Pourvu que ça dure !

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Après Mai 68, qui a ravivé les esprits partout en Europe occidentale, des jeunes rêvent d’une société différente… A Vienne, de jeunes exclus du parti communiste fondent le groupe Spartakus et se lient avec d’autres groupes en Allemagne et en Suisse (dont Hydra). Après plusieurs années d’actions politiques dans les villes, ils décident de décentrer leur lutte et d’investir des régions rurales, des zones devenues marginales en périphérie des grands centres urbains et industriels. C’est l’été 1973 et vingt-quatre d’entre eux décident de suivre leur aîné, Remi, sur sa terre provençale dans le sillon des essais de collectivités de Giono afin de mettre en pratique leurs idéaux et vivre du travail de la terre.

Ils font l’acquisition de trois cents hectares et des ruines d’une ferme sur une colline, dans les Alpes de Haute Provence, près de Limans. Ils créent un premier « village pionnier européen » pour confronter leurs désirs à la réalité, changer le monde et changer les rapports quotidiens. Ces jeunes intrépides veulent lier la théorie à la pratique et expérimenter l’autogestion, la vie en autosubsistance et en communauté, en ne segmentant plus vie privée, professionnelle et militantisme, sans spécialisation des tâches et via une gestion collective de la production, de l’organisation quotidienne et des besoins de base en dehors du salariat. Ils se forment en coopérative agricole et lancent un projet d’artisanat.

Trente-sept ans après…

Souvent intellectuels, citadins et issus d’un milieu aisé, les membres voient toute leur énergie absorbée par l’entreprise. Ils doivent apprendre les bases de l’agriculture et l’élevage, trouver les moyens de subsister, le bois doit être coupé pour se chauffer et cuisiner, leurs fonds sont taris tout comme les anciennes sources d’eau de la colline, les bâtiments de la ferme sont en ruines… Ce sont loin d’être des babas cools qui rêvassent en fumant des joints. La priorité est mise sur les moyens de production. Le travail est dur, les règles, strictes. Avec le temps, ils vont fonder diverses associations, lancer une production maraîchère, céréalière et vinicole, de bûcheronnage, d’élevage divers, d’herboristerie (dont des huiles essentielles), ainsi qu’une filature.

L’intérêt des coopératives est de maîtriser l’ensemble du processus de production et d’éliminer les intermédiaires. Le principe d’autarcie se révèle irréalisable et est remplacé par une « micro-économie locale ». Aujourd’hui, même si des fondateurs ont disparu et que la seconde génération est là, avec des règles assouplies, les valeurs de base ont peu changé : toujours pas de salariat, de propriété privée, pas d’échanges monétaires au sein des coopératives, décisions collectives prises au consensus, et rotation des responsabilités.

Désormais, une centaine d’adultes et enfants y vivent. La colline près de Limans compte trois hameaux, avec de belles constructions en pierres du pays, des cabanes, des yourtes et des roulottes. Mais Longo Maï a essaimé : filature de Chante-Merle près de Briançon, coopérative agricole et conserverie dans la plaine du Crau, ferme de maraîchage bio et d’élevage, bûcheronnage et charpenterie-menuiserie à Treynas dans le Massif central, vignes, vin et oliviers dans le Luberon, fermes également en Suisse, en Autriche, en Ukraine, en ex-RDA et au Costa Rica; au total, près de 300 membres. La coopérative est productrice pour moitié de ses recettes, le reste provient de dons et d’aides publiques. Le fait d’être propriétaires de leur terre leur a assuré cette longévité. L’ancrage international et le fort réseau de soutien y sont pour beaucoup.

Le quotidien

Les différents secteurs d’activités de la coopérative sont portés par une équipe qui s’organise sur l’année mais qui gère également au quotidien le travail d’organisation et de planification. Chaque dimanche soir, les Longo Maïens répartissent les tâches de la semaine (transport scolaire, radio, ménage, cuisine). Les repas sont préparés dans la grande cuisine
commune dotée d’un équipement industriel et savourés le soir tous ensemble. Il existe des couples et des familles à Longo Maï et les enfants sont pris en charge collectivement, par les parents et des ami/e/s non-parents. Les jeunes enfants vont en transport collectif dans les écoles primaire et secondaires du coin, les plus grands en internat. Les biens sont collectifs et les espaces alloués ne sont jamais définitifs. Les décisions prises au consensus durant les assemblées générales touchent toutes les questions de la communauté : gestion financière, choix politiques, questions économiques de la coopérative, organisation quotidienne, etc. Les diverses coopératives pratiquent une solidarité et un échange mutuel de personnes, de biens et services.

Bien sûr tout n’est pas rose sur la colline ! La fluidité des échanges bute quelquefois sur les groupes d’affinités, la rotation des tâches peine à être réalisée totalement, il y a des conflits, des discussions à n’en plus finir, un partage 24h/24 de son quotidien avec les autres, un attachement émotionnel intense, la tyrannie des structures informelles, des grandes gueules… Longo Maï est une sorte de cocon avec ses bons et ses mauvais côtés. Certains se sont sentis un moment à l’étroit dans la communauté et ont préféré s’en extraire pour plus d’autonomie, pour développer des choix de vie plus personnels, pour acquérir un espace individuel plus grand… Mais souvent, ils gardent des liens étroits avec la communauté. Chacun est aussi libre d’aller prendre l’air ailleurs, dans les autres espaces locaux ou internationaux de Longo Maï.

Si l’on peut comparer Longo Maï à une sorte de cocon, on ne peut en rien l’assimiler à une secte, ou à un cloître. La communauté accueille de nombreux visiteurs pour un jour ou des mois —certains finissent par s’y installer—, maintient de nombreux liens avec l’extérieur, notamment grâce à des actions de solidarité, d’accueil de réfugiés ou des activités culturelles, et encourage d’ailleurs ses enfants à aller voir le monde. La multiplicité des nationalités présentes —une quinzaine— est aussi un potentiel d’ouverture sur la réalité internationale. Le projet de radio est un bel exemple de cette ouverture et des ces liens.

Radio Zinzine et les autres initiatives

Depuis 1981, radio Zinzine émet 24h/24 depuis la colline des programmes d’information, de musique, de débats, de littérature et poésie, de politique, etc. L’équipe, composée d’une dizaine de personnes, n’est pas le fait de spécialistes. Le ton critique et l’absence totale de publicité en font son originalité. La radio est subventionnée par fonds d’action sociale et fonds de soutien à l’expression radiophonique (une spécificité française: un fond public, nourri par les recettes publicitaires des grands médias au bénéfice des radios associatives et non-commerciales). Elle ne traite pas de sujets spécifiquement locaux et ruraux, mais fait un lien entre infos locales et internationales et monde rural et urbain. Captée dans toute la région, elle est considérée comme une radio locale, mais vous pouvez aussi l’écouter en streaming (http://radio.zinzine.free.fr). Longo Maï a aussi son groupe de musique Comedia Mundi, plusieurs journaux (et a même eu son agence de presse alternative), un atelier d’ébénisterie et de mécanique, un Village de vacances « Les Magnans » qui héberge des intervenants de congrès, des mariages, ou simplement des vacanciers, …

Les axes de lutte sont la défense de l’agriculture paysanne, la redynamisation des zones rurales, la défense des minorités, la libre circulation, l’antimilitarisme…. Depuis dix ans, un « Forum civique européen» (http://forumcivique.org/) mène une campagne contre l’agriculture intensive dans différents pays autour de la Méditerranée, principalement en Andalousie (mer de plastique d’Alméria) en soutenant la lutte des travailleurs immigrés et de leur syndicat indépendant (SOC).

Longo Maï, avec ses faiblesses, ses contradictions et ses éléments parfois très irritants, que l’on aime ou que l’on hait, a le mérite de mettre en lumière les
aberrations de notre monde actuel que l’on ne remarque parfois même plus, de tenter de repenser ce que l’on donne à manger et à vivre chaque jour, de se donner les moyens de se réapproprier son existence et de construire au quotidien d’autres modes de faire, de vivre, de produire et de consommer. Et rien que pour cette porte ouverte vers un autre monde, on peut souhaiter longue vie à ceux qui durent…

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