Le système des chèques-services

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Le système des chèques-services a évolué ces dernières années, même si la formule initiale existe encore. En ALE, le montant des chèques-services est additionné aux allocations de chômage (contrairement à un autre travail ponctuel pour lequel le chômeur doit biffer une case, perdant ainsi une journée d’allocations). Un peu d’argent en plus permettant de sortir la tête hors de l’eau et éventuellement de chercher un boulot un peu moins harassant et mieux payé.

Depuis, le système s’est privatisé et n’importe qui peut ouvrir une société de titres-services, à condition d’être agréé par l’Onem. Nous avons rencontré Isabelle, 32 ans et mère de quatre enfants. Elle travaille sous ce statut depuis plusieurs mois dans une société privée à Seraing. « Si tu as une voiture, tu peux conduire le client à des rendez-vous, aller lui faire des courses, aller chercher son linge et le lui repasser, lui faire à manger. En ce qui me concerne, on m’a appelée pour le repassage. L’agence a son propre atelier. J’ai remplacé trois mois quelqu’un qui était malade. Puis cette personne est revenue et on m’a proposé de faire des ménages chez les clients, ou de rentrer chez moi. J’ai choisi les ménages ». Avec le nouveau système, on n’arrondit plus ses fins de mois en faisant quelques ménages : on devient femme de ménage à durée indéterminée.

De la main d’œuvre stable et bon marché

Avec la réforme, les chèques sont devenus des titres-services (« titre », ça fait un peu « action » ou «sicav », c’est plus chic). Depuis 2004, le travailleur, ou plutôt la travailleuse, puisque le secteur est couvert par plus de 98 % de femmes, a un statut de salariée avec congés payés etc. A priori, on pourrait penser à une valorisation du statut, mais à regarder de plus près, on est quand même dans un sale cercle vicieux. Isabelle, qui a été chômeuse de longue durée pour élever ses quatre enfants, n’a pas l’air de s’en plaindre, mais il semble évident que ce que le nouveau système vise en réalité, c’est surtout de la main d’œuvre bon marché et stable.

« C’est toi qui choisis si tu veux faire un temps plein ou un mi-temps. On dit souvent « le client est roi », mais nous aussi on peut choisir. Si par exemple, tu ne peux pas travailler à 8 heures du matin parce que tu as les enfants à amener à l’école, le patron en tient compte. Sauf pour le repassage, le secteur où j’ai commencé. Là, on travaillait avec un horaire précis, mais les journées ne duraient pas plus de quatre heures et j’avais un mi-temps. Pour les ménages, c’est un peu pareil. On ne fait jamais plus de quatre heures chez le même client. J’ai des semaines de trente et de trente-cinq heures selon les clients. Je préfère nettement passer par la société où je suis que par les agences d’intérim. »

IntéTrime !

Les charognards de service, qui ont bien flairé l’aubaine, se sont effectivement engouffrés dans le système. L’intérim est en effet l’un des principaux pivots du système des titres-services, puisqu’il représente 40% de parts de marché de ce secteur. Toujours en collaboration étroite avec le gouvernement fédéral. 1 Même si, en théorie, le choix entre chèque-service (on dit maintenant chèque ALE) et titre-service est possible, tout est organisé pour faire basculer les chômeurs-ses dans le second système.
L’ interdiction pour les ALE depuis le 1er mars 2004 d’inscrire de nouveaux demandeurs d’emploi pour l’activité d’aide-ménagère va dans le même sens. Et depuis 2009, les activités d’aide à domicile de nature ménagère ne peuvent plus être exercées que par certaines catégories de chômeurs-ses : les cinquante ans ou plus et les chômeurs-ses qui présentent un taux d’incapacité de travail permanent de 33% minimum. Le but de cette mesure est évidemment de rediriger les travailleurs ALE de moins de 50 ans sans incapacité partielle de travail vers le système des titres-Services. 2

Tout bénéf pour le privé…

L’ALE, qui est une structure publique et non-marchande, met en avant l’idée d’aider les familles ou les mères seules qui ne s’en sortent pas. D’ailleurs, Isabelle le dit: « J’ai voulu travailler là-dedans parce que j’ai toujours voulu faire dans le social ». Or, la plupart de ses clients sont de professions libérales. C’est donc tout bénéfice pour le secteur privé : les sociétés gérant les titres-services perçoivent une aide directe de l’Etat Fédéral (Onem) à hauteur de 13,50 € (à laquelle s’ajoute la valeur du chèque payée par le client, c’est-à-dire 7 €). Cette aide peut être cumulée avec d’autre subventions, dans le cadre de mesures régionales en faveur de l’emploi. 3 Voilà comment l’argent public destiné aux chômeurs se retrouve dans la poche des sociétés privées. Federgon, fédération qui représente notamment les sociétés de titres-services, s’en défend et affirme, selon l’étude qu’ils ont commanditée, que « Le système des titres-services génère d’importants effets retour indirects, outre les effets directs classiques, ce qui diminue le coût net d’un tel système pour l’Etat fédéral. (…) PricewaterhouseCoopers, auteur de l’étude, a calculé un effet retour à 55,89% du coût brut pour l’Etat, effets directs et indirects compris. Pour Federgon, ce constat constitue un argument important dans le cadre des discussions sur le financement du système ». 4

… Qui omet de payer ses travailleuses

Pour la FGTB, le débat se situe ailleurs que dans les recettes de l’état. C’est la gestion des titres-services par des entreprises privées qu’ils remettent en cause: « Tout en reconnaissant au système qu’il permet de blanchir du travail auparavant réalisé au noir, le mode de financement et la gestion privée du système génèrent des situations socialement catastrophiques (…) Nos services sociaux sont débordés par les plaintes de travailleurs (pour la plupart travailleuses) pour des salaires impayés et de nombreuses petites entreprises semblent au bord de la faillite. ». Sans parler du scandale financier qui vient d’éclater avec une société. Sur ce coup-là, Isabelle semble avoir de la chance: « Un jour, je suis tombé sur une cliente qui me demandait de faire en quatre heures ce que je ferais normalement en six. J’y suis allée deux fois, puis j’ai été me plaindre au bureau et je n’y suis plus retournée. On est vraiment bien traité à l’agence. On a de bons rapports avec la secrétaire. Le patron, lui, je ne sais pas s’il est sympa, on ne le voit jamais. ». Par contre, d’autres sociétés sont pointées du doigt sur les forums ad hoc par des travailleuses à bout de nerfs et de force, victimes de clients peu scrupuleux, dont certains vont jusqu’à ne plus laver une tasse ou passer la serpillière. Or, à la base, il s’agit d’aide-ménagère. Les travailleuses ne sont pas là pour ramasser les langes usagés ou faire la vaisselle de la soirée précédente. La FGTB plaide pour une réorganisation du système et pour une gestion publique des titres-services.

Isabelle se dit heureuse de travailler en titres-services parce qu’elle a un « vrai contrat » et qu’elle n’a plus « affaire à l’Onem ». Et pourtant, quand on fait le calcul, il n’y a peut-être que ça qu’elle gagne: « ne plus avoir affaire à l’Onem ». Les chèques ALE sont nets d’impôt, donc ne sont pas comptabilisés dans les contributions. Avec un revenu légèrement plus élevé que ses allocations de chômage, elle risque probablement de perdre une série d’avantages sociaux et le loyer de son logement social va sans doute augmenter. Au final, elle gagnera quasiment la même chose, avec en bonus un treizième mois,
des chèques-repas… et des clients potentiellement infâmes.

Notes:

  1. Int(e)rim & tais-toi ! http://c4.certaine-gaite.org/spip.php?article1213
  2. Allez A.L.E ? http://c4.certaine-gaite.
    org/spip.php?article1578
  3. Femmes prévoyantes socialistes : Les titres-service, quelques implications : http://www.femmesprevoyantes.be/SiteCollectionDocuments/analyses/Analyse08Lestitresservicesquelquesimplications.pdf
  4. Les titres-services contribuent à réduire le coût à l’Etat : http://www.rtlinfo.be/info/belgique/politique/735910/les-titres-services-contribuent-a-reduire-le-cout-a-l-etat

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