Le Cercle des Cinés, « living cinema »

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Le Cercle des Cinés, dans le quartier du Laveu à Liège, c’est un ciné-club devenu espace de culture alternative. Au sein de la salle de quartier paroissiale qu’il investit chaque dimanche, on trouve, pêle-mêle, un bar, des baby-foots, une table de billard et des fauteuils récupérés qu’on groupe au centre de la pièce avant les projections ou les concerts. Le confort est modeste mais la qualité de l’accueil et de la programmation est telle qu’on est sous le charme. J’ai rencontré Sébastien Demeffe, vidéaste et porteur du projet depuis ses origines. Il a bien voulu nous présenter cette initiative pleine de promesses.

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C4 : Le Cercle des Cinés, comment ça a commencé?

Sébastien Demeffe : Moi, j’ai grandi ici et j’ai toujours été en lien avec l’infrastructure du quartier. J’y suis né. J’y ai été baptisé et je connais bien les gens de l’église. Après, je n’ai plu eu de contact avec la paroisse jusqu’au jour où j’ai appris qu’il y avait des changements dans cette salle de quartier. C’était il y a cinq ans.

C4 : Quels types de changements ?

S.D. : Les activités proposées étaient devenues un peu « refermées » sur un club de billard et les «trois-fois- vingt» qui faisaient du scrabble. Il y a eu un besoin de renouveau et on m’a proposé d’organiser des projections parce que j’avais étudié le cinéma. Au début, j’ai dit oui un peu comme ça, par sympathie pour les gens qui me l’ont demandé. J’ai appelé un ou deux amis pour m’aider à organiser une projection par mois. La deuxième année, on est passé à deux projections par mois et la troisième année, tous les dimanches.

C4 : Et puis vous avez diversifié les activités ?

S.D. : Oui, par la suite, on a organisé des concerts. Actuellement, on aimerait aussi développer des représentations théâtrales, des conférences, un G.A.C (Groupe d’Achat en Commun ndlr)… On s’éloigne assez bien du cinéma, même si ça reste l’activité principale. On cherche à élargir les publics et l’ouverture qu’on a sur le quartier.

C4 : Quelle est la dynamique du quartier du Laveu actuellement ?

S.D. : Le quartier du Laveu, c’est plutôt un quartier riche, de la classe moyenne en tout cas. Mais il y a aussi peu de rencontres. Je peux comparer puisque j’y ai grandi. J’ai l’impression que c’est moins vivant actuellement, qu’il y a moins de contacts entre les habitants des différentes générations. Et ça, je crois qu’on doit le travailler. On doit sortir de notre préoccupation de la programmation qui intéresse jusque-là quelques passionnés et le réseau d’amis qui sont un peu nos semblables.

C4 : Vous investissez donc le lieu de plus en plus ?

S.D. : Oui. Le collectif est maintenant plus solide. Les anciennes activités de la salle paroissiale ont définitivement perdu leur souffle. Depuis un an, on est pratiquement amené à gérer le lieu et à accueillir nous-mêmes d’autres initiatives. Il y a pas mal d’anciens responsables de la salle qui sont partis dernièrement. Et donc, au fur et à mesure que des gens partent, nous, on reprend des choses en main. Le glissement se fait lentement mais de plus en plus concret: on fait des petits travaux, on cherche des financements pour le matériel…  Enfin, c’est quelque chose qui est en train de se passer et c’est encore très lent.

C4 : Comment abordez-vous la programmation des projections ?

S.D. : C’est une programmation qui est pointue dans le choix des films mais je ne crois pas qu’elle soit inaccessible pour autant. Pour nous, il y a des trucs très pointus qui sont généreux, qui ont une ligne d’humour ou qui sont emprunts d’un engagement artistique ou social qui va permettre d’accrocher le spectateur par rapport à certaines questions. Le cinéma est un outil très fort pour créer des liens entre différents réseaux, différents centres d’intérêt, différentes classes sociales… On a envie de travailler un public curieux de découvrir des choses sans s’enfermer dans un truc de spécialisés.
On projette aussi énormément de films qui ne sont pas connectés au public, les films dits invisibles. Il faut savoir qu’il y a un décalage toujours plus grand entre la quantité de films qui sont produits et la quantité de films qui sont distribués, même dans les salles « art et essai ». Le fait que je travaille dans l’audiovisuel me permet d’être en contact avec plein de choses qui se font et qui ne se verront jamais, ni en télé, ni en salle. Elles circuleront soit par le réseau associatif, soit via le circuit du cinéma indépendant, soit dans les festivals, mais là on s’adresse à un public d’initiés.

nC4 : Quelles sont vos affiliations ?

S.D. : On est en train de s’inscrire dans un réseau de lieux d’écrans informels de projection à un niveau européen qui s’appelle Kino Climates. Il y a un an, le cinéma Nova (1) et le Festival de Rotterdam (2) ont organisé une grosse rencontre entre les lieux informels de projection européens, à laquelle nous avons été conviés. On doit être un des plus petits lieux et un des plus modestes de tout le réseau. C’était intéressant pour nous parce qu’on s’est rendu compte qu’il y avait plein de manières d’aborder ces formes de diffusion alternatives et plein de manières de reconnecter le public avec ces films invisibles. Le fait d’être constitués en réseau nous permet aussi de devenir nous-mêmes diffuseurs et distributeurs de films. On peut facilement, grâce à ce réseau, contacter d’autres lieux et d’autres cinémas pour faire circuler des films qui nous intéressent, des réalisateurs ou des gens avec qui on est en lien et qui n’arrivent pas à distribuer leurs films.

C4: Quel est le point commun entre tous ces lieux de projection informels?

S.D. : Entre Liège, Moscou, la Sibérie, l’Allemagne ou Rome, on constate des contextes culturels et politiques très différents, mais il y a une envie commune de ramener le cinéma à un cadre plus vivant. «Living cinéma », c’est un des termes qui peut nous définir. On a tous envie d’un lieu de projection où on peut discuter, où il y a des débats, où il y a des conférences, où il n’y a souvent pas que du cinéma mais aussi de la musique, où on invite les réalisateurs… Enfin, c’est plus qu’un cinéma !

C4 : Quels autres lieux en Belgique font partie de ce réseau ?

S.D. : En Belgique, il y a le cinéma Nova, qui est au niveau européen, si pas mondial, le cinéma alternatif le plus abouti. On ne s’en rend pas compte parce qu’il est là et qu’on y est habitué mais c’est un endroit complètement incroyable. C’est une programmation qui est gérée collectivement, à rebrousse-poil de l’industrie du cinéma. Ceci dit, il n’y a pas non plus de rapports de force. Ils programment des films qui sortent de l’industrie comme d’autres qui n’en sortent pas. C’est une approche de la programmation totalement libre.
En Belgique, il y a aussi le cinéma OFFoff à Gand, qui se situe plutôt du côté des arts visuels, de la vidéo d’art.

C4 : Actuellement, qui constitue le collectif du Cercle des Cinés ?

S.D. : Il y a une dizaine de personnes et un noyau dur de cinq-six personnes qui sont plus actives. Ce sont pratiquement tous des trentenaires. Ceux qui se sont impliqués dernièrement sont issus du quartier du Laveu. C’est à la fois légitime et nécessaire. Ca nous permet de nous recentrer sur la vie du quartier.

C4 : Comment fonctionnez-vous pour l’organisation?

S.D. : On communique en permanence via mail. Tous les jours, on s’envoie des courriers sur des idées de programmation, et pour savoir qui fait quoi le dimanche qui suit. Dès que le besoin s’en fait sentir, on organise une réunion et on fait le point sur un certain nombre de choses. Mais c’est très aléatoire. Ça s’improvise beaucoup, en fait.

C4 : Et au niveau des moyens financiers ?

S.D. : Pour l’instant, on n’en a pas. Par contre, on n’a pas de loyer. C’est une forme de financement. Actuellement, on cherche des moyens mais pas des subsides récurrents. On cherche des subsides exceptionnels pour améliorer l’installation générale et pour pouvoir offrir un meilleur confort aux gens qu’on invite (musiciens, cinéastes…) et aux spectateurs. Il y a aussi des petits travaux qu’on voudrait mettre en œuvre : construction d’une scène, installation de structures pour faire de l’accrochage, rénovation de la cuisine…

C4 : Ça fait pas mal de perspectives pour l’avenir?

S.D. : Oui, on est en train de s’approprier un lieu, de s’interroger sur ce qu’on veut en faire, et de s’interroger aussi sur notre identité en tant que collectif.

Cercle des Cinés :
tous les dimanches à partir de 20h – rue des Wallons, 45 à 4000 Liège
Pour recevoir la newsletter ou pour toute autre information sur le Cercle des Cinés : http://www.cercledescines.info/

Propos recueillis par Emmanuelle Garrot

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Notes:

  1. (1) Salle de cinéma alternatif à Bruxelles
    (2) Un des plus grands festivals de cinéma internationaux en Europe, qui soutient notamment la production de films des pays en voie de développement

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