Brillant vagabond, voyou débraillé, têtu comme une mule, Diogène traîne dans les rues, squatte les portiques, quand il ne « réside » pas dans son célèbre tonneau. Il méprise les convenances et les règles, en théorie autant qu’en actes – urinant, copulant ou se masturbant devant tout le monde. Il n’hésite pas à interpeller brusquement les passants – d’autant plus s’il s’agit d’un puissant ou d’une célébrité de l’époque. Il ne manque jamais une occasion de bouleverser l’ordre social et de remettre à leur place les grandes autorités de l’époque – comme Platon, qu’il considère comme un bavard impénitent, ou Alexandre Le Grand, qu’il écoute à peine quand celui-ci lui parle.
On finit par le surnommer “le Cynique”. Notamment parce qu’il vit un peu comme un chien : remerciant ceux qui lui font l’aumône en les léchant, mordant ceux qui le rudoient et aboyant pour imposer le silence dans l’assistance. Et puis, à tous ceux qui pose des questions jugées stupides, il n’hésite pas à montrer son cul.
Diogène voyage dans tout le monde antique : on l’aurait aperçu à Corinthe, à Thèbes, à Milet, à Sparte, à Ephèse, à Syracuse. Il n’a aucune attache : tout ce qu’il possède tient dans sa besace. Il n’a ni famille, ni patrie. Des pirates le capturent, et il est vendu comme esclave à un riche notable corinthien – qui en fait le précepteur de ses enfants. Ses amis veulent le racheter, mais il se moquent d’eux et leur lance : «Les lions ne sont pas esclaves de ceux qui les nourrissent, leurs esclaves sont ceux qui les entretiennent; un esclave a peur, la bête sauvage fait peur !».
Ce philosophe aux pieds nus passe pour un fou, au mieux pour un marginal qui se met en tête de subvertir l’ordre établi et de bousculer les conformistes – en déconstruisant les fondements de la civilisation et en s’attaquant à tous les tabous. Il aurait d’ailleurs déclaré à l’un de ses interlocuteurs : « N’écoute pas les radoteurs qui te disent : ne fais pas ceci, ne fais pas cela! ». Il aurait même vitupéré contre les pingres en proclamant à qui voulait l’entendre que « tout est à tout le monde ».
Diogène meurt de vieillesse alors qu’il a plus de 80 ans, à Corinthe, en 323 av J-C – le même jour qu’Alexandre Le Grand, selon la légende. Certains pensent qu’il a retenu sa respiration, tandis que d’autres affirment qu’il aurait avalé un poulpe vivant. Ses dernières volontés réclamaient qu’on laisse son corps sans sépulture pour qu’il puisse être bouffé par les chiens. Mais on lui organisa des funérailles officielles et, dans sa ville natale, on lui érigea même un monument…
2011, Festival de Liège. Dans la ruelle, à l’écart des festivités, D’une Certaine Gaieté installe un tonneau et offre la possibilité aux bannis, aux vagabonds, aux faux-monnayeurs, aux bâtards, aux insoumis, de venir s’y installer un moment pour haranguer la foule, interpeller les puissants, poser les questions qui fâchent ou nommer des vérités que d’aucuns préfèreraient cacher. Un slogan, une diatribe, un pamphlet, une phrase, un cri… Parce qu’au point où on en est, pourquoi ne pas ressusciter le plus célèbre des philosophes cinglés et des sdf charismatiques, Diogène le Cynique – celui que le grand Platon appelait « le Socrate fou »? Et réhabiliter sa mémoire en explorant notre présent pour se moquer des règles en vigueurs, des lois, des hiérarchies sociales – voire des fondements de la civilisation, si on veut…
En cette période de crise, la voie poétique ne serait-elle pas l’issue qui s’impose – en écho à une de ces fameuses formules que Diogène aurait lancée à partir de son tonneau : « Construis ta vie comme une oeuvre d’art, forte, unique, parfaite. Érige en toi ta propre loi, à la fois inébranlable et vivante.»?
Du 21 janvier au 19 février 2011, dans l’entrée de la Caserne Fonck, le Tonneau de Diogène accueillera tous les paradoxes de notre temps. Et la vie pourrait bien s’y créer, comme une oeuvre d’art– en se jouant de l’avis de ceux qui comptent, en ignorant les «vraies » valeurs, en provoquant les puissants.
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