L’identité en quelques mots
Cette notion est fondamentalement floue. On doit donc prendre toutes les précautions, pour voir sur le terrain de quoi elle est faite et quels sont ses enjeux. Le problème avec des mots comme “identité” est typique de la langue française, car on a l’habitude de chercher à donner des définitions non équivoques et à utiliser des concepts comme si c’était des choses. Or, si on donne une définition trop bétonnée de l’identité, le réflexe est de penser en termes de bon/mauvais, d’identités réussies/ratées.
Il existe un autre vocabulaire pour évoquer les individus. Du côté de la sociologie nord-américaine, la boîte-à-outils conceptuelle est à la fois plus simple et plus actuelle. La sociologie nord-américaine se base davantage sur ce que les gens racontent de leur vie. Elle prend ce qu’ils disent au sérieux et ne considèrent pas a priori la situation qu’ils vivent comme normale ou anormale.
C’est à l’intérieur de la structure de la langue française, qu’il est possible de poser des questions comme : un immigré maghrébin de deuxième génération a-t-il une bonne identité liégeoise ? Si on avait la même situation, dans un quartier de Philadelphie par exemple, la première question serait : quelle coopération peut-on mettre sur pieds avec lui ?. Tandis que même avec la meilleure volonté du monde, dans la langue française, si on dit “je suis Français et vous êtes Allemand”, et si les deux personnages sont, en plus, de sexes différents, on en arrive uniquement à la question : “serait-il possible que ces individus vivent ensemble ?”. C’est une question réduite par la représentation que l’on a de l’individu.
Cela étant, il y a deux possibilités d’utilisation du mot identité, deux enjeux aussi, dans cette utilisation. L’une nous vient du passé et est liée à la construction des Etats nationaux, c’est l’identité au sens d’appartenance. Comme si les individus étaient captés par des appartenances qu’ils ne peuvent pas ou très peu manipuler, dont ils ne peuvent pas ou peu se distancier. On dira, par exemple : “vous êtes d’une identité belge, française, anglaise”, c’est l’aspect national, mais il y a des identités d’un genre différent, ce sont les identités de métier. On pouvait dire, il y a encore quelques années : “je suis de Cockerill” ou “je suis de telle entreprise ou de telle profession”. C’est donc une première façon de voir les choses que de dire à quoi on appartient : un pays, un métier, une langue, une famille d’origine, etc.
D’autre part, ce qui apparaît depuis un certain temps, c’est de se dire qu’on est plus ou moins « dés-en-capsulé » de nos différentes appartenances. Lorsqu’on traite alors de l’identité, c’est pour savoir qui on est, puisqu’on ne sait plus se définir à travers les appartenances qui nous tombent dessus. L’un des premiers terrains de recherches empiriques, dans cette perspective, a été la question des adolescents, dans les années 60, 70. Il y avait à cette époque, une mobilité socio-économique à la hausse, c’est le fameux « ascenseur social », qui apparaît.
S’agissant de la notion d’identité, ce sont les deux extrêmes, et sans doute y a-t-il des positions intermédiaires? Par exemple : l’identité européenne. Il s’agit à la fois de faire coexister ce qui reste d’identités nationales plus ou moins fortes selon les 27 pays, mais en même temps, il faut se demander si dans ces 27 pays, il est possible de trouver quelque chose de commun et si la nouvelle identité à venir supplantera les anciennes identités nationales. C’est une question d’autant plus indécise que la moitié de la population en Europe vit sur des zones frontières, avec des échanges significatifs avec deux pays, à travers la langue, les unions matrimoniales, les transferts de main-d’œuvre d’une région à l’autre. Cela montre bien le flou que peut revêtir la question de l’identité. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose car ça demande de la rigueur dans l’observation et cela empêche de se servir de réponses
toutes faites. Au contraire du débat sur l’identité national, qui a eu lieu en France, il y a quelques mois. On avait l’impression que la réponse allait avec la question. On avait la réponse, donc on construisait les questions en fonction des réponses. C’est le problème, lorsqu’on part d’une définition trop bien ficelée. Evidemment, les discussions collectives s’arrêtent très vite, et ça a été le cas en l’occurrence, à l’Assemblée Nationale française.
Importance fluctuante de la question de l’identité dans l’histoire
Lorsque les appartenances étaient très fortes, la question de l’identité se posait peu. Prenez l’exemple d’un artisan tanneur du Nord de l’Allemagne, en 1840. S’il le souhaitait, il pouvait s’installer à Limosges, sans aucune espèce de contraintes. Il n’y avait pas de carte d’identité, pas d’équivalence de diplôme, aucune carte de séjour. Il n’y avait donc pas d’obstacle et même si la mobilité géographique était moins grande, elle posait cependant nettement moins problèmes, par rapport à ce que nous considérons comme étant l’identité.
La Paix de Westphalie (fin des guerres de religions entre protestants et catholiques) a marqué un changement, avec le début des Etats nationaux et une espèce de consensus : à un territoire, étaient désormais liés un pouvoir et une religion. C’est un moment historique très important parce que c’est dans la perspective d’un Etat-Nation, que se conjuguent la notion de territoire, sur lequel il y a un pouvoir (plus ou moins despotique ou plus ou moins démocratique), et un discours collectif de nature religieuse.
Evolution des identités depuis lors
Certaines identités se sont déconstruites au fil du temps, par exemple l’identité ouvrière.Elle n’a pas disparu, mais s’est incontestablement transformée. D’autres ont par contre émergé, comme la catégorie identitaire de l’adolescence, quelque chose dont on ne parlait pas en 1910 ou en 1920. Pour ces nouvelles identités, aucune assignation. On s’est donc fait à l’idée que cette identité d’adolescent est le produit d’une construction de toutes pièces pour eux, sur base de socles qui préexistaient.
Ce qui nous est contemporain, c’est la situation dans laquelle se trouve les gens, à devoir construire leur identité. C’est une véritable épreuve, à la fois individuelle et dans le contexte des relations, car cela ne se fait pas dans un vide complet, chaque individu étant en contact avec d’autres. C’est un travail d’épreuve car il peut y avoir dans l’identité des éléments qui sont contradictoires, donc difficiles à concilier.
Identité et appartenance
Traditionnellement, l’appartenance est le premier versant de l’identité. La question posée est : “quels sont vos points d’ancrage, à travers une famille d’origine, une nation, une langue, une religion ou une absence de religion ?”. Plus récemment on a connu une forme d’identité qui était l’identité de métier, avec notamment l’exemple forti des corporations. L’autre versant de l’identité, c’est le côté ouverture, construction de l’identité dans les relations qu’on a avec les autres, mais qui tiennent alors du processus.
Il serait absurde de vouloir évacuer toute idée d’appartenance de la question de l’identité car on ne choisit pas où on naît, qui sont nos parents, la langue dans laquelle on est élevé. Néanmoins l’appartenance tient de plus en plus de l’ordre du capital symbolique permettant de créer de nouvelles choses, alors qu’auparavant l’individu était assigné à être certaines choses et il lui était interdit d’en être d’autres.
Les problèmes posés par l’identité
Le fait d’avoir à construire son identité crée de l’anxiété. Il y a plus d’incertitudes que de certitudes, plus d’aléatoire que de stable, et ce serait faire preuve d’un manque de réalisme que de considérer que puisqu’il y a une autonomisation croissante des gens, c’est forcément intéressant. Ca l’est en partie, mais il est bien plus difficile aujourd’hui d’avoir des points de repère qu’il y a 50 ans. A contrario, c’est l’autre élément de l’ambivalence, il y a 50
ans, les identités étaient pré-construites et les gens n’avaient pas le choix.
Les phénomènes humains, individuels ou collectifs, sont toujours ambivalents. En même temps qu’il y a de l’incertitude, l’empathie des gens est plus grande. On est plus à l’écoute. Parce qu’on se sait fragile, on sait que l’autre est fragile aussi et, ça peut paraître paradoxal, mais c’est parce qu’il y a de la fragilité, de manière généralisée, que les gens manifestent plus d’empathie les uns vis-à-vis des autres, alors qu’on sort d’une période qui était très narcissique où le « je» prédominait. Ce qui traverse les démocraties contemporaines, à côté de la crise, dans la crise, c’est une nouvelle dimension de la vie en collectif qui est celle du pluralisme. Quand on dit “ouverture” on évoque cette notion de pluralisme. L’évantail des possibles est plus large.