Carte d’identité : Sandra

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« Je suis arrivée ici suite à ce qui s’est passé au Burundi et au Rwanda, je veux parler du génocide. Je n’ai quitté mon pays qu’en 95, vers la fin des événements. Ma venue en Belgique s’est faite par l’intermédiaire de Médecins sans frontières. Cette organisation avait regroupé un grand nombre d’enfants dans le but de les sauver, puisque ça n’allait pas du tout là-bas. Une fois ici, dans une famille soi disant « d’accueil », j’ai commencé à me demander quand j’allais retourner chez nous. Et là, j’ai appris que je n’étais pas dans une famille d’accueil, mais dans ma nouvelle famille. Ils ont fait croire à ma famille en Afrique qu’il s’agissait d’une famille d’accueil, en attendant que la situation soit meilleure, tandis qu’à mes parents d’ici, ils parlaient de « famille d’adoption ».

A l’époque du génocide, je vivais dans la capitale, donc on n’a pas réellement été touchés jusque fin 95. J’appartiens au groupe ethnique tutsi, c’est-à-dire celui qui était censé être exterminé. Quand la guerre a éclaté réellement dans la capitale, les parents ont eu peur pour leurs enfants. Ils les ont confiés à Médecins sans frontières, qui leur a dit ceci : « on prend les enfants le temps que la guerre se calme, on les place dans une famille d’accueil en Belgique, et une fois que les choses se calment, les enfants reviennent. »

L’autre version, j’y ai eu droit une fois que j’ai été ici en Belgique : en réalité, j’avais été adoptée et j’allais passer toute ma vie ici en Europe sans plus de contact avec ma famille. Et c’est ce qui s’est passé pendant environ cinq ans. Comme il s’agissait d’une adoption plénière, je n’avais pas le droit de consulter mon dossier avant mes 18 ans. Mais heureusement, mes parents adoptifs étaient assez ouverts et ils ont fait toutes les démarches pour essayer de retrouver ma famille en Afrique. Ils se sont rendu compte que quelque chose n’allait pas, parce que je demandais sans cesse pour rentrer dans mon pays. Je leur ai raconté comment j’avais quitté le Burundi, convaincue que j’allais y retourner à un moment donné. Ils se sont vite aperçus que je n’étais pas le seul enfant concerné. On était arrivés à plusieurs, dont mon petit frère et ma petite sœur qui étaient dans le même avion que moi. Mais à l’aéroport, on a été séparés et placés dans deux famille différentes. Ma famille adoptive n’était pas au courant, et celle de mon frère et de ma sœur ne connaissait pas mon existence. C’est quand je me suis mise à réclamer mon petit frère et ma petite sœur, environ une semaine après mon arrivée, que mes parents ont compris. Ça a été un peu difficile de leur expliquer, car je ne parlais quasiment pas français, mais j’ai réussi à leur dire que j’avais un petit frère et une petite sœur qui étaient avec moi dans l’avion, et qu’on avait été séparés dans l’aéroport. A partir de là, il a tout de même fallu un peu moins d’un an avant que je puisse enfin revoir mon frère et ma sœur. Ça n’a pas été facile. Leur famille d’adoption avait eu droit à une autre version encore, selon laquelle leur mère avait seulement 14 ans et ne pouvait plus les assumer. Et ils croyaient dur comme fer à cette version. Du coup, ils n’acceptaient pas l’idée qu’ils avaient une grande sœur, et moins encore celle qu’ils avaient une maman en Afrique qui attendait leur retour. Ma famille adoptive a dû faire pression et menacer de raconter toute l’histoire pour qu’ils acceptent enfin qu’on se revoie. Ils ont tout de suite compris que les petits me reconnaissaient, et que j’étais bien leur grande sœur. On est arrivés en Belgique en octobre, et c’est vers la mi-mai que ma famille a organisé nos retrouvailles, un dimanche après-midi. Après ça, on s’est vus très régulièrement. Ma famille adoptive a fait le maximum pour qu’on reste proches.

Quand mes parents adoptifs ont compris que les choses n’étaient pas claires et qu’il y avait un problème, dans un premier temps, ils ont contacté Médecins sans frontières pour essayer de comprendre, mais l’organisation n’a pas
donné suite. Je pense qu’ils voulaient étouffer l’affaire, ils préféraient que les choses se tassent. Et finalement, je ne sais plus par quel moyen, je crois que c’est tout de même grâce à la pression exercée par ma famille adoptive, ils ont quand même accepté de donner quelques renseignements. On a su que ma maman en Afrique, donc ma mère biologique, faisait les démarches pour me retrouver. Elle, elle avait confié ses enfants à une famille d’accueil, et après cinq ans, elle se demandait où on était. C’est finalement elle qui m’a retrouvée la première. Entretemps, mes parents adoptifs avaient obtenu gain de cause puisque l’association qui s’était occupée de mon dossier —pas Médecins sans Frontières, une autre organisation — ne peut plus continuer à exercer dans le champ de l‘adoption.

Les premiers contacts avec ma mère biologique ont été assez difficiles parce que c’était par téléphone. J’avais complètement oublié le sawhili, à part quelques mots que j’avais gardé, notamment en écoutant notre chanteuse nationale Khadja Nin. Dès le départ, j’ai tenu à garder un lien avec mes origines. Donc au début, avec ma famille africaine, je parlais en français. Ma mère m’avait promis, quand j’ai quitté le Burundi, qu’elle ferait tout piour améliorer son français afin de pouvoir communiquer avec moi quand on se serait retrouvées.

Les premiers contacts n’étaient pas réguliers : une fois tous les trois mois environ, étant donné que ça coûtait assez cher.

Vers l’âge de 18 ans, j’ai eu mon premier coup de foudre : c’était un Africain, enfin moitié africain, moitié européen. Ensemble, on a pu partager beaucoup sur la recherche de notre identité, on avait tous les deux besoin de retrouver nos racines. A partir de là, j’ai commencé à fréquenter plus d’Africains, et j’ai vraiment exprimé l’envie de retrouver ma famille. Je savais bien que ça allait arriver un jour, mais là je sentais que c’était le moment : il fallait que je puisse les voir. Ma mère adoptive m’a offert mon premier voyage en Afrique en 2004. J’avais quand même peur, parce que je me suis dit que même si ça se passait bien au téléphone, – le fait de se retrouver, de vivre ensemble un mois et demi, c’était autre chose . Est-ce que j’allais éprouver le sentiment de me retrouver chez moi ? Parce que, même si en Europe, je me sentais chez moi, c’est ça que j’allais chercher. En arrivant là-bas, dès les premières secondes, j’ai su exactement où j’étais : j’étais rentrée à la maison, tout simplement. Ce voyage, ça a été pour moi comme une naissance. Le fait de retrouver ma maman… Après dix années, je retrouvais une femme qui s’est occupée de moi toute sa vie, qui s’est battue pour sa famille. J’ai pu la serrer dans mes bras avec le sentiment d’être bel et bien son enfant, malgré les dix années passées loin l’une de l’autre. Contrairement aux idées reçues en Afrique selon lesquelles on change une fois qu’on vit en Europe, et que la relation n’est plus la même, on s’est vraiment retrouvées, mère et fille, d’autant qu’au Burundi, dans la culture, tout passe par la mère. J’étais rentrée à la maison, dans tous les sens du terme. …

Mon frère et ma sœur, eux, n’ont pas encore revu notre mère. C’est quelque chose que je voudrais vraiment réaliser : il faut que maman revoie ses enfants. Pendant dix ans et même plus, ils ne se sont pas beaucoup intéressés à leurs racines, il faut dire qu’ils n’avaient que 4 et 5 ans quand ils sont arrivés ici. Mais moi, je voulais que l’histoire de l’Afrique reste quelque part, pas trop loin, pour qu’une fois grands ils puissent en faire ce qu’ils veulent. J’ai toujours tenu à leur rappeler qu’ils ont une histoire qui a commencé avant l’Europe et qu’ils ne doivent pas oublier d’où ils viennent. »

1 Commentaire

  1. Marsillac's Gravatar Marsillac
    13 novembre 2014    

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