La culture et ses murs
La Direction des infrastructures culturelles, constituée d’une vingtaine d’agents (architectes, ingénieurs, architectes d’intérieur, …), a pour mission de gérer l’ensemble du parc immobilier que la Communauté française dédie à l’activité culturelle – soit un total de 56 sites parmi lesquels on compte le chapiteau mis à la disposition de la compagnie Arsenic ou le théâtre des Doms, à Avignon. Mais ce service s’occupe aussi de l’octroi des subventions destinées aux collectivités locales pour soutenir les investissements dans le bâti « culturel ».
En 2011, tous ces murs, se verront allouer un budget de 19 millions d’€ – auxquels viendront s’ajouter un subside européen (via le fonds FEDER). Anne Chaponan, architecte et responsable des investissements directs pour la Direction des infrastructures culturelles, nous esquisse les grandes lignes de l’action de ce service public…
C4 : Comment envisagez-vous l’articulation entre exigences architecturales et usages à vocation culturelle ?
Anne Chaponan : « Depuis une dizaine d’années, notre service a cherché à apporter une dimension qualitative aux projets qu’elle a développés. Afin de mettre à disposition des infrastructures adaptées aux besoins des futurs utilisateurs, nous sollicitons systématiquement ceux-ci afin qu’ils s’expriment sur les travaux à entreprendre. Il ne s’agit pas de leur demander de créer le nouveau bâtiment mais plutôt de nous donner tous les paramètres de l’équation (performance technique du futur outil, capacité des salles, type d’ambiance, de confort,…) afin que l’auteur de projet puisse contextualiser la demande et donner naissance à la future structure. Évidemment, pas mal d’allers-retours entre ‘programme rêvé et architecture exprimée’ sont nécessaires, voire même obligatoires, en vue de parvenir à résoudre parfaitement l’équation et voir le bâtiment enfin sortir de terre.
Ce partenariat avec nos utilisateurs se poursuit aussi dans le quotidien de la vie des bâtiments et dans les adaptations qui sont inévitablement nécessaires au fil du temps et du changement de ceux-ci.
Le Manège, Mons à Mons, le cinéma Sauvenière à Liège, le Musée de la Photographie et son extension à Charleroi, le chapiteau de la Compagnie Arsenic sont autant d’exemples du travail accompli de cette manière. »
C4 : Quels sont les principaux projets pour le futur ?
A.C. : « Nos principaux chantiers à venir sont tournés vers Mons, Capitale européenne de la Culture en 2015, avec les constructions : le Dépôt des œuvres d’art de la Communauté française, le bâtiment d’ArsOnic dédié aux musiques nouvelles et aux sons, le bâtiment de la Fondation Mons 2015, la couverture de la cour du Carré des Arts, … Mais aussi à Bruxelles : la rénovation du cinéma Le Palace et la construction du bâtiment des Archives et Musée de la Littérature ; à Liège, dans le secteur des subventions, la rénovation du Théâtre de la Place et la construction du Centre International d’Art Contemporain. »
C4 : Est-ce qu’il y aurait une sorte de « style Communauté française » en matière d’architecture à vocation culturelle?
A.C. : « S’il y a effectivement une caractéristique commune, elle ne se décline pas en terme esthétique ou stylistique, mais se déclinerait davantage dans la volonté, lorsque nous construisons ou rénovons de nouveaux bâtiments, d’atteindre une plus-value qualitative entre un programme donné, ses contraintes inhérentes (budgétaires, urbanistiques, juridiques, environnementales, sécuritaires…) et ses composantes anthropologiques, sociales et sociétales.
Nos prochains défis seront d’intégrer dans cette plus-value qualitative des paramètres environnementaux et de gestion des coûts d’exploitation et de maintenance sur la durée de vie des infrastructures.
Il faudrait aussi parler de la Cellule architecture de la Communauté française qui, depuis 2007, assure la promotion et la diffusion de la
création contemporaine en architecture et la mise au point de processus visant à désigner des auteurs de projets sur des bases qualitatives. Cette structure est née de l’initiative de mon prédécesseur, Chantal Dassonville, qui au fil de ses expériences dans le service, a souhaité soutenir d’autres pouvoirs publics dans la conduite qualitative d’un marché d’architecture, dans l’intégration des œuvres d’art dans les bâtiments publics et la reconnaissance de l’architecture comme une discipline culturelle. »
C4 : Qu’est-ce qui distingue les politiques publiques des initiatives privées?
A.C. : « Le marché privé est par essence davantage tourné vers des critères de rentabilité et de fonctionnalité que vers des critères qualitatifs ou sociétaux. Il n’empêche qu’outre ces divergences classiques, les deux sphères sont de plus en plus amenées à se côtoyer, à s’ouvrir aux ‘valeurs’ de l’autre et à en comprendre les intérêts ; tout en ne perdant évidemment pas ce qui caractérise leur identité principale.
Nous sommes la preuve que des partenariats créatifs entre les sphères publiques et privées peuvent être à l’origine de bâtiments exemplaires : réalisation avec un promoteur privé du Théâtre National, construction du Centre Culturel de Soignies avec une maîtrise déléguée assurée par la banque Dexia.
Sinon il y a aussi de beaux exemples 100% privé qui ne manque pas de qualité : Musée Hergé à LLN.»
Et voilà le programme!
Que peut-on bien voir sur les scènes de la Communauté française – une fois qu’on les a construites ou rénovées? Le Service de la Diffusion des Arts de la Scène (qui dépend de la Direction Générale de la Culture) ressemble à l’endroit idéal pour répondre à cette question. Lionel Larue, son responsable, nous servira d’éclaireur et de guide.
L’aide à la diffusion se déploie essentiellement au travers de deux programmes : « Art & Vie » et «Spectacles à l’école ». Vient aussi s’y ajouter l’organisation d’évènements promotionnels tels que les rencontres Entre Vues (en collaboration avec l’asbl Asspropro) ou encore la Boutik Rock (avec l’asbl Court-Circuit). Ces dispositifs publics induisent un impact considérable sur l’offre culturelle en Communauté française. Lionel Larue nous signale « qu’une étude récente de l’Observatoire des Politiques Culturelles (à paraître prochainement) démontre que 80% de la diffusion théâtrale en dehors des lieux de création (es théâtres de Bruxelles et des grandes villes) se fait dans les centres culturels avec l’aide du programme « Art & Vie ». Pour des secteurs comme la danse contemporaine, les arts du cirque, etc,… on approche des 75 % ». Sans ce genre de subventions, la programmation pourrait souvent se limiter aux spectacles jugés les plus rentables. Les choix plus audacieux et donc risqués se verraient marginalisés et l’offre deviendrait, en définitive, moins diversifiée. Avec « Art & Vie », en 2010, des structures de programmations reconnues auront pu piocher dans un catalogue d’artistes reconnus – le tout pour un montant de 1.258.000 EUR. Mais un très bref coup d’œil aux chiffres du budget annuel des arts de la scène (qui était de 84.605.000 EUR en 2010 et sera de 87.720.000 EUR en 2011) suffira à comprendre qu’en matière de programmation, l’essentiel des décisions stratégiques se prend avant la diffusion. Les compagnies de théâtre qui bénéficient d’un contrat-programme ou les groupes de rock qui reçoivent une aide à la création, par exemple, intègrent automatiquement le catalogue « Art & Vie » ou « Programme Rock ». La politique de diffusion a pour principale mission d’accompagner des choix déjà opérés. Même si, dans certaines catégories ou pour les nouveaux groupes, la possibilité de passer une audition devant un délégué du ministère ou un jury de spécialistes existe.
La ventilation des sommes peut nous donner un aperçu des options choisies. Le théâtre se taille un bon morceau du gâteau avec 39.758.000 EUR (sont reconnus, des théâtres et des compagnies mais aussi des
festivals ou encore du théâtre-action). La musique le suit, à quelques millions de distance (32.816.000 EUR). La danse (6.117.000 EUR) et le cirque (1.117.000 EUR) se contentent, quant à eux, des parts les plus petites. Toutefois, « Art et Vie », parce qu’il occupe une place de choix, entre la création et le public, reste un excellent baromètre des tendances culturelles en Communauté française. Comme nous l’explique Lionel Larue, ce dispositif permet de soutenir « Plus de 2.600 concerts et représentations de toutes les disciplines scéniques dans la plupart des 115 centres culturels reconnus par la Communauté française, dans des petits lieux de diffusion, dans des festivals, des associations de jeunesse ou d’éducation permanente, etc… ». On peut donc se faire une bonne idée de ce qui marche en ce moment !
Et ce qui cartonne par-dessus tout en Communauté française, c’est le pop-rock. Selon Lionel Larue « l’effet d’émulation est énorme, on pourrait reconnaître plusieurs centaines de groupes dans cette catégorie, mais nous ciblons les aides vers les groupes susceptibles d’atteindre un réel niveau professionel ». Cette lame de fond reçoit un soutien public : un réseau de salles de concert rock (Plasma) a été mis sur pied, des festivals (un des dispositifs privilégiés du succès de cette tendance musicale) reçoivent aussi des aides, et puis il y a la Boutique-Rok. Mais, pour rester dans le domaine musical, les politiques de diffusions ont aussi pour mission de soutenir des secteurs moins médiatiques mais pourtant très dynamiques : « On peut observer que beaucoup de concerts « Art & Vie » sont organisés dans des clubs de Jazz, comme on a pu constater une sorte de retour de l’accordéon folk, avec des gens comme Didier Laloy, Tuur Florizoone ou Sophie Cavez, ce qui prouve qu’on a, aussi, une créativité constante dans des disciplines plus classiques ». On pourra encore constater l’émergence des musiques urbaines ou bien du « nouveau cirque» (Arts forains, du cirque et de la rue). Et en 2011, Fadila Laanan a décidé de lancer un tout nouveau programme de soutien à la musique électronique. En revanche, ce qu’on appelle la « chanson française » ne vivrait pas des heures particulièrement grandioses : Les jeunes artistes de chez nous ont du mal à émerger et les circuits de diffusion (lieux, festivals) sont restreints.
Bref, selon Lionel Larue, il y a en Communauté française « de très nombreux créateurs professionnels, faisant preuve d’une vitalité artistique extraordinaire pour un territoire aussi restreint que le nôtre ». Même s’il ne faut pas nier un effet entonnoir important : « Etre artiste, aujourd’hui, c’est un peu le rêve de tout un chacun, il y a beaucoup de postulants et peu d’élus. Un festival comme Couleur Café, qui programme 30 ou 40 groupes par an, reçoit presque 5.000 candidatures! Et inversement, des groupes nous expliquent souvent qu’ils envoient 5.000 demandes pour avoir quelques concerts… ».
C’est précisément dans cet entonnoir que tentent d’intervenir les politiques publiques de diffusions. Ainsi, des évènements comme les 5 journées de rencontres Entre Vues avaient permis à 600 programmateurs de rencontrer une trentaine de projets artistiques – présentés sous formes d’extraits. « Certains groupes sortent de là avec 25 ou 30 dates de représentations en Communauté française, c’est énorme » précise Lionel Larue. Même s’il sait très bien que « le plus difficile, pour un programmateur, reste quand même de faire sortir le public de chez lui ! »