Jouez collectif, les gars?!

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Tant en terme de performance sportive qu’en terme d’utilité sociale, l’une des finalités des sports d’équipes est de former l’esprit de groupe et le sens de la coopération. En effet, la pratique sportive ne se réduit pas à un simple divertissement. Le théoricien de l’éducation allemand Johann Friedrich Gutsmuths (1759-1839) en était conscient, lui qui a élaboré un projet pédagogique destiné à intégrer l’éducation physique dans la scolarité dès le 19e siècle. L’idée était de promouvoir et de consolider des comportements et habitudes socialement utiles : savoir œuvrer pour le bien de tous, se plier à la discipline collective et obéir aux symboles de l’autorité (coachs, arbitres…etc.). Le sport devenu instrument de la formation de la conscience nationale. D’aucuns y retrouvent les prémices des nationalismes européens de la première partie du siècle dernier.

Canaliser les réflexes spontanés

Que l’activité sportive soit partie prenante du système éducatif, Mohamed Aziz, président de l’Espace Medina-Set, en est convaincu. Son association organise des activités physiques à la salle COS2-la Garenne, située rue des Olympiades à Charleroi. “L’objectif est de créer un espace de convivialité et de sociabilité où des jeunes de toutes origines et de tous les milieux sociaux se retrouvent hors structures et horaires scolaires, partagent les mêmes efforts et les mêmes émotions”. Une cinquantaine de jeunes de Charleroi et sa région, de générations confondues et de parcours scolaires différents, y jouent au basket et au « futsal » (foot en salle). Ils s’y rendent tous les samedis, parfois en groupes, à bord de moyens de transport loués pour l’occasion ; ainsi se sentent-ils appartenir à une entité fédératrice. “Une entité autre que la rue, lieu de la tentation des fléaux de la société, de l’oisiveté, de l’incitation à la brutalité ou aux rixes confuses…”, précise Aziz.

Sur le bord de la pelouse du terrain du parc de Jemappes, Giovanni, éducateur sportif, abonde dans ce sens. « Face à leurs adversaires, les jeunes joueurs doivent assimiler des activités codifiées; réduction des espaces entre les lignes, soutien et assistance mutuels… Bref, faire le boulot ensemble. Mon rôle, c’est de canaliser les réflexes spontanés, la tentation à la fantaisie ou au jeu perso ». On l’aura compris, le sport d’équipe chez les jeunes pourrait développer des valeurs du vivre-ensemble et serait un outil de prévention. Mais qu’en est t-il de l’idée bien répandue dans l’imaginaire d’une catégorie des jeunes, pour qui le sport est LE rail le plus approprié à l’avenir ? Aziz tempère: “Certes, le sport collectif est une école de la vie, mais, en parallèle, il est primordial d’investir les champs traditionnels, en l’occurrence le savoir et la formation”. Dans cette optique, l’asbl Medina-Set dispense, chaque dimanche, des activités de soutien scolaire à l’Athénée royal de Gilly.

Plus sévère, J-M. Brohm ne croit pas que le sport soit l’ascenseur social qui facilitera la mixité raciale. Ce sociologue français, dans son brûlot « Le foot, une peste émotionnelle » (sous-titré « La barbarie des stades », chez Gallimard, en 2006), qualifie l’idéologie de l’intégration par le sport (le foot notamment) de mythe. Selon lui, les rares réussites montées en épingle par les médias sont loin d’escamoter la panne du moteur de l’intégration. Ce pessimisme pourrait être attribué à une désillusion vis-à-vis du concept «black-blanc-beur », symbole du triomphe de la diversité un soir de juillet 1998 chez nos voisins d’Outre-Quiévrain. Ce concept n’aurait servi que d’écran de fumée incapable d’empêcher le presque plébiscite d’un Le Pen en 2002, et la déferlante xénophobe après la déconfiture des Bleus multi-ethniques lors du dernier mondial sud-africain.

Le haut niveau, un paradoxe vivant

Chez nous, on serait tenté de croire que les idéaux de promotion socio-raciale auraient accouché de l’équipe « black-black-black » du KSK Beveren d’il y a quelques années. 1 C’était mal connaître le pouvoir tentaculaire du foot business qui s’est engouffré dans les brèches de l’arrêt Bosman. 2 Le jeu cède aux enjeux financiers, les joueurs deviennent des valeurs marchandes, tandis que les dieux des stades qui intègrent le gotha du show-biz, désormais, il en coule de tous les robinets !

Que retiennent les « masses » de la saga foot ? Les coupes gagnées par le clinquant Beckam ou sa coupe de cheveux ? La leçon de la prouesse collective (mais passée inaperçue) réalisée par d’illustres inconnus grecs à l’issue du championnat d’Europe des Nations en 2004 ou bien les superlatifs encensant la chevauchée solitaire du truculent Maradona lors d’un Argentine-Angleterre au mondial mexicain en 1986 ? On peut le deviner intuitivement, les solutions collectives sont disqualifiées pour ne considérer que l’idolâtrie des individualités portées au diapason par le conditionnement cathodique et l’abrutissement populaire.

Et pourtant, peut-on clouer au pilori toute forme d’individualisme dans le sport ? Condamner ce penchant, c’est condamner l’esprit d’initiative, c’est rogner les ailes du talent et étouffer le besoin de s’affirmer. Selon les mots de Giovanni, l’éducateur jemappien, « en termes d’efficacité technique, l’égoïsme, au moment opportun, se révèle une qualité, notamment chez les attaquants de pointe ». Ce qui apparaît comme un antagonisme entre individualisme et collectif, se poserait plutôt en termes de complémentarité entre personnalités singulières. Certains s’affirment comme des leaders charismatiques, d’autres comme des exécutants incontournables. Le défi serait d’aiguiller ce mélange détonnant de compétences et d’ambitions au profit d’un projet commun.

Notes:

  1. Au
    début des années 2000, presque 100 ´% des joueurs du club de Beveren, qui jouait alors en première division, étaient d’origine ivoirienne : http://www.afrik.com/article6858.html
  2. Décision de la Cour de justice des Communautés européennes, l’« arrêt Bosman » a aboli les quotas de joueurs étrangers dans les clubs à partir de la saison 1996-1997 entraînant du coup une augmentation des transferts, ce qui a permis aux clubs de recruter les meilleurs joueurs à des sommes vertigineuses.

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