Les relations sociales en milieu professionnel sont un pôle majeur du développement identitaire de chacun. Leur qualité influence la performance individuelle et collective et donc, à terme, la rentabilité de l’entreprise. Il n’est pas étonnant que les méthodes destinées à améliorer les compétences des employés – leur potentiel de rendement – empruntent le vocabulaire du monde sportif. Jouant sur la compétitivité interne ou externe, formant ou déliant des équipes en fonction de projets, les managers font de plus en plus souvent appel à des experts externes pour injecter un esprit de groupe au sein de l’entreprise quand cela est nécessaire. Les meilleurs managers, explique-t-on dans les centres de formation, sont ceux qui peuvent générer et nourrir artificiellement cet esprit d’équipe.
L’esprit d’équipe au forceps
Les évolutions technologiques et structurelles auxquelles les entreprises ont dû s’adapter ces dernières années, telles que l’expansion des réseaux sociaux et l’importance accrue du travail en équipe, ont remis en question la notion de la collectivité et redéfini les règles de communication et d’appartenance. Patricia Vendramin, codirectrice du Centre de recherche Travail & Technologies de la Fondation Travail-Université à Namur, jugeait ces tendances avec optimisme dans un article écrit pour la revue Démocratie en 2005. « Autant que par le passé, (…) les relations de travail actuelles ont besoin d’une expression collective des travailleurs », écrivait-elle. « Les salariés aujourd’hui paraissent plus en phase avec une critique sociale par projets, c’est-à-dire constituée de réseaux de personnes, engagés spontanément, et de manière éphémère, dans une action motivée par un projet commun. »
Cinq ans plus tard, les directeurs de ressources humaines ont intégré ces nouvelles mouvances de « solidarité en réseau et mobilisation par projet », selon les termes de Patricia Vendramin. Une culture d’«incentive » (« motivation ») s’est mise en place au sein d’entreprises qui privilégient la compétitivité de leurs employés. Qu’il s’agisse de week-ends détente, de cours de cuisine, jusqu’à l’excursion périlleuse en haute montagne, en passant par le — banal bien que toujours agressif -—jeu de paintball, le « team building » prend différentes formes. La valorisation de l’employé est l’effet recherché. Les stratégies de RH déploient donc tout leur savoir-faire dans la mise en place de politiques de gratification du travail et/ou de l’employé, qui devient un exemple de succès. Au-delà de la réalisation de son travail, c’est donc une reconnaissance sociale, reposant sur des processus psychologiques dictés par l’envie et d’admiration, que ces méthodes d’incentive permettent de provoquer.
L’offre ne cesse de se diversifier. En fonction des résultats recherchés, les entreprises ont à leur disposition différents degrés d’ingérence dans le parcours professionnel de leurs employés, invités à se remettre en question et à faire cadrer leur introspection sur la stratégie globale de l’entreprise. Au « coaching », une discipline d’accompagnement personnalisé, l’employeur peut préférer la consultance, plus analytique et critique des mécanismes internes à l’entreprise, la formation, qui vise au transfert et à l’acquisition de compétences et de certifications, ou encore le « mentorship » 1. Les entreprises, via cette réappropriation des objectifs professionnels de chacun, cherchent-elles à susciter un processus de normalisation? De quelle liberté l’individu peut-il se réclamer, tiraillé entre exigences de conformisme et de créativité?
Forcing
et performance
« Les cultures d’entreprise sont très différentes », rappelle Nathalie Alsteen, directrice de la société de coaching Cap2Zen et présidente de la European Coaching Association Belgium. « Certaines ne valorisent pas la communication et veulent faire des petits moutons de leurs employés. Puis on leur reproche de ne pas prendre d’initiative ». Selon elle, les objectifs du coaching doivent être clairement définis pour que le processus soit un succès. « La règle de base en entreprise est de rédiger un contrat tripartite entre l’employé, l’entreprise et le coach. Si le collaborateur n’accepte pas les conditions, alors on entre dans une logique de forcing, pas de coaching », explique-t-elle.
Le coaching est un phénomène social en pleine expansion, se taillant une place tant au sein des entreprises que dans la vie privée — avec des demandes différentes. Nathalie Alsteen estime que 80 % du coaching en entreprise est axé sur l’amélioration de la performance. Les personnes qui font appel à ses services spontanément sont souvent plus intéressées par une démarche curative. Faire appel à un coach professionnel permettrait d’aider les employés à trouver eux-mêmes les solutions qui favorisent le développement de leurs compétences.
Mais ne risque-t-il pas de gommer les imperfections propres à chaque personne — leurs particularités, leur richesse —, sous prétexte de les remplacer par des schémas préconçus “collant” à la stratégie de l’entreprise? Deux auteurs français, Roland Gori, psychanalyste, et Pierre Le Coz, philosophe, se sont penchés sur les mécaniques du coaching et en ont souligné les contraintes déterministes : en imposant à leurs clients des schémas simplistes, ces professionnels de la confiance en soi pourraient dangereusement imposer leurs diktats à des personnes qui ne font que ressentir les effets négatifs d’une économie déshumanisée. Selon eux, ces personnes souffrent avant tout d’un manque de repères flagrants dans leurs exigences personnelles. Ce qu’ils reprochent aux coachs, somme toute, c’est de n’offrir qu’une réponse limitée aux besoins de chacun, qui lissent les contraintes imposées par une idéologie néo-libérale et la présentent comme nécessaire et naturelle — à l’individu de s’adapter.
Selon Brigitte André, formatrice en entreprise et conférencière spécialiste en méthodes de coaching, « il y a une tendance nette au sein des entreprises à préférer la prise d’initiative des individus à une conformité excessive au style de l’entreprise et à un schéma de pensée prédéfini. Les entreprises ne recherchent que la rentabilité et les gens ne sont rentables que quand ils sont bien dans leur tête ». L’attractivité de l’expertise, tout comme les incentives, ne sont justifiées que par le succès. Leur seul pouvoir de changement est celui que l’employé leur donne.
Notes:
- Le mentorship désigne une relation interpersonnelle de soutien, d’échanges et d’apprentissage, dans laquelle une personne d’expérience, le mentor, investit son expertise afin de favoriser le développement d’une autre personne qui a des compétences à acquérir et des objectifs professionnels à atteindre. Cette aide fournie par le mentor est apportée dans le cadre d’une relation professionnelle. ↩