Cybernétique : le champ des possibles

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Lentement mais sûrement, nos comportements socio-culturels, en perpétuelle évolution, sont influencés par nos modes de communication et de recherche – y compris lorsque nous sommes connectés à la bibliothèque de connaissances qu’est internet. Les réseaux sociaux apportent une pierre supplémentaire à l’édifice de l’interactivité: ultra-formatés, démocratisés, ils simplifient la prise de contact et la participation à la discussion et donc la création de contenus culturels. Mais cette démocratisation de l’accès à la culture dépasse-t-elle le domaine du virtuel? Quelles sont les limi -tes de ces canaux de communication?

Dire que l’utilisation intensive d’internet a changé nos vies est devenu un truisme. Qui pourrait nier que Google est devenu un outil incontournable? Qui n’a pas plusieurs adresses e-mail? De par la diversité des utilisateurs et des contenus qui s’y retrouvent, chacun peut constituer son propre univers de référence. La curiosité est donc moteur de l’apprentissage, tandis que l’échange est celui de l’enrichissement. Le rôle joué par les réseaux sociaux est sans cesse redéfini, étendu.

Pour Xavier Flament, coordinateur de la rédaction aux Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, ils fonctionnent comme “une caisse de résonance”. “Ce n’est plus du ‘one-to-all’, on a l’opportunité d’avoir un contact direct avec le public,” explique-t-il. “Plus personne ne peut faire l’impasse sur les réseaux sociaux”, déclare Xavier Flament. “Cela pourrait influencer nos décisions stratégiques ou nos politiques d’accueil. Mais il faut savoir s’en servir pour ajouter de la valeur à notre communication.” Les Bozar utilisent Twitter et Facebook en parallèle d’autres outils de communication comme les magazines (80.000 exemplaires) et autres dépliants imprimés pour chacun des quelque 1000 événements annuels. A la mi-décembre, près de 11.000 personnes étaient fans de la page Facebook des Bozar. Plus de 1600 personnes suivaient leurs Tweets.

Pour Xavier Flament, rompu à l’écriture de communiqués semblable à celle des articles journalistiques (accroche, corps et chute), la combinaison de tous ces outils demandent une meilleure coordination de la communication en interne. Comment susciter le débat? Comment élever le niveau de la conversation spontanée sur la page Facebook sans être accusé de main-mise sur la liberté d’expression de chacun? L’équilibre entre gestion d’image et libre interactivité est difficile pour les communicateurs des institutions et associations culturelles.

L’expo, c’est moi

Ben Heine, artiste belge de 27 ans, publie ses créations photographiques et ses dessins sur Facebook une fois qu’ils sont “prêts”. Les réseaux sociaux sont pour lui une aubaine parce qu’ils “donnent plus de relief, révèlent le contexte, le point de départ et la finalité d’une œuvre culturelle. Certains commentaires m’influencent de manière indirecte”, dit Ben Heine. “Le partage d’idées et la quantité de renseignements venant de tous les côtés dès qu’une œuvre est rendue publique représentent, à mon sens, un approfondissement des contenus culturels.” Il a d’ailleurs été très influencé par les réactions passionnées de certains face à ses créations politiques. Il n’en fait donc plus et se définit comme “un artiste ‘apolitique.”

On s’expose et donc on s’expose aussi aux commentaires”, ajoute Sophie Van Nuffel, responsable du service communication chez Smart, une asbl qui propose différents services aux artistes. “C’est le même processus de réflexion que la critique journalistique, sauf qu’ici il y a plus de liberté de ton.” Le web est utilisé comme point de départ d’un “cercle de reconnaissance”, puisque c’est un outil “simple, direct, et moins onéreux que les galeries d’art”. L’asbl Smart a développé son propre site communautaire il y a deux ans. Comptant aujourd’hui environ 1500 membres, francophones et néerlandophones, Smart Agora donne la possibilité aux membres artistes de présenter leur
travail et de créer des groupes de réflexion autour de leur création. Certains multiplient les réseaux pour rester connecté en permanence et augmenter la visibilité de leurs oeuvres, d’autres n’y ont recours que pour confronter leur point de vue à celui des autres.

La qualité virtuelle des œuvres leur permettent aussi de nier les frontières géographiques. Depuis longtemps déjà, l’utilisation d’internet permet de dépasser les limites qui définissent traditionnellement les appartenances culturelles. La naissance et le développement impressionnant des blogs, pendant les jeunes années d’internet, ont contribué à la création des premières communautés virtuelles. Ils occupent donc une place à part puisqu’ils ont fourni les premiers espaces formatés, faciles d’utilisation, où la publicité des idées était possible.

De l’utilité réelle des réseaux virtuels

La démocratisation des technologies et la généralisation de leur utilisation au travail, à la maison, en déplacement, ont ouvert les portes à la connexion non-stop – avec les dérives socio-comportementales que l’on connaît: isolation, repli sur soi, dépression. En ce qui concerne la culture, c’est parfois la dictature du “tout, tout de suite”: quand la connaissance est à portée de main sans effort, la création artistique, dont la rigueur, l’originalité, le processus de développement ne sont pas donnés à tout le monde, est parfois balayée de la main. Ne reste, affichée sur internet, que l’œuvre finale. Certes, des commentaires décrivant le processus de création artistique (au travers du blog personnel de l’artiste par exemple), des photos, voire dans le cas des musées qui exposent des œuvres plus célèbres, des animations 3D recréant ce processus, peuvent être ajoutés. Il est indéniable que la virtualité étend le champ des possibles – c’est d’ailleurs pourquoi internet ne cesse de fasciner. En même temps, la culture ne peut se réduire aux œuvres plastiques; qu’en est-il de la présence sur internet des pièces de théâtre, des ballets? Peut-on réellement développer une culture riche et humaine sans ressentir les émotions d’un spectacle, assis dans la foule? La culture sans fil est devenue aussi la culture sans file (sans devoir se rendre sur place, sans acheter son ticket, etc.), la préférence donnée au chez-soi… et à la culture touchée du bout des doigts.

Mais qu’est-ce alors que la cyberculture: un mélange de contenus, sans forme définie? Est-ce le résultat d’une course entre agences de communication à coups de campagnes de “search engine optimization” (SEO) pour atteindre le top des listes de résultats affichées par Google et ses clônes? Est-ce la dernière vidéo, le “buzz” dont tout le monde parle? Est-ce l’utilisation que chacun fait de tous ces outils?

Ce qui m’intéresse, c’est d’utiliser les hyperliens pour que les gens puissent construire leur propre environnement culturel”, déclare Xavier Flament. En d’autres mots, il ne suffit pas de renvoyer les utilisateurs vers Wikipédia afin qu’ils puissent lire la biographie de tel ou tel artiste ou groupe d’artistes. Il faut surtout pouvoir relayer l’expertise des équipes des Bozar qui travaillent sur des expositions pendant des mois et connaissent par coeur l’artiste.

Ceux qui s’enthousiasment pour le potentiel des réseaux sociaux sont aussi conscients de leurs limites. Les institutions culturelles, qui ont une mission essentielle de diffusion de la culture auprès de la population, se heurtent aux mêmes barrières sociologiques que dans la vie réelle – certains ont accès à la culture de par leur naissance, leurs relations, tandis que d’autres non. Poster un message sur une page qui promeut un événement ne signifie pas que l’on puisse s’y rendre.

De manière générale, il est encore trop tôt pour juger d’une possible diversification des contenus et des publics-cibles. Les institutions les plus aptes à capter le potentiel des réseaux sociaux en tant qu’outil de communication et d’interactivité de masse sont celles qui ont le plus de budget à allouer à ce type de projet. En tant qu’outils
de diffusion, les réseaux sociaux ne sont qu’un canal de communication supplémentaire. Sans une politique de communication intégrée, sans le temps nécessaire pour exploiter au mieux leurs fonctionnalités, il est inutile d’espérer en faire quelque chose de plus abouti qu’un simple forum.

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