« Les religions sont des fleuves, et l’océan dans lequel elles confluent, c’est le silence. » Ramana Maharshi
« La religion a longtemps servi de phare (de guide) pour l’humanité. Elle répondait à un besoin fondamental, à un besoin de compréhension et de sens, et son rôle était légitime. Mais aujourd’hui la situation a changé. » 1 La place de la religion dans la société et dans la vie individuelle évolue énormément au fil des époques et des lieux. Pour la rédaction de cet article, il n’a pas été évident de trouver des gens qui acceptent de parler de leur expérience spirituelle. Elle semble être réservée à la sphère privée, alors même que ce que les trois personnes interviewées ont en commun, c’est la question du lien, de la bienveillance et du partage de valeurs avec son prochain dans ce qu’il a de commun : le fait d’être un humain. Croisons ces trois expériences particulières avec le point de vue de Robin Fortin, philosophe canadien et spécialiste de la pensée complexe d’Edgar Morin. 2
Aminata…
Aminata vient d’une famille musulmane de Guinée Conakry. Elle a la nationalité belge depuis sept ans, bien qu’elle vive en Belgique depuis beaucoup plus longtemps. Elle croit en Dieu, mais elle pense que la religion musulmane est mal comprise et mal interprétée, en tout cas par une grande partie des pratiquants et de ceux qui sont censés la véhiculer. Et quand elle dit ça, elle parle de son vécu. En effet, Aminata s’est vue pointée du doigt par les croyants de sa confession parce qu’elle ne priait pas et ne suivait pas les règles. Mais Aminata n’aime pas les contraintes et elle estime qu’elle respecte bien plus Dieu en cherchant à faire le bien autour d’elle tous les jours qu’en s’interdisant de boire ou de manger certaines choses. Même si le fait d’être stigmatisée l’a poussée au rejet de la religion, elle aimerait l’explorer un jour, peut-être quand elle aura des enfants.
Natasha…
Natasha est d’origine russe et vit en Belgique depuis bientôt quinze ans. C’est vers treize ans qu’elle a appris qu’elle était juive. La Russie au temps du communisme était antisémite, et ses parents ne voulaient pas qu’elle ait de problèmes à l’école, c’est la raison pour laquelle ils ne lui ont parlé de son identité juive que très tard. Elle n’a pas tout de suite pris ça comme une bonne nouvelle. Mais vers quinze ans, après l’ouverture de la Russie, elle est partie en camp de vacances avec des jeunes juifs de son âge et elle a passé les meilleures vacances de sa vie. Elle s’est retrouvée avec des gens qui partageaient ses valeurs et ses aspirations. A partir de ce moment là, elle a, au fur et à mesure, fait connaissance avec la culture juive ainsi que son pratique religieuse. Parce que, pour elle, le judaïsme est une identité avant d’être une religion.
Quand elle est arrivée en Belgique, c’est dans les soirées organisées par la grande synagogue de Bruxelles qu’elle a pu se construire une vie sociale. Elle a rencontré
une foule de gens passionnants, elle a appris tout un tas de choses très intéressantes mais Natasha confond les fêtes et ne pratique pas les rituels. Elle déteste les règles, elle ressent inévitablement le besoin de les remettre en question. Pour elle, c’est comme quand on apprend une langue. Le judaïsme est sa deuxième langue, sa langue maternelle étant l’absence de religion. Ses parents l’ont éduquée à être fidèle à des valeurs mais ils ne l’ont pas éduquée dans la foi juive. Plongée dans le milieu juif, elle se sent extérieure à la communauté même si cela reste un aspect de sa personne. Tout comme en Belgique, elle se sent russe, et en Russie, belge… Natasha est toujours en opposition.
…& Jean
Jean vient d’une famille belge catholique. Natasha et lui sont mariés et ils ont une petite fille. Ils ne l’ont pas baptisée, ils veulent qu’elle puisse choisir elle-même plus tard quand elle aura pu se faire une idée. Jean n’est pas croyant mais il est actif dans sa recherche spirituelle. Il lit des livres concernant la foi chrétienne et récemment il a commencé le parcours Alpha 3 qui consiste en des dîners-conférences ayant pour sujets les thèmes de base de la chrétienté. C’est pour lui une nouvelle façon de concevoir sa relation à la religion, au christianisme. Il s’agit d’être acteur au lieu d’être dans une approche « top-down» avec une autorité supérieure qui détient les réponses aux questions. Pour Jean c’est de cette manière que la religion peut se renouveler, parce qu’aujourd’hui, on est plus exigeant sur ce qu’on veutt bien croire, ce à quoi on désire adhérer. A côté du métro-boulot-dodo superficiel, il trouve que la religion donne de la profondeur, une dimension humaine. L’accent est mis sur le prochain et puis il y a une histoire, une culture, une communauté.
A la rencontre de l’autre
La religion tourne autour de la question du sens. Elle peut donner du sens à la vie, quelle que soit la confession. L’incertitude permanente mèner souvent à l’angoisse, il est donc important de croire, de donner du sens à sa vie et de la vivre en fonction de valeurs auxquelles on adhère, et il se trouve que la religion répond à ces besoins. « Réponse à tout, la croyance est apaisante, sécurisante, réconfortante, euphorisante. La croyance est une réponse à l’existence, à la vie, à l’action, à la mort, à l’au-delà. » 4 Pour Natasha, il est important de réfléchir et la religion donne beaucoup de nourriture à l’esprit, mais elle est à consommer avec modération.
Selon Robin Fortin, l’angoisse de l’absence de sens peut mener à la fermeture sur ses croyances, à l’adhésion sans condition aux idéologies, aux extrémismes, aux dogmatismes. Il serait facile, selon lui, d’adhérer à une structure et d’accepter des réponses préétablies qui en finissent avec l’incertitude. Alors que la recherche de sens peut se faire de manière personnelle avec ce qu’on a reçu et ce qu’on découvre au fil de sa vie. Pour cela, la pensée doit rester ouverte et être en permanence alimentée.
Des rencontres avec Aminata, Natasha et Jean ressort l’idée que lorsque cette recherche de sens se fait personnelle, elle entre dans la sphère privée et, dès lors, les contraintes liées la pratique de la religion sont moins facilement acceptées. On se rend compte que l’aspect collectif de la religion peut facilement se réduire à l’obligation contraignante de suivre les règles et les rituels pour faire partie de la communauté. Alors que dans le cadre d’une démarche spirituelle personnelle, c’est justement le fait de retrouver chez d’autres des valeurs et des aspirations communes qui a mené Natasha à apprécier son judaïsme. Quant à Aminata, c’est dans le lien et la bonté avec son prochain qu’elle se sent plus proche de Dieu. Enfin, Jean trouve que ça apporte une profondeur à la vie que de se concentrer sur son prochain, de partager entre êtres humains. Il a par exemple été très touché quand il s’est rendu compte que des organisateurs du parcours alpha priaient pour
les participants et donc pour lui. La rencontre lui a semblée différente dès ce moment-là.
Peut-être peut-on envisager que l’aspect collectif «sur papier » de faire partie d’une communauté religieuse, comme le fait de suivre des règles, d’être baptisé ou circoncis, ou encore d’accomplir les rituels, peut paradoxalement rebuter et empêcher le véritable lien collectif de se créer à partir des individualités dans leur vécu singulier de spiritualité? Et inversement, lorsque le vécu spirituel se fait individuel, le lien avec la collectivité se ferait de manière personnelle, dans la rencontre et non en suivant quelque chose imposé de l’extérieur ou une appartenance communautaire ?
« Le mot spiritualité ouvre sur plus grand que soi, c’est une ouverture mystérieuse sur l’infini, l’inconditionné, l’indicible, ce qu’on ne peut ni communiquer ni circonscrire. Le mot transcendance (« trans » veut dire au-delà, par-delà, au-dessus) renvoie lui-même à l’idée d’écart, d’ouverture, de dépassement. La transcendance d’aujourd’hui n’est plus celle d’un Ordre sacral prédéterminé (d’une religion ou d’une religiosité particulière par exemple), ce n’est plus une transcendance unique, mais une recherche de sens au-delà des enracinements sociaux, culturels, historiques ou religieux. […] Comme toute croyance, elle relève avant tout de l’individu, donc c’est d’abord quelque chose de personnel. » 5 La religion telle que vécue par les trois personnes rencontrées relève plus d’une démarche personnelle de spiritualité, ce n’est qu’ensuite qu’elle est destinée à devenir plurielle dans la rencontre de l’autre. Un autre qu’on « reconnaît » non pas comme faisant partie de la même communauté religieuse, mais plus simplement comme un être humain, un prochain.
Notes:
- Robin FORTIN, « Comprendre l’être humain, Pour une vision multidimensionnelle de l’être humain », Editions Dépul & L’Harmattan, Paris-Québec, 2007, p. 32. ↩
- Définition d’E. Morin : « Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot “complexus”, “ce qui est tissé ensemble”. Les constituants sont différents, mais il faut voir comme dans une tapisserie la figure d’ensemble. Le vrai problème (de réforme de pensée) c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il faut mieux apprendre à relier. Relier, c’est-à-dire pas seulement établir bout à bout une connexion, mais établir une connexion qui se fasse en boucle. Du reste, dans le mot relier, il y a le “re”, c’est le retour de la boucle sur elle-même. Or la boucle est autoproductive. [..] La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier. » Edgar Morin, La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité, in Revue Internationale de Systémique, vol 9, N° 2, 1995. ↩
- www.coursalpha.be. ↩
- Robin FORTIN, « Op. cit. », p. 159. ↩
- Id., p.124. ↩