Toute la journée, allumées et agenouillées devant les cierges et la Vierge, elles ont tricoté des Ave Maria. Le soir tombe, éteignant les vitraux. C’est l’heure du diable ! Inquiètes, elles quittent leurs chaises, courbées sous les voûtes. Elles s’en vont comme les cierges, racrapotées et éteintes. Elles reviendront demain, les bigotes.
Elle bouquine sur un banc, sur la place devant l’église, attendant l’heure de son cinéma. Passe un homme, redingote noire, accompagné d’un violoncelle. Il est sur le parvis, il salue en passant les corneilles qui chuchotent, puis pénètre dans l’église. Elle se replonge dans sa lecture mais ses yeux ne lisent plus, ne fixent plus, ils rêvent. Elle pose son livre sur le banc et ses yeux sur le porche de l’église. La voilà ébranlée. Comme une somnambule, elle se retrouve sans l’avoir vraiment décidé assise dans l’église et, bon Dieu, elle qui serait plutôt rock, la voici scotchée au baroque. La soprano est jolie. De ses lèvres d’un rouge pétant s’évadent des vocalises miraculeuses. Elle est sur la pointe des pieds, tout son corps semble prêt à s’envoler. La basse, un colosse puissant, la regarde, la suit, lui répond, prêt, lui à la rattraper….Les musiciens se régalent dans cet adagio et la jouissance est collective. Jésus, Marie, Joseph.
Elle, sur sa chaise, tout aussi transportée, ne quitte plus du regard son violoncelliste. Elle communie aussi. Elle aimerait être ce violoncelle coincé entre les jambes du violoncelliste. Et cet archet qui va et qui vient…Et ces doigts qui dansent sur les cordes…Elle se sent vibrer, elle ne se sent plus et laisse échapper un petit cri «aaah» qu’elle tente d’étouffer au plus vite. Personne n’a entendu pense-t- elle. La musique couvre tout. Elle le regarde . Lui, a entendu car il sourit, content de l’efficacité imparable de son instrument. « Aaah » répète-t-elle en silence. Elle ne tient plus sur sa chaise, il est temps que ça se termine. Ah! Dieu merci, c’est fini, le public applaudit…
Nuit noire. Elle est assise sur le banc de tout à l’heure, seule. La place est déserte. Les musiciens sortent un par un et s’en vont vite chacun de leur côté. Elle a froid, elle tapote ses pieds sur le pavé et fait un second tour d’écharpe autour de son cou. Brrr….
Ah, le voilà enfin. Heureusement, car elle commence à avoir sérieusement faim et elle déteste les histoires qui se terminent mal.
— Bonsoir ! – Bonsoir…
— C’était beau !
— Ah oui ?
— Vous avez faim ?
— Oh oui !
A partir d’une certaine heure, dans les petites villes de province, la plupart des cuisiniers ne besognent plus qu’au plumard. Seuls quelques braves turcs nocturnes concoctent encore des trucs bienvenus.
Faites mariner quelques heures des filets d’agneau (ou de poulet, c’est moins cher) dans un mélange ail, oignons hachés, poivre, cumin, cannelle, persil de coriandre, huile d’olive. Egouttez la viande, la faire revenir à feu vif cinq minutes d’un côté et cinq de l’autre, un peu de sel. La découper en tranches fines sur une planche en bois. Faites chauffer un pain pita et fourrez-le allègrement de salade et chou blanc coupés très fin en alternant avec des languettes d’agneau. Un tzatziki pour mouiller le tout : yaourt épais, concombre râpé et égoutté, sel, ail (un peu), huile d’olive et quelques feuilles de menthe hachées.
C’est la recette de la pita qu’ils s’enfilèrent chez «Ismaïl d’Izmir » avant de…
Mais ça, c’est leur affaire .