Les historiens ont montré qu’en période de crise, il y a toujours eu une résurgence du populisme, du nationalisme et du rejet de l’autre. La seule spécificité de cette crise-ci est qu’elle est globale. « Dans ce contexte, qui doit être la cible du rejet? », s’interroge, sans doute à juste titre, Riva Kastoryano, directrice de recherche au CNRS, en évoquant la facilité avec laquelle certains partis nationalistes s’en prennent à l’Union européenne, en ces temps de débandade généralisée.
L’élaboration de l’UE s’annonçait prometteuse : son objectif premier était d’intégrer les pays européens au sein d’un espace économique ouvert qui devait permettre, à terme, d’atténuer les préjugés et les rancœurs historiques, et de tempérer le sentiment national par un sentiment d’appartenance à une « maison commune ». Hélas, force est de constater que ce bel élan a eu les reins brisés. Difficile de fédérer les populations derrière un projet qui ne semble les avantager que de très loin. Il est donc inévitable, et ce dès que les difficultés se font sentir, que la fibre nationaliste reprenne le dessus. D’autant que peu de gouvernements résistent à la facilité d’un repli sur soi, immanquablement plus démagogique que le maintien d’un bloc uni dans l’adversité. En Europe, comme ailleurs, le nationalisme reprend de la vigueur sous ses diverses formes.
Quand les plus puissants ouvrent la voie…
La dernière crise en date démontre l’aisance avec laquelle certains pays, figurant pourtant parmi les plus ardents défenseurs du monde libéral, se recroquevillent sur eux mêmes dès que le temps tourne à l’orage. Les plus puissants tentent alors leur chance pour se débarrasser, au plus vite, des poids qu’ils estiment trop pesants pour leur survie, reléguant au placard les principes qu’ils avaient imposés jusque là. Aujourd’hui, le nationalisme économique reprend la main : le cas de General Motors et sa filiale d’Opel Anvers démontre l’état d’esprit régnant. « Le géant américain était en déclin depuis des décennies, victime d’un management incompétent, de mauvais modèles, de conditions de travail excessives et d’un réseau de distributeurs horriblement chers. L’effondrement de la demande mondiale d’automobiles aurait dû sonner la fin, pour ensuite déclencher un processus de scission et d’assainissement » 1. L’enjeu était trop important pour l’Amérique, comme pour l’Allemagne, tous deux bien trop puissants pour la Belgique et encore davantage pour la Flandre. GM sera sauvé des eaux par Barack Obama. Angela Merckel sauvera Opel chez elle, sacrifiant ainsi le site anversois.
En Belgique, le repli identitaire flamand empoisonne depuis bien trop longtemps le pays et s’accentue devant les difficultés : « Aujourd’hui, la crise économique fait plus que jamais des ravages et crée de la misère. […] Plutôt que de tenter de comprendre quelles sont les véritables raisons de cette situation sociale défavorable, il est plus facile de désigner des coupables idéaux. Les étrangers deviennent alors les boucs émissaires de prédilection, mais aussi les Wallons, qui sont désignés comme responsables de la situation par le VB et d’autres nationalistes flamands, notamment ceux de NVA. Etrangers ou Wallons, ce sont eux les responsables de la crise économique : il faut donc, pour les premiers, les renvoyer dans leur pays d’origine et scinder, à cause des seconds, le pays en deux. » [« Guide des résistances à l’extrême droite » (2005), Manuel Abramowicz]
De tous temps, l’autre, l’étranger, a effrayé. Il est nettement plus facile de se cloisonner sur le local que d’étendre son horizon. Les membres d’une même famille, d’une même localité, auront souvent l’habitude de favoriser leurs intérêts, avant ceux des autres et davantage encore devant les difficultés. Le repli sur soi a été l’apanage des temps de disettes. Des discours autour de l’octroi ou de la déchéance de la nationalité,
effectués par Sarkozy en France ou Jacqueline Galant en Belgique, contribuent à alimenter cette pensée égoïste selon laquelle « on s’en sortira mieux tout seul ». De tels courants de pensée ont déjà eu cours par le passé, avec les résultats dévastateurs que l’on connaît.
Notes:
- Marc de Vos, La Libre Belgique, 27/01/010, « GM-Opel sonne le retour du nationalisme économique » ↩