Humanimalité – communauté de l’anomal

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« Ils n’ont aucun désir de sortir de leur peau, et ce contentement paisible, troublé par nulle curiosité, est un signe tangible de cette insupportable suffisance qui est l’apanage le plus clair de la plupart des hommes. » M. Leiris

« La politique consiste à reconfigurer le partage du sensible qui définit le commun d’une communauté, à y introduire des sujets et des objets nouveaux, à rendre visible ce qui ne l’était pas et à faire entendre comme parleurs ceux qui n’étaient perçus que comme des animaux bruyants » J. Rancière

Cet étonnement, trivial, pourrait bien se transformer en effroi si l’on considère en effet combien les humains n’ont cessé de se servir de leurs proches (ou lointains) parents, en fonction de leurs fins opportunes, parfois odieuses. Connaissance intéressée lorsqu’il s’agit d’expérimentations barbares en laboratoire par exemple, ignorance localisée lorsque nous argumentons en faveur de notre appétence pour «la viande» (sic).

Par eux-mêmes, l’ignorance ou le savoir intéressé ne pose pas de soucis, ils peuvent parfois se révéler créateur. Il ne s’agit pas de dénoncer, plein de bonnes intentions, le sort infligé à la plupart des êtres à plumes et à poils. Quoique extrêmement problématique, souvent ignominieux, militer trop vite contre l’infamie, en faveur d’un végétarisme radical établissant le tri entre les gentils et les méchants, ou pour le très anglo-saxon « droit des animaux », peut engendrer de vicieuses conséquences.

Eloigné ou proche, étranger ou voisin, à négliger ou à défendre, toutes ces propositions s’élaborent toujours par rapport à… l’Homme, mesure de toute chose comme disait l’autre.

Nous croyons savoir ce qui nous rapproche ou/et nous éloigne des animaux, nous sommes supposés détenir une idée claire et distincte de l’abîme entre «eux » et « nous » : la Culture opposée à la Nature, l’Immuable opposé à l’Histoire, l’Intelligence contre l’Instinct, la Société contre l’« état de nature» etc.

Là se situe le principal problème : c’est toujours notre histoire. « Nous » changeons, libres et souverains, tandis que les animaux, prisonniers de leur environnement ne changeraient pas. Distance infranchissable favorisant les pires raccourcis.

Il nous fut raconté l’histoire suivante : alors que, dans l’Académie grecque, le Professeur était en train de définir l’Homme comme «  bipède sans plume ni pelage », Diogène, le mauvais élève de la Classe, brandit une poule nue, en criant avec effronterie et malice: « je tiens un homme! ».

Cette anecdote est révélatrice lorsque qu’on mesure à quel point la plupart des philosophies occidentales sont « des notes en bas de page de la philosophie de Platon », ce grand séparateur. L’autorité attribuée silencieusement au maître par les « bons élèves » présents pourrait bien se perpétuer aujourd’hui. Résonance aphone, en toute bonne volonté.

Ah La Différence ! Toutes les problématiques du  Propre de l’Homme, plus blanc que blanc sont fondées sur cette abrupte conviction qu’il existe au moins une caractéristique de l’humain, qu’on ne retrouve chez aucun autre animal et qui distingue tellement l’homme des autres animaux qu’elle fait sortir l’humain de l’animalité. Or une telle vision est stérile, voire dangereuse.

Nous sommes relativement prisonnier d’un carcan qui s’est constitué dans la trame d’un exotisme post-colonial, d’un ethnocentrisme aveugle et d’un anthropomorphisme mal assumé. Pour com-prendre l’animal, rien ne sert de chercher l’Expression juste, unique; mais bien au contraire il serait judicieux demultiplier les approximations, les essais, pratiques et conceptuels. D’inventer de nouvelles associations, de nouveaux agencements, de nouvelles formes d’attachement.

Penser dès lors les relations en dehors de la sphère de l’opposition entre le naturel et l’artificiel dans laquelle la philosophie majoritaire (mais aussi la plupart des psychanalystes, sociologues, l’anthropologues,…) veut à tout prix l’appréhender.

Nos distinctions fondamentales – celles
qui nous semblent l’être – ne se retrouvent pas dans toutes les formes-de-vie (appelées « cultures ») avec l’élégance morne de Lois universelles. Les Achuars d’Equateur en mobilisent d’autres, par exemple. Mais aussi- afin de nous soustraire à quelque exotisme – tel bonhomme avec « son » camarade quadrupède, tel éthologue travaillant avec des gorilles, tel éleveur de moutons, telle praticienne colombophile…

Certains critiques diront, grinçants, que ceux-ci pêchent par « anthropocentrisme », car leurs compagnons n’ont, en quelque sorte, pas dit « oui ». Mais est-ce si important ? N’est-ce pas un fantasme romantique, trop humain pour le coup, validant la Grande Séparation plus haut évoquée. 

Ceux qui vivent, sentent avec et par les animaux traduisent (trans-ducere : conduire au travers) le point de vue de ces derniers, leurs désirs et leurs expériences. Cette traduction est bien évidemment une interprétation. Est-elle juste? Là n’est pas la question. Du fait même que la traduction se produit, elle est intrinsèquement opérationnelle et peut devenir intéressante. Un “avec” (E.Goffman) est fabriqué, une extension dans l’autre et une extension de l’autre dans un territoire commun à construire : une forme de proximité farouche.

Devenir-animal… comme disaient G.Deleuze et F.Guattari. Ce qui ne veut pas dire imiter, mais s’engager dans un processus ouvert d’indétermination, d’altération, de mise en doute de ce comm’Un qu’on a appelé « humanité », qui détruit toute possibilité de communauté. Le monde se complexifie, se densifie, se peuple, devient… plus intéressant. A partir d’une ressemblance étale. Comme si en deçà des particularités développées par les espèces existait une sorte de « nappe phréatique du sensible », incertaine, où chacun pourrait puiser mais dont la plupart des hommes ont appris à se couper totalement

Un univers inhumain? Plutôt un fantastique plurivers an-humain, car l’homme dépasse l’homme en toute chose. Une extension, une ouverture, un tissage d’éléments hétérogènes, humains et non-humain, réels et imaginaires, concrets et symboliques. Une contagion forcément anthropocentrique, et assumée comme telle. Nous sommes des débordements Nous sommes des marges de nous-mêmes. Il n’y a pas de pages, sauf celles qu’il nous est offert de pro-longer, dé-border, ex-crire vers une communauté complexe.

D. Lestel nomme « communauté hybride » ce qui permet de saisir la (et de construire davantage de) richesse et la diversité des relations de l’homme à l’animal (et aux artéfacts !). Celle-ci se construit sur un partage de sens qui n’est pourtant pas établi sur un contrat social. Une communauté de vivants qui ne soit pas fondée sur le profit matériel (l’animal comme réserve de protéines) ou sur le syndrome du musée (l’animal comme vestige à préserver d’une sauvagerie dont on garde la nostalgie).

Une communauté, profondément égalitaire et – ceci est très important- dissymétrique, sous peine de nier le formidable et terrifiant pouvoir de destruction et de création de l’humain. L’homme pourrait devenir, en ce sens, non pas le Grand Berger néo-chrétien, mais le médiateur subtil, l’intercesseur habile, celui qui peut mettre en politique le différent et étendre le domaine du commun.

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Glossaire de la collectivité

Bande: Groupe de personnes réunies par affinités ou pour faire quelque chose ensemble.

Clan: Groupe de personnes ayant un ancêtre commun. Groupe fermé de personnes réunies par une communauté d’intérêts ou d’opinion.
Équipe: Groupe de personnes travaillant à une même tâche ou unissant leurs efforts dans le même but.

Foule: Réunion en un même lieu d’un très grand nombre de personnes, souvent dans un même but.

Gang: Bande organisée de malfaiteurs.

Groupe: Rassemblement de personnes dans un même endroit. Ensemble plus ou moins organisé de personnes ayant des points, activités, objectifs communs.

Horde: Groupe de personnes aux intentions mauvaises, causant des dommages par sa violence. Troupe nombreuse et
indisciplinée.

Meute: Foule, bande de personnes acharnées contre quelqu’un ou quelque chose.

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