Zones de contact, ou pour en finir avec la bêtise nationaliste

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Jules Destrée, l’homme du fameux « Sire, il n’y a pas de Belges », exécrait ce mélange, symbolisé par les habitants de la capitale, « agglomérat de métis, […] insensible à l’appel de la race, à l’amour de la terre et des aïeux ». La rage mono-identitaire s’est abattue avec le plus de virulence là où les « métis » se sont éparpillés, dans le Brabant, découpé arbitrairement sur le seul critère linguistique. L’écrivain Amin Maalouf, venu d’un pays où les conflits communautaires ont pris une tournure infiniment plus tragique, lui répond : « Chacun d’entre nous devrait être encouragé à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme étant la somme de ses diverses appartenances, au lieu de la confondre avec une seule, érigée en appartenance suprême, et en instrument d’exclusion, parfois en instrument de guerre. »

Après plusieurs révisions institutionnelles qui ont légitimé l’apartheid à la belge, la purification ethno-linguistique a opéré son œuvre. Les « régions » sont officiellement homogènes du point de vue linguistique et communautaire. Les inassimilables et irréductibles furent sacrifiés de part et d’autre de la « frontière linguistique ». L’histoire du contentieux communautaire, c’est d’abord celui d’un double génocide « soft » : celui de l’importante colonie flamande dans les bassins industriels wallons et celui des francophones de Flandre. Curieux troc dans un sordide marchandage institutionnel, des ouvriers hagards d’un côté, une bourgeoisie assimilée à une classe d’exploiteurs de l’autre. Les représentants wallons firent tout ce qu’ils purent pour empêcher un bilinguisme administratif intégral, ainsi qu’une vie culturelle et associative de ses immigrés flamands ; le mouvement flamand, impatient de se débarrasser des « fransquillons » de Flandre que les politiciens francophones n’ont jamais cherché à défendre, laissa tomber de même les Flamands installés en Wallonie. Exit tout ce qui ne rabat pas la question de l’identité communautaire à celle d’un idiome de référence.

Les rapports entre « langue maternelle » et « nation » n’ont pourtant rien d’évident. Comme le rappelle l’historien Eric Hobsbawm, « la vraie, langue maternelle, au sens littéral, c’est-à-dire l’idiome que les enfants apprennent de leur mère illettrée et parlent pour leur usage quotidien, n’avait certainement rien à voir avec une « langue nationale ». […] Les langues nationales sont presque toujours des constructions semi-artificielles […]. Elles sont l’opposé de ce qu’imagine la mythologie nationaliste, qui les prend pour le fondement primordial de la culture nationale et la matrice de l’esprit national. Elles sont le plus souvent des tentatives de dériver un idiome standardisé au départ d’une multiplicité d’idiomes réellement parlés […] »

Mais les mots et les noms, comme le montre l’examen des toponymes le long de la ligne de partage entre les deux communautés, sont aussi un magnifique conservatoire du brassage culturel dont notre petit bout de territoire est issu. A la fois éternel «champ de bataille » et laboratoire européen, il a donné à ce peuple hybride, cosmopolite, « créole », bref tout ce qui donne des cheveux gris aux dirigeants, habitués à gouverner des administrés rendus dociles par un processus d’homogénéisation culturelle schizophrénique : une massification par la consommation, qui se paie par la création artificielle d’identités reposant sur des slogans de type « nous ne sommes quand même pas comme eux ».

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