L’International, nouvelle scène culturelle ?

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« Présenter l’essentiel du patrimoine culturel d’un pays »

Quand des grands évènements culturels internationaux (Biennale de Venise, les Brigittines, la Berlinale…) se centrent sur une pratique artistique particulière (l’art contemporain, le théâtre, le cinéma), le festival Europalia ou le titre de Capitale culturelle européenne visent, eux, à présenter l’ensemble des facettes de la culture d’un pays. Le pays est donc le centre, et sa culture représente la manière dont il sera approché. La démarche est tout autre.

En Belgique, il y a surtout Europalia, qui prétend au titre de festival international des arts, et s’est donné la mission de présenter rien de moins que « l’essentiel du patrimoine culturel d’un pays ». Pendant un peu moins de cinq mois, une série de présentations, spectacles, expositions, lectures, conférences… sera présentée au public avec l’envie affichée de plonger tout entier le visiteur dans l’atmosphère du pays invité. Après la Chine en 2010, c’est le Brésil en 2012. Un pays qui monte économiquement, également. Le choix n’est pas dénué de sens.

Le festival est le résultat d’un accord de collaboration entre le pays organisateur (la Belgique) et le pays-thème (le Brésil pour 2012). En mai dernier, lors de la mission du Prince Philippe au Brésil, l’accord définitif de collaboration a été signé entre les deux pays. Deux commissaires généraux ont été désignés. L’un Brésilien et l’autre Belge. Chez nous, c’est Pierre Alain De Smedt qui hérite de la fonction. Rappelons, en passant, que Pierre Alain De Smedt est le président de la FEBIAC (Fédération automobile). Il est également vice-président de la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique) et durant sept ans a été président du Groupe Volkswagen Brésil, « alors la plus grande entreprise privée d’Amérique du Sud » nous apprend le dossier de presse d’Europalia. 1 Ce même dossier nous indique toutefois que le rôle de M. De Smedt sera davantage celui d’épauler les équipes artistiques et exécutives. Nous voilà rassurés.

Les deux pays désignent ensemble les curateurs en charge des différents domaines artistiques du festival (musique, danse, théâtre,…). Toute l’organisation du festival, des titres des expos, aux artistes invités se réalise en lien étroit avec le pays présenté et aucune décision ne sera prise sans l’aval de celui-ci. La Chine, l’année passée… Cela donne à penser, question liberté laissée aux institutions culturelles partenaires. Pour l’édition 2010, certaines expos durent changer de nom parce que le titre initial ne plaisait pas à la Chine – lorsqu’il évoquait, par exemple, un lien entre religion et commerce. Cette liberté laissée aux institutions du pays partenaire a de quoi étonner : on peut s’interroger sur la culture montrée dans le cadre de ce genre de festivals internationaux.

La présentation exhaustive de la culture du pays invité

Une des fiertés du festival Europalia est de pouvoir prétendre à la présentation d’œuvres d’arts uniques, qui n’ont parfois jamais encore été exposées ailleurs que dans leur propre pays. Ensuite, la volonté du festival est de balayer le paysage artistique et culture du pays. Grande exposition phare aux Palais des Beaux-Arts proposant une série d’expériences artistiques retraçant le passé du Brésil, présentation de la scène artistique de Rio de Janeiro pour la ville d’Anvers, arts graphiques à La Louvière, concerts de musiques classiques, traditionnelles, Sambas, Pagode, danse, théâtre, performances, littérature, cinéma,… On en aura plein les yeux en 2012 ! Projets issus des scènes traditionnelles, d’artistes prestigieux de renommée internationale ou de jeunes artistes issus de la scène expérimentale, Europalia veut tout (re)présenter.

Bien sûr les projets seront d’une grande qualité, puisque les moyens humains et financier mis à contribution le sont également. Par exemple, nous aurons l’
occasion de voir ce spectacle de marionnettes traditionnelles proposé par une troupe de théâtre itinérant qui n’a jamais joué ni hors du Brésil ni dans une salle de spectacles. Mais nous n’aurons du Brésil que l’aperçu que celui-ci voudra bien nous donner. Vitrine du pays, promotion d’un Brésil «résolument moderne » comme il se doit. Tant que le public répond présent. Europalia Chine a comptabilisé pas moins d’un million de visiteurs en Belgique et dans les pays limitrophes (France, Luxembourg, Allemagne, Pays-Bas).

Les Capitales européennes de la culture

Autre projet culturel à dimension internationale, celui du titre de Capitale européenne de la culture décerné chaque année à une ou plusieurs villes européennes. Titre attribué par le Conseil des ministres de l’Union européenne, pendant une année, dans une volonté « d’illustre[r] la richesse et la diversité des cultures européennes » 2. On peut cependant penser que l’initiative procédait à l’origine d’une volonté de rapprocher les citoyens européens de l’Union européenne. L’idée est donc de tourner les feux des projecteurs européens sur une ville européenne pendant un an. Cette ville, dont la candidature a été sélectionnée quatre ans auparavant, est chargée de développer tout une série d’évènements mettant en avant tant la richesse des cultures européennes que les liens culturels qui unissent les citoyens européens. Mais également de régénérer leur propre dynamisme culturel sur le long terme et de promouvoir des projets et initiatives artistiques locales et durables.

On se souviendra, par exemple, de « Bruxelles 2000», où nombre d’initiatives émanant de groupes informels ont pu déboucher sur des actions concrètes à plus long terme. Le soutien financier et humain permettant l’émergence de nouveaux projets est incontestable.

Problème majeur du titre de « capitale culturelle»: tous les moyens financiers et les projets sont concentrés dans les limites géographiques de la ville désignée. Logique. Mais quelques kilomètre plus loin, on peut trouver des lieux où un projet culturel n’aurait pas fait de tort. Le principe de « capitale élargie » a été conçu pour éviter ce type d’inconvénient – il s’agit d’envisager la ville désignée et sa région étendue : Luxembourg et Grande région en 2007, Essen et la région de la Ruhr cette année.

Festival international des arts ou simple vitrine au service d’un pays ?

Il n’empêche que la Culture mangée à la sauce de l’international laisse un goût amer dans la bouche. Une impression de trop grand, trop beau, trop « vitrine», trop plastique, trop cher… Pourquoi vouloir à tout prix impliquer la Belgique tout entière et les pays limitrophes dans un événement qui présente le Brésil, pour créer un méga évènement? Mode de la globalisation ? Où tout le monde fait la même chose, en même temps, en regardant les mêmes choses? C’est probablement dans l’air du temps… Tenter de se rapprocher, de mieux se connaître, de créer des ponts et des liens entre citoyens de cette Terre, nous qui ne connaissons plus notre voisin.

Mais c’est sûr, la scène internationale peut contribuer à la naissance de bien des projets. Le tout est de savoir à quelles fins et avec quels objectifs ces projets prennent forme. On le voit, les partenariats entre pays sont importants et nourrissent les initiatives. Mais ce sont aussi des freins bien ennuyeux à la liberté de décision et de présentation des différents aspects culturels d’un pays. Il est indéniable que ces évènements nous feront voir « l’Autre », mais sous quelle forme ? Et comment ne pas entrer dans les clichés ? L’alibi de la culture comme moyen de présentation d’un pays n’est-il pas un peu facile ? Car la culture a souvent bon dos, et permet de donner à voir beaucoup de dimensions d’un pays sous le jour le plus favorable.

Notes:

  1. Dossier de presse « International Arts Festival. Europalia Brasil», http://www.europalia.be/tools/presse/.
  2. http://ec.europa.eu/culture/our-programmes-and-actions/doc413_fr.htm, 12 décembre 2010.

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