Outrée, madame l’eurodéputée se plaint bruyamment. Et il n’en faut pas plus à ses collègues parlementaires et fonctionnaires européens pour reprendre en coeur : « on ne se sent plus en sécurité à Bruxelles ». Ces jérémiades sont complaisamment relayées par la presse. Selon le quotidien allemand « Die Welt », la capitale européenne est un « eldorado pour criminels », la police belge reste les bras croisés alors que la ville sombre dans la criminalité, et les 40 000 fonctionnaires qui travaillent pour les institutions européennes à Bruxelles craignent désormais de tomber sur un agresseur à chaque coin de rue. France 2 se demande très sérieusement si Bruxelles n’est pas devenu un nouveau Bronx (« Télématin », 18 mars 2010). « On m’a souvent craché dessus », se plaint la Tchèque Jarka, « dans la rue, je me suis souvent fait hurler dessus, on me harcèle, parfois je dois même me cacher. » Ni une, ni deux, le président du Parlement européen, Jerzy Buzek, réclame des mesures.
Idéalement, les élus européens, qui ont bien mesuré tout l’amour que leur portent les citoyens, voudraient qu’on boucle « leur » quartier, qu’il soit interdit à la circulation publique, accessible seulement aux personnes dûment badgétisées. Ces gauchistes de la police de Bruxelles ont beau prétendre que le quartier européen est l’un des plus sûrs de la capitale, qu’en 2009, on y a recensé seulement 15 agressions violentes, contre 301 dans un quartier du centre ville, soit vingt fois plus… On ne se sent jamais plus en sécurité qu’entre soi. Mais la rue Stévin, c’est hors périmètre. Alors en attendant que toute la ville, du moins sa partie utile, soit sous contrôle, on peut déjà prendre un certain nombre de dispositions. Un « périmètre de sécurité » de 1 km, « comme à New York, aux Nations Unies », quadrillé en permanence par la police, qui disposerait en outre d’un poste avancé, voilà ce que propose Buzek. Et qui va payer, demande le bourgmestre Thielemans ? L’Europe y songe, car quand il s’agit de se sentir bien, on ne compte pas.
La commune d’Ixelles a également été sollicitée par les grosses légumes de l’Europe. Il s’agit de la mettre à contribution pour de petits aménagements dans les rues Wiertz et Godecharle : des barrières, des guérites (avec vigiles) et des caméras supplémentaires – il y en a déjà des milliers qui balaient la zone. Et un checkpoint, pourquoi pas ? Le bourgmestre Willy Decourty se tâte. Les Bruxellois ont l’habitude, c’est déjà ce qu’ils vivent dans le quartier Schumann à chaque réunion du Conseil ou de la Commission. A propos, vous êtes-vous jamais demandé pourquoi le tunnel Mérode faisait de bizarres contorsions sous terre, alors que le chemin entre la rue de la Loi et le Cinquantenaire vous semblerait davantage appartenir au domaine de la ligne droite ? Mais, pardi, parce qu’il fallait éviter de passer sous les bâtiments européens, on ne sait jamais qu’un ben laden du dimanche aille y garer un utilitaire rempli de T.N.T…
Le Bronx, camarade syndiqué, c’est le Bronx !
Il y a vingt ans, on a rasé quasi tout le quartier, rue Wiertz, rue d’Idalie, rue Godecharle. Rien de tel pour vous inspirer un sentiment de sécurité que de se débarrasser de ces ateliers d’artistes miteux, pas même fichus de se vendre suffisamment cher sur le marché de l’art pour s’offrir une rolex – seul gage de réussite existentielle. Si la construction de ces magnifiques immeubles puissamment inspirés par le « caprice des dieux » a un peu tardé, c’est que les concertations achoppaient sur le nombre et l’orientation des fenêtres d’hôtels, d’où les snipers bruxellois ont l’habitude de tirer sur tout ce qui bouge et a une cravate. Grâce à M. Buzek et à ses amis, on pourra peut-être bientôt passer une nuit dans un rutilant bunker cinq étoiles sans fenêtres, c’est très « tendance ».
En attendant l’extension de « gated communities » pour eurocrates, ne pourrait-on pas imaginer construire un dortoir (sans fenêtres) à la rue Godecharle, relié à l’hémicycle et à la gare du Quartier
Léopold par un tunnel souterrain (sécurisé), ce qui devrait éviter des déplacements risqués à ces humanistes incompris décidément trop exposés à une incompréhensible vindicte populaire ? De toutes façons, la pratique exclusive de l’anglais des affaires limite déjà au strict minimum les contacts avec la population indigène, potentiellement violente de surcroît. Les frais seraient bien entendus à charge de la communauté. Car si le contribuable belge paie des impôts pour se faire tabasser à Molenbeek, il est hors de question que les fidèles serviteurs de la cause européenne se voient imposés, de quelque façon que ce soit, comme de vulgaires manants.
Et si le gros dos ne suffit pas, les europarasites pourraient bien se remettre en grève, comme le 14 décembre 2009, quand ils réclamaient des augmentations de salaires – avec 6000 € par mois, on se demande comment ils font pour nouer les deux bouts. Au finish, cette fois. Quitte à essuyer la charge de la police de Bruxelles, les dispersions à coup d’auto-pompes et tout le folklore syndical. Et on verra si « Polbru » ose encore prétendre que cette ville est sûre.