Et ce titre énigmatique alors ? « Blair », c’est en fait l’acronyme de Bruxelles et Liège, plus le mot «air », au sens « area ». « Blair Magazine », c’est donc un condensé de l’air — du temps — à Liège et à Bruxelles… Parce que Liège et Bruxelles sont « les deux métropoles culturelles en Belgique francophone », selon l’équipe.
En résumé, on pourrait définir « Blair » comme un agenda mensuel subjectif des expos et événements culturels en régions bruxelloise et liégeoise, plutôt tourné « jeunes ».
L’équipe. Le projet. Le numéro 1
Mais « Blair », c’est d’abord une petite équipe, soudée et dynamique. Trois jeunes gens, la vingtaine, à peine sortis des études. Il y a Rémi, graphiste, l’initiateur, le concepteur du projet, dont il est aujourd’hui le directeur artistique. Puis il y a Anne, fraîchement diplômée de St-Luc, section Peinture, qui a repris des études de stylisme à Bruxelles, et s’épanouit en tant que responsable de la communication et du marketing. Enfin, il y a Bettina, la rédactrice, graduée en communication.
Au départ, il un constat de Rémi : quand ils sortent des études, les jeunes artistes manquent cruellement de médias, de moyens matériels et financiers pour faire connaître leur travail, démarcher les galeries, etc. D’où l’idée de créer par soi-même un outil, une plate-forme où promouvoir de jeunes artistes de Communauté française en présentant leurs œuvres
L’occasion se présente au moment où Rémi doit présenter un travail de fin d’étude en graphisme. Il fait alors d’une pierre deux coups, et propose comme projet de fin d’année de développer et de lancer un magazine d’art en Communauté Française. L’objectif est de réaliser concrètement le premier numéro de ce qui deviendra « Blair, le magazine » pour la fin de l’année scolaire. Un beau moyen de réussir la redoutable transition entre vie étudiante et vie professionnelle.
Pari gagné! En mai 2009 sort le premier numéro de « Blair »… Une cinquantaine de pages couleurs « léchées » d’une qualité graphique irréprochable qui présente divers travaux de cinq artistes plus ou moins émergents dans différentes disciplines. Le concept de base du magazine est planté : une identité graphique forte, peu de textes, si ce n’est un petit édito, un maximum de reproductions d’œuvres brutes, des pubs en petit nombre, bien ciblées, pour des entreprises locales et à taille humaine ( du concessionnaire Apple du coin à la boutique de fringues vintage, en passant par les magasins éthiques et/ou bios…). Une autre idée qui fait l’identité du magazine : une couverture à chaque fois différente, reproduisant l’une des œuvres d’un artiste présenté dans le numéro.
La réalité économique. Le développement. Un montage original
La philosophie générale de « Blair » est là, dans ce premier numéro. Un mensuel culturel ouvert et indépendant. Pointu, mais pas puriste : on y passe allègrement d’installations conceptuelles à des lignes de vêtements, de photos à des grafittis, d’Aleshinsky à de jeunes peintres pas encore sortis de l’Aca… Alternatif, sans être underground !
Il reste à concrétiser l’essai, à pérenniser le projet. Et cela « sans un sou d’avance, et avec la volonté de ne pas y engager de fonds personnels ». Face aux réalités économiques, peu à peu, le projet de « Blair » s’est réorienté, sans se dévoyer.
Et c’est ainsi que l’équipe s’en sort, grâce à un montage financier original, construit pas à pas. Un truc hybride, une économie en réseau, avec une espèce de dynamique « win-win » où se mêlent partenariat, sponsoring, mécénat et annonces classiques. En gros, le magazine vend des pages ou des demi-pages à des galeries, à des événements culturels ou à des lieux associatifs qui y présentent leur(s) actualité(s) du moment. En échange, ceux-ci reçoivent un certain nombre d’exemplaire(s) pour distribuer à leur public. En gros, ça fonctionne de la même manière avec les annonceurs plus commerciaux, « mais l’espace est plus cher ! ». Donc, souvent, les lieux qui font leur pub à l’
intérieur du mensuel servent aussi d’espace de diffusion du mensuel. C’est une sorte d’économie qui fonctionne un peu en vase clos, sur la base d’un échange monétaire, mais aussi d’un échange de « services »! Ce sont les mêmes qui financent et qui diffusent le magazine. Et ça marche ! Evidemment, ça ne marche que sur « un marché de niches », à l’intérieur d’une même communauté avec des intérêts similaires. Et le réseau s’étoffe. Actuellement, « Blair » est tiré et distribué en moyenne à 3000 exemplaires, 1500 sur Liège et 1500 sur Bruxelles. C’est modeste, mais pas mal du tout, et « c’est en croissance progressive » nous assure l’équipe.
De toute façon, l’idée n’a jamais été de faire un agenda culturel grand public de plus, fût-il « hype ». « Même si le projet grandissait, ce ne serait pas l’objectif, on reste attaché à notre public de départ, jeune et ouvert d’esprit. On tient aussi beaucoup à ce qu’il n’y ait pas trop de rebuts, et en tout cas qu’aucun exemplaire de Blair ne finisse à la poubelle sans être feuilleté. Ca fait aussi partie de notre philosophie ».
Garder la ligne. Image et écrit. L’avenir
Mais comment rester indépendant et garder une certaine « ligne artistique » dans un système pareil ? « Nous choisissons avec beaucoup de soin les galeries et évènements avec lesquels nous établissons un partenariat, surtout si c’est du long terme. Ainsi, nous gardons un certain contrôle sur l’image que nous voulons donner. Et même pour les pubs. Nous faisons confiance aux choix des galeries, qui sont toujours de qualité, et cela même si nous n’exerçons pas directement de contrôle sur les artistes présentés, puisqu’elles paient pour cela ». Le secret serait donc de s’associer avec des acteurs culturels et des annonceurs qui ne seront jamais médiocres ou ringards…
« Et puis, surtout, une fois le budget du mensuel bouclé et les frais d’impressions payés, ils nous reste cinq à quinze pages à nous, pour nos coups de cœur ou nos coups de pouce. C’était quand même le projet initial, et ça le reste ! Et puis, au final, on tient en main un bel objet, qui nous ressemble. Et c’est là l’essentiel ! »
Pourquoi ce choix de boutiques vintage, street-wear, équitables, de magasins bios et de snacks végétariens, comme annonceurs, mais aussi comme points de diffusion ? « Justement, parce que ce sont des endroits qu’on fréquente et que fréquente notre public potentiel. Nous avons une idée assez précise de notre public cible : les 15-35 ans, créatifs, actifs, ouverts sur la culture et les tendances contemporaines. Or, ce public est souvent sensible aux questions environnementales, au bio, à l’éthique, au slow-food, et à toute ces questions qui traversent notre époque. » Sans toutefois négliger leur look !
Et l’option de privilégier l’image sur le texte, c’est une tendance générationnelle? « Y’a déjà beaucoup de publications, même artistiques ou culturelles, qui privilégient le fond. En tant que magazine centré sur les arts visuels, il semblait logique d’avoir une identité et un contenu avant tout visuels. On montre des œuvres qui nous parlent et on espère que ce sera le cas aussi pour ceux qui regarderont, que ça leur donnera envie d’aller dans les galeries, d’aller plus loin dans l’œuvre de tel ou tel artiste ou collectif. On veut laisser le plus d’espace possible aux œuvres.. »
« Blair » incite à la découverte par soi-même.
« C’est clair que cette priorité donnée au visuel est générationnelle. Les plus jeunes sont avant tout sensibles aux images. Il faut que ça aille vite, que ça ait un impact direct, il faut de l’émotion. Et si on veut aller plus loin, si on s’intéresse plus à un artiste ou une oeuvre, il y a le web! »
Que souhaiter à « Blair » pour l’avenir? « Bien sûr, l’idéal serait d’arriver à en vivre, de créer nos propres emplois. Mais, même si on est en développement croissant, on est encore loin du compte. Et quand on boucle un numéro, actuellement, on n’a toujours pas un sou pour voir venir… »
La piste des subsides ? « Bien sûr, on y
pense. Des subsides récurrents permettraient de consolider le projet. Mais les dossiers sont lourds. Il y a beaucoup d’appelés pour peu d’élus. Et puis, nous avons chacun d’autres activités sur le côté, des petits boulots alimentaires, notre propre travail artistique, des études en cours pour certains… Et puis le contexte global est pas très favorable. »
Un petit bémol malgré tout : c’est que « Blair » a les défauts de ses qualités. En raison de son format, sa présentation, son mode de financement et de distribution par et dans des locaux commerciaux, son contenu éditorial minimal, on pourrait parfois le confondre ou l’assimiller à d’autres publications et agendas insipides et commerciaux qu’on peut trouver sur les tables de nos bistrots ou théâtres. Et on a parfois du mal en feuilletant les pages de « Blair » à faire la différence entre « coups de cœur véritables », mécénat, publireportage et simple annonce publicitaire… Mais ne gâchons pas notre plaisir ! Il faut surtout louer l’enthousiasme et l’esprit d’initiative de ces jeunes gens qui, partis de rien, ont réussi à concrétiser leur rêve et à enrichir notre terreau culturel. Alors, bon vent à « Blair » ! Et qu’il nous pousse encore longtemps à travers les ondes de l’air du temps.
Blair Magazine, c’est : Rémi Evrard Da Troa, Art director, Anne Crutzen, Communication et Marketing, Betina Y. Salba, Staff Writer. CONTACTS :
dircom.blairmag@gmail.com www.blairmagazine.be | Points de diffusion à Liège et Bxl: voir le site web.