Le mouvement [No Border->http://noborder.org/] s’est constitué en 1999 à l’initiative de différents groupes, associations et activistes internationaux. Un appel lancé à l’occasion du Conseil européen de Tampere, qui jetait les bases de nouvelles mesures communautaires musclées en matière d’asile et de migration 1.
Le mouvement est devenu au fil du temps un mélange hétéroclite refusant de se muer en organisation formelle : un bouillon de culture alternative qui brasse une diversité des stratégies, des approches et des thèmes.
Amaury, activiste et porte-parole informel du camp pose la cadre : « Ici, le maître-mot est l’autogestion, chacun agit à sa manière et se joint à des sous-groupes affinitaires en fonction de ses valeurs, ses compétences, ses désirs ». Cuisine, premiers soins, toilettes, accueil ou conseils juridiques, autant de postes tournants qui se sont créés, invitant chacun à participer au partage des tâches et des responsabilités.
Chaque jour à 10h se tenait l’assemblée générale (AG) au minimum en français et en anglais. Ni chef, ni hiérarchie. Cette réunion quotidienne s’adresse à toutes les personnes qui souhaitent prendre part à l’organisation du camp : logistique, agenda et coordination des actions. Elle fonctionne à double sens afin de recueillir des informations de la part des participants et de les tenir au courant de ce qui a été discuté. Chaque décision est prise au consensus à l’aide d’une série de codes gestuels qui vise à réduire les paroles inutiles et les prises de pouvoir.
Amaury : « La prise de décisions au consensus est primordiale dans la recherche d’une démocratie participative: seules sont retenues les idées qui sont acceptées par l’ensemble de l’assemblée. Pas question de voter à la majorité, car cette manière de faire laisse toujours à l’écart une partie des participants, là ou le consensus reflète une véritable vision de groupe. Le succès de cette organisation politique alternative nous conforte tous les jours un peu plus dans notre critique du système actuel ».
C’est à travers l’observation et la compréhension des modes opératoires de cette communauté éphémère que se dégage une précieuse leçon de vie : « Chaque camp autogéré est par lui même unique puisque la manière dont il sera construit, coordonné et régi évoluera en fonction des différentes personnes qui s’y impliquent. C’est d’ailleurs ce qui rend ce mouvement indéfinissable, puisqu’il est en constante évolution. A long terme, au fur et à mesure que les participants se forgent leur expérience de groupe, les liens se renforcent et contribuent à la création d’une sorte d’inconscient collectif ».
Dénoncer un système à deux vitesses
Si tout le monde est d’accord sur les principes de base du mouvement (voir encadré), selon Amaury, il serait imprudent de promulguer une liste de revendications communes à l’ensemble des personnes :
« Dans l’ensemble, nous voulons dénoncer un système à deux vitesses où les capitaux sont libres de circuler à l’inverse des gens. Or, ce sont paradoxalement les victimes les plus touchées par ce système qui sont obligées de migrer. Les migrants ne font que suivre la richesse créée chez eux et ramenée chez nous ».
Autogestion, ouverture des frontières, libre circulation des personnes et dénonciation des valeurs de l’économie capitaliste de marché. Qui mieux que les participants eux-mêmes peut définir le message ?
Thibault : « Je suis ici pour défendre les sans-papiers, et pour remettre en question le capitalisme qui génère les frontières et un paquet de problématiques qui vont avec ! Pour moi, la politique, c’est avant tout une question locale : qui que tu sois, tu dois pouvoir participer aux décisions et à la vie commune dans ton quartier, dans ta ville, en harmonie avec ce qui t’entoure. Déconnecté de cette fonction
de base, le système politique actuel n’a pas de sens pour moi…»
Joaquin: « J’ai émigré du Chili il y a presque dix ans et me sens autant chilien que belge. Si je suis bien évidemment en faveur de la liberté de circulation, je penche davantage pour une souplesse et une flexibilité que pour la suppression totale des frontières. Bien sûr, ces frontières ne sont pas toujours à leur place, elles sont trop fixes et divisent souvent des ethnies, mais en même temps elles créent aussi l’identité et le lien culturel.
Cyprien : « Je soutiens l’utopie d’un monde sans frontières, libre de circulation, dans le respect et l’harmonie. La frontière n’est pas forcément le nœud du problème car elle possède un côté pratique et culturel. Mais malheureusement, elle est un des vecteurs d’un climat qui tend à se généraliser : le contrôle des êtres humains et la privation de liberté, vestiges d’un monde primitif et d’une époque révolue. »
Après la réflexion…
Les formes d’action du camp sont essentiellement de trois natures : action directe non-violente, sensibilisation des médias et groupes de pression, et actions discutables et discutées pouvant recourir à une certaine ‘violence’.
Désobéissance civile, ARTivisme, théâtre invisible, Samba, Clown-activisme, médias alternatifs, actions anti-pub, sabotages… : à l’image de l’organisation logistique, les groupes se créent pour, ensemble, préparer l’action, produire les messages et agir en fonction des affinités. « Certaines actions menées par tel groupe affinitaire déplairont à d’autres, sembleront peu efficaces voire néfastes. Telle action sera jugée par les uns comme « jouant le jeu du système » alors que telle autre sera considérée comme « trop violente » ou «impopulaire» par d’autres. 2. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il s’agit d’apporter un message fort, chacun apporte sa pièce à l’édifice.
Cyprien, un des référents du collectif Artivist partage son expérience : « Dans notre collectif, nous mettons l’accent sur le côté artistique, pacifique et sur l’efficacité de nos moyens d’action. Nous sommes néanmoins complémentaires avec d’autres modes, a fortiori dans le cadre d’une manifestation comme celle de mercredi [29 septembre 2010] ».
Armes de dérision massive
La samba « [Rythms of resistance->http://www.rhythms-of-resistance.org/spip/] » est constituée de musiciens qui répètent les mêmes morceaux dans le monde entier. Ils font vibrer les manifestants et apportent une touche festive et dansante toujours appréciée. Cela sous la bonne garde des clowns activistes qui ont pour mission de sécuriser les manifestants en apportant une note de bonne humeur aux policiers parfois un peu crispés. « Ce tampon entre policiers et manifestants permet souvent d’éviter les dérapages, d’un côté comme de l’autre. Mais il arrive aussi que nos « armes de dérision massive » (matraques en plastique, pistolets à eau,…) fassent peur aux autorités et qu’elles décident de nous les confisquer ou de nous embarquer, avec malheureusement moult coups au passage ».
Ces deux modes de manifestation viennent donc soutenir le message principal le plus souvent véhiculé par la mobilisation des manifestants et éventuellement par les médias. Amaury précise : « Chaque personne qui se sent compétente pour telle tâche peut contacter les médias généralistes et tenter de relayer les messages. Cela dit, il est très difficile de communiquer un message de fond dans un JT ou en presse écrite. Pour cela, Indymedia 3 est une structure très intéressante qui propose d’être soi-même le média, plutôt que de le critiquer ».
Enfin, les activistes les plus radicaux et les plus controversés estiment qu’il est important de frapper au portefeuille. Ils agissent parfois masqués et ont pour stratégie de bloquer ou de saboter des entreprises et des symboles du capitalisme sans s’
attaquer aux êtres humains. Sans hiérarchie, pas d’interdits… Mais chacun est invité à avoir une réflexion constante sur la portée de ses actes en termes d’image de l’ensemble du groupe, sans pour autant se voir privé de sa liberté d’agir.
Notes:
- Pour un aperçu global de ces mesures, voir le « rapport d’information par la délégation de l’assemblée nationale pour l’UE», le 19 novembre 2003, France. ↩
- « Sur la solidarité face à la répression », article anonyme paru sur http://www.noborderbxl.eu.org/spip.php?article245, le 7 septembre 2010
(3) ↩ - http://www.indymedia.org/fr/ ↩