ou vont-ils simplement continuer à vivre, comme de simples réminiscences des luttes des 19ème et 20ème siècles, de plus en plus marginalisés ?
Entretiens avec J-F. Ramquet, Secrétaire Régional FGTB Liège-Huy-Waremme et D. Scuvie & P. Lepinne, permanents fédéraux CSC Liège-Huy-Waremme.
C4 : Le contexte socio-économique et l’organisation du travail ont changé ces dernières années… Ces mutations profondes ont-elles transformé le travail syndical et fait émerger de nouvelles pratiques?
CSC : Dans le monde globalisé, c’est plus difficile pour nos délégués d’avoir des interlocuteurs qui ont quelque chose à dire en direct, qui ont encore un pouvoir réel. De plus, les décisions que l’on prend ici s’inscrivent aussi dans un contexte plus global sur lequel on n’a pas toujours de prise directe. Ces deux éléments induisent la nécessité d’avoir une autre approche. De nouvelles problématiques ont aussi émergé, comme l’environnement, la mobilité… qui s’imposent comme des problématiques syndicales parce qu’elles ont un impact direct sur les travailleurs et/ou les entreprises. Bien entendu nous restons attentifs aux phénomènes d’inégalités, de chômage, aux questions d’emploi, qui sont toujours très présents. Mais nous devons former les délégués aux nouvelles problématiques. Ça nous oblige à être plus ouverts aux questions citoyennes, ainsi qu’aux ONG et autres organisations qui les traitent. Ça nous oblige aussi à travailler avec beaucoup plus de paramètres. Les délégués sont confrontés au départ avec des demandes très concrètes, et il est clair que le premier rapport de force sera toujours dans l’entreprise, à un niveau local. Mais il y a une prise de conscience par rapport à la nécessité d’un cadre général. Quand l’Allemagne ou la France sont contre l’indexation des salaires, ça met une pression sur nos délégués et nos travailleurs affiliés ici, et ils comprennent que le combat doit se faire aussi au niveau européen
FGTB : Oui et non. Les syndicats ont toujours dû s’adapter aux différents contextes et évolutions socio-économiques. Peut-être ce mouvement s’est-il accéléré aujourd’hui. Mais, à travers le temps, la FGTB a su garder le cap et conserver sa structuration, ses objectifs et moyens d’action : la construction du rapport de force avec le capital, le contrôle ouvrier, l’indépendance syndicale… Bien sûr, nous sommes confrontés aux grandes tendances actuelles: le passage de l’industriel aux services, des grandes entreprises aux plus petites. Et puis la flexibilisation de l’emploi à travers la multiplication des types de contrats, le temps-partiel, l’intérim, l’apparition de nouvelles formes comme les titres-services… Dès lors, on a créé des délégations syndicales dans le secteur des titres-services. Et on mène une réflexion vers ce qu’on appelle un « syndicalisme de réseaux » en essayant de représenter soit plusieurs métiers dans une même entreprise, soit même plusieurs (petites) entreprises dans un même zoning, par exemple. Pour ce qui est de notre philosophie générale et des luttes de terrain, nous sommes encore du côté du syndicalisme de lutte. On le voit récemment avec l’Accord Inter-professionnel: la FGTB mobilise et revendique, là ou d’autres choisissent la voie du compromis. Nos pratiques évoluent, pas nos fondamentaux.
CSC : On essaye de travailler à un niveau davantage international, et notamment européeen, avec la Confédération européenne des syndicats (C.E.S.). Nous tentons de mettre en place des outils de régularisation à un niveau européen. Et cela s’étend au niveau mondial, car c’est en améliorant les conditions de travail dans les pays émergents que l’on évitera les délocalisations et les pressions sociales chez nous. Nous veillons aussi à établir une protection sociale minimum au niveau mondial. Dans cet esprit, nous participons à des réflexions ouvertes dans les Forums sociaux. Le service « international » a dès lors pris de l’importance ces dernières années. Sinon en termes de stratégie, dans la mesure où nous intégrons les nouvelles problématiques qui ont un impact sur les conditions de travail et les entreprises,
et étant donné la mondialisation du contexte, nous devons former nos délégués en fonction, leur donner un bagage adapté à un cadre beaucoup plus complexe.
C4 : Les syndicats ne sont-ils pas moins sectoriels, plus « généralistes » ? Il y a des campagnes comme celle sur l’impôt à la FGTB, ou « Vêtements propres » à la CSC… Et puis des collaborations comme celle de la FGTB avec un événement culturel comme le « Festival de Liège »…
FGTB : Le FGTB a toujours été présente dans les grandes thématiques de son temps. Déjà dans les années 60, la FGTB était présente dans le mouvement pour la paix, à travers la création de l’ «Union liégeoise pour la défense de la Paix », puis il y a eu les plannings familiaux , les assos d’éducation permanente… Je ne sais pas si on est plus généraliste. Bien sûr, il y a la mondialisation qui oblige un peu à ça. Par rapport à la campagne impôt, ça nous semblait être une problématique importante, une réponse à l’offensive libérale qui déferlait alors sur le sujet. Pour ce qui est du Festival de Liège, la culture est pour nous un enjeu démocratique et militant important, et ce festival est un lieu où on «interroge le présent », il nous semblait normal de nous y associer, comme pour les « Nuits blanches contre l’extrême-droite » et autres. Quand on a créé le 1er Mai associatif, il y a plus de dix ans, et qui est maintenant incontournable, c’était aussi une façon innovante d’investir le champ culturel!
CSC : « Vêtements propres » est une campagne sur laquelle on est effectivement très actifs. Cette campagne traduit une vraie préoccupation pour les conditions de travail dans les pays étrangers. Non seulement on s’en préoccupe, mais une telle initiative montre que chacun peut être acteur à son niveau. C’est une campagne internationale, mais à la fois très concrète. Et son message est compris aussi bien par les délégués que par les travailleurs.
C4 : Comment intégrez vous les NTIC, internet, facebook dans le travail syndical?
FGTB : Il y a 20, 30 ans, il existait une presse de gauche, aujourd’hui plus, donc il faut utiliser les moyens qui existent, d’où les chaînes de sms et de mails, facebook et tout ça. Notre asbl « Promotion et Culture » s’occupe de cet aspect des choses. On essaie par exemple d’être réactif à travers des vidéos présentes sur nos sites. Les nouvelles technologies sont un moyen moderne d’informer et de mobiliser, et finalement de peser sur les réalités. Il ne faut pas les négliger.
CSC : C’est nouveau, c’est quelque chose qu’on commence doucement à investir dans la culture syndicale. Nous utilisons facebook, mais les discussions sur le fond ne se font pas sur les sites. Et puis la notion d’éducation permanente est essentielle, nous voulons permettre aux gens de construire leur analyse sans livrer de messages tronqués, et c’est un travail à long terme qu’il faudra apprendre à adapter aux nouvelles technologies.
C4 : A votre avis, qu’est-ce qui caractérisera l’engagement syndical demain?
FGTB : D’abord, il faut rester fidèle à nos valeurs et à des modes d’actions qui ont fait leurs preuves. Mais, on n’est pas naïf! On baigne dans une idéologie libérale forte. Il y a le problème de la consommation à outrance, du marketing, de l’endettement facile. Nous devrons être présents sur ces terrains-là. Tu fais de la démagogie libérale en deux minutes, mais tu expliques la solidarité en deux heures! Expliquer, et encore expliquer : voilà l’un des grands enjeux pour le syndicalisme demain. L’union du mouvement syndical international et européen est aussi un enjeu de taille si nous voulons mieux peser sur le rapport de force global. Il y a d’ailleurs une nouvelle direction à la CES dans laquelle nous mettons beaucoup d’espoir. Les réseaux internationaux du type Forum Social sont aussi importants, collaborer avec nos partenaires du sud, mieux comprendre leurs problèmes et trouver des réponses communes, c’est essentiel. Mais notre priorité reste d’agir sur le
terrain, de peser sur les réalités quotidiennes des travailleurs ici et maintenant. Penser global, agir local!
CSC : C’est la poursuite de l’internationalisation, d’une solidarité qui va au-delà des frontières. Mais il faut la structurer et l’organiser. L’évolution est nette dans ce sens-là. Et nous pensons que c’est la seule issue. Même s’il est confronté à un contexte plus global, le mouvement syndical restera un mouvement social fort, parce qu’il est ancré dans la réalité quotidienne des gens : le travail, le revenu. Et ces questions qui sont au cœur des vies de tout un chacun.