La démocratie a néanmoins permis de donner au peuple une voix et une oreille plus ou moins attentive à ses revendications. La démocratie étant la dictature de la majorité, nos représentants ont dû très tôt s’organiser pour recruter de nouveaux membres-électeurs ou diffuser les idées et les faire passer dans l’opinion publique. C’est de l’histoire de leur organisation dont nous allons parler.
Quelle évolution ?
Même si le plus vieux parlement du monde se situe en Islande, les premières formes de partis politiques sont nées en Angleterre avec la confrontation entre whigs et tories qui anima l’Angleterre jusqu’à la disparition du parti whig en 1930, victime du système anglais majoritaire à un seul tour. Au début, ces partis n’étaient que des factions regroupant des gens voulant se faire diriger par les mêmes personnes ou ayant des intérêts ou des principes communs. Il est assez intéressant de noter que les appellations « whig » et «tory » sont au départ des insultes dont s’affublaient entre eux les adversaires politiques. Les mots restèrent. Il fallait probablement une sacrée dose d’humour pour vouloir gouverner l’Angleterre des 17e et 18e siècles. Laissant l’intelligentsia plutôt perplexe au début, ne comprenant pas vraiment ces guerres d’idées plutôt stériles, ces deux groupes furent légitimés par David Hume en 1741 dans ses essais « Of parties in general » et « Of parties in Great-Britain » où il écrit : « Les factions personnelles adviennent très aisément dans les républiques. Chaque querelle domestique devient alors une affaire d’État ».
C’est lors de la Révolution française que naît le clivage gauche/droite que nous connaissons encore actuellement, entre d’une part les partisans de l’ordre, de la propriété privée et de la responsabilité personnelle (à droite du président de l’assemblée) et les partisans d’un progrès égalitaire organisé par l’Etat (à gauche). Au pays des Droits de l’homme et des Lumières, ces clivages étaient cependant voués à disparaître, devenus inutiles dans la nouvelle société égalitaire et immuable, régie par la Raison et par la Science. Les groupements politiques (on ne parlait pas encore de partis), furent interdit, ce qui favorisa l’individualisme en politique. Les deux premiers partis français furent crées en 1901 et 1905 puis légitimés par la constitution de 1958. Ces deux partis étaient le Parti radical et le SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière). La droite, individualisme oblige, mit plus de temps à s’organiser de la sorte. Le système politique français, majoritaire à deux tours, permet un marquage plus ou moins prononcé du clivage gauche/droite, qu’on retrouve encore aujourd’hui sous une forme inspirée de la Révolution. Nous en reparlerons plus tard.
En Belgique, on le sait, l’histoire politique est moins longue et tout à la fois plus houleuse et moins violente que celle de nos voisins. Elle commence cependant par une révolution qui boute hors du pays les Hollandais et proclame le français comme langue unique. Le droit de vote, élément primordial de l’organisation particratique, n’était alors accordé qu’aux hommes de plus de 25 ans payant un certain montant d’impôt : le cens. La quantité d’électeurs n’était alors que de plus ou moins 90.000 personnes. La guerre faisait alors rage entre les deux grandes familles politiques : les catholiques et les libéraux, pour admettre ou exclure telle ou telle catégorie d’électeur. C’est de cette période qu’est par exemple né le droit d’accise sur l’alcool, remplaçant la taxe sur les débits de boisson et empêchant les cafetiers de payer la quote-part d’impôt nécessaire au droit de vote. D’extension en élargissement du droit de vote et d’éligibilité aux capacitaires (1883), aux femmes (1948) et aux jeunes de plus de 18 ans (1969 et 1981), le paysage politique belge s’est fortement modifié. Les symboles en étant bien sûr la naissance et le succès du Parti ouvrier (ancien PS) ainsi que la disparition (presque) totale du catholicisme en politique, en Wallonie tout
du moins.
Ces différentes évolutions ont profondément changé la manière de se faire élire et le profil des élus. À l’heure actuelle, il ne suffit donc plus d’être riche et uniquement attentif aux intérêts d’une minorité d’industriels et de nobles. Il faut être à l’écoute de chaque citoyen et tenter de « coller » au plus près de leurs aspirations, projet plutôt noble en soi mais vecteur de dérives potentielles telles que la politique-spectacle, le clientélisme ou la présence de «stars » muettes sur les listes électorales. D’une sorte de club fermé où les ordres venaient d’en haut (du Vatican ou des industriels), la politique s’est transformée par certains aspects en un spectacle où il faut à tout pris séduire un électeur tout-puissant, d’autant plus que les groupes d’intérêts organisés en lobbies sont toujours bien présents en coulisses.
Et les collectivités dans tous ça ?
De nombreuses « factions » politiques sont organisées de manière collective, surtout à gauche. Et plus on se radicalise dans ses choix politiques, plus la notion de collectivité est poussée loin. Les habitats groupés de vieux soixante-huitards ou de nouveaux bobos, le tout récent « no border camp », les occupations illégales de bâtiments inoccupés, les conférences-débats d’écologistes ou bien encore l’installation de tentes le long du ring pour protester contre son élargissement n’en sont que des exemples parmi d’autres. Quant à la droite, plus individualiste par essence, rien de tout cela : elle se caractérise par un rassemblement plus large de groupes d’intérêts qui ont su s’organiser et parler la plupart du temps d’une seule voix. Le discours y est simpliste, moins nuancé, mais diablement plus efficace pour se faire entendre, allant jusqu’à contaminer les discours de la gauche traditionnelle qui ne parle plus que de pouvoir d’achat.
Pointons tout de même l’ancien exemple d’écolo qui a su engranger quelques succès électoraux avec un fonctionnement poussant l’idée de démocratie et de contrôle citoyen à son maximum. Malheureusement, l’exercice du pouvoir et les échecs électoraux qui ont suivi ont mit à mal ce système considéré comme trop lourd. Et c’est finalement là que se trouve tout le paradoxe : ceux qui prônent une société solidaire et juste peinent à s’organiser en larges groupes puissants, car les problèmes sont nombreux et les manières de les résoudre sont multiples et adaptées à chaque situation.
Mais ne boudons pas notre plaisir de voir que ces nouvelles initiatives disparates trouvent une oreille attentive auprès d’une frange de plus en plus large de la population. De plus en plus de citoyens se rendent compte des limites du discours dominant et se regroupent pour vivre ensemble de nouvelles expériences de société, chacun à leur manière. Et peut-être est-ce là que se situe la réponse aux différentes crises qui s’annoncent : de petites collectivités ayant chacune leurs règles propres et adaptées, toutes tournées dans une direction commune. Les revendications politiques extrêmes et englobantes font petit à petit la place à de vrais choix de vie en société, sans se préoccuper de servir ou non d’exemple.