Un jour, en se promenant dans la rue, quelqu’un demande à
Diogène ce qui est le plus beau au monde, et il répond : « le franc-parler ». En rendant hommage à ce bel apophtegme, Tarek Essaker, le soir de l’ouverture du Festival de Liège, a poussé « un coup de gueule » pour critiquer l’attitude hypocrite de nos démocraties vis-à-vis de la dictature en Tunisie.
« Des faux culs, des traîtres, et en même temps des opportunistes qui changent de veste, de pantalon, de jupe à tout moment. Qui est-ce ? Ce sont les Etats européens qui ont soutenu la dictature en Tunisie pendant quarante ans ». C’est avec cette phrase que Tarek Essaker commence son intervention, en disant tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Ce Tunisien exilé depuis trente-deux ans exprime la rage, le dégoût et la contrariété qui l’ont animé pendant des décennies envers l’appui inconditionnel des pays européens au dictateur Ben Ali. Tarek condamne ces « dites » démocraties qui ont fermé les yeux face à une dictature qui a appauvri son pays, torturé ses amis, volé les ressources de son peuple et qui a fait de Tunis une réserve touristique pour étrangers.
« Des hommes et des femmes politiques de nos pays ont permis un régime dictatorial où répression et politique sanguinaire conservaient au frais le monopole politique. Ils ont appuyé un despote pour préserver leurs intérêts, pour conserver un marché juteux avec une main d’œuvre bon marché et une absence totale de syndicats capables de revendiquer des droits pour les travailleurs. » Tarek fulminait, derrière la fumée de sa cigarette. « Les Etats européens ont fait de la Tunisie un pays proche où tout se passe bien, ce petit peuple tranquille qui ne comprend rien à rien ! Ils conféraient ainsi une légitimité à la dictature et en même temps profitaient de contrats fructueux. Tout en sachant que les aides économiques et les investissements ne servaient pas au peuple, mais plutôt à une poignée de privilégiés qui participaient à la corruption».
Mais pour Tarek, venir dans le tonneau de Diogène, c’est aussi saluer la révolution de son peuple. Des revendications qui sortent de l’ordinaire en cette époque d’immobilisme social, mais surtout qui laissent percevoir la lucidité et la maturité d’un peuple fatigué d’être bafoué. « Cette révolution nous montre comment un peuple a décidé de changer son avenir et d’entamer une lutte pour être gouverné par le bas plutôt que par le haut. Et maintenant, ces mêmes démocraties qui ont soutenu l’ancien satrape disent au peuple tunisien qu’ils veulent une transition calme pour instaurer une démocratie, mais pas n’importe laquelle. Les Européens et autres veulent une démocratie qui continue à être profitable pour les entreprise occidentales situées en Tunisie. » Il termine, révolté.
Pour donner le coup final à son intervention, l’écrivain tunisien décide d’immoler une poupée Barbie. C’est un hommage à Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant de vingt-six ans qui s’est aspergé d’essence et s’est immolé par le feu devant la préfecture de police après la confiscation de son unique moyen de vie : une charrette de fruits et légumes. Cet acte de rage a marqué les révoltes en Tunisie et est devenu un emblème pour les manifestants. De son côté, Tarek, fatigué des immolations de gens brisés par pauvreté insoutenable, a pris en otage une Barbie pour la brûler devant les spectateurs, en un acte symbolique. « Cette poupée ne représente pas le peuple européen » assure Tarek. « Ceci évoque une espèce d’icône de la consommation et du néo-colonialisme. Ces Barbies, si blondes et si parfaites sont aussi arrivées en Tunisie. Elles symbolisent l’expansion du modèle occidental comme idéal à suivre. Mais derrière cette petite blonde se cache une situation d’inégalité et d’exploitation créée par le néo-capitalisme. Je veux mettre en garde les gens d’ici et les inciter à se poser des questions sur notre démocratie et sur son rôle dans la liberté ou l’aliénation des autres peuples. »
Pendant que la poupée crame sur le sol, Tarek revendique finalement, « Que toutes les Barbies s’immolent à la place de tous ces gens pauvres qui se sont tués car ils avaient faim et désiraient retrouver leur dignité »