Monsieur Jean-Pierre BAL a eu l’amabilité de m’envoyer son dernier roman, paru à la Société des Écrivains (14, Rue des Volontaires F 75015 Paris), Le Jumeau du Christ. J’ai lu son livre avec grand intérêt. Une nuit de pleine lune, la jolie vierge Zelda, résidant dans les Balkans, succombe, à deux heures d’intervalle, aux charmes pénétrants de deux hommes mystérieux. Les prédictions d’une gitane semblent bien vouloir se réaliser car la voilà enceinte, ce qui l’oblige à quitter son village où il est coutume de flageller la mère célibataire… Mais je m’en voudrais de vous raconter ce thriller proprement « ahurissant » dans lequel une secte, les Flagellants des ténèbres, pratique des rites sataniques, un Évangile maudit est découvert au pied du mont Sinaï, une terrifiante relique d’un second Messie justifie des sacrifices humains, etc. Bien que ce genre de littérature ne soit généralement pas trop ma tasse de thé, ici j’ai été scotché par le « style »! Quel plaisir rare n’éprouve-t-on pas en lisant de telles phrases : « Son air navré avalanchait le plissement baroque de son visage décharné. » – « — Regardez ! fit-il d’un ton grave, les yeux gorgés d’une alchimie glauque qui transmuait sa confusion ébrieuse en exaltation mystique. » – Couronné d’une ophiase généreuse légèrement bosselée, le regard torve, il tassait discrètement au chant du coq toute cette bouillie méphitique dans une guimbarde dont le bas de caisse était tapissé de hardes décrépites et de plaids râpés duvetés de poils de chiens. » Bref, les amateurs de « belle écriture » ne seront point déçus… Comme aurait pu le suggérer Léon Boudin : « Au lieu de lamper dans les bouges de nuit, au lieu de gourgandiner les femmes, de sasser leurs mollets et la forme de leurs seins, au lieu de barguigner devant l’amour, de vous bafrer de passion, etc., etc., calez-vous dans un voltaire, au coin du feu, fourgonnez la braise de vos pieds et lisez ce roman aussi émotionnant que beau, comme dirait la réclame. »
Je ne vous ai jamais parlé des Éditions du Léopard d’or (8, Rue de Couédic F 75014 Paris), spécialisées dans l’époque médiévale et publiant des livres d’Histoire aussi érudits que passionnants. Par exemple La Folie au Moyen Âge, XIème – XIIIème siècles, de Muriel LAHARIE où l’on voit que les attitudes de la société féodale face à la folie sont ambivalentes, entre tolérance et rejet, jusqu’à sa récupération voire sa politisation (multiplication de fous de cour ou développement des « fêtes des fous »). Autre exemple : La Fée Mélusine au Moyen Âge, Images, Mythes et Symboles, de Françoise CLIER-COLOMBANI. Le mythe de cette fée-serpent (ou sirène) est ici remarquablement analysé sous tous ses aspects et une abondante iconographie ravit de surcroît le lecteur fasciné. Mais ce sont les ouvrages de Guy ROUX (un neuropsychiatre, Président de la Société Internationale de Psychopathologie de l’Expression) qui m’ont le plus vivement intéressé : Art de Folie au Moyen Âge, Aventures et énigmes d’Opicinus de Canistris (1296 – vers 1351), en collaboration avec Muriel LAHARIE (1997), Opicinus de Canistris, Prêtre, Pape et Christ ressuscité (2005), Opicinus de Canistris, Dieu fait homme et Homme-Dieu (2009). L’œuvre pour le moins insolite d’Opicinus de Canistris, prêtre italien excommunié, enlumineur et scribe à la cour pontificale d’Avignon au XIVème siècle, comprend d’affolantes dessins géométriques, de délirantes cartes anthropomorphes et des écrits touffus et hermétiques. Dans le premier des trois ouvrages cités sont reproduits la totalité des énigmatiques dessins du bonhomme, en quelque sorte le premier artiste « brut » que l’on connaisse, dont on ne sait s’il s’agit de la production d’un malade mental asservi à sa psychose ou, au contraire, d’un visionnaire hyper-talentueux. Mais la question n’est pas de savoir si, oui ou non, il était psychotique. L’auteur tente de montrer comment cette œuvre bizarre s’inscrit, à sa façon, dans l’expérience de son époque
et comment elle en sélectionne certains événements en fonction d’une vision mystique et mégalomaniaque totalisante. Je me suis plongé ensuite dans La folie dans la littérature fantastique, un essai pointu de Gwenhaël PONNAU (PUF Écriture). « Une remarquable coïncidence marque le début du XIXème siècle : la naissance d’une science, la psychiatrie, spécialisée dans l’étude positive des phénomènes aberrants et l’avènement de la littérature fantastique, qui découvre dans les images déroutantes et fascinantes de la folie le moyen de renouveler les formes traditionnelles de l’imaginaire. À l’époque où la science s’emploie à démystifier et à éliminer le surnaturel, les travaux des aliénistes, comme les investigations entreprises dans le domaine insolite des phénomènes psychiques, représentent un territoire privilégié où vont s’enraciner de plus en plus profondément les textes fantastiques de la modernité. Creuset où s’allient et se fondent les images de la folie et l’ensemble des faits irrationnels, l’écriture fantastique constitue le point de rencontre du surnaturel et de la psychopathologie, des fantômes et des fantasmes. Elle apparaît, à ce titre, comme la réponse singulière et exemplaire de l’imaginaire aux efforts de rationalisation qui caractérisent l’idéologie du progrès. » Enfin, je m’en voudrais de ne point encenser l’ouvrage d’Aude FAUVEL & Bertrand TILLIER, paru récemment chez Du Lérot, André Gill caricaturiste, Derniers dessins d’un fou à lier. Quelle somptueuse initiative de ressusciter Louis Alexandre Gosset (de Guines), alias André Gill, un génie dont les merveilleux dessins « charges » réjouissaient les unes de journaux satiriques comme La Lune, Le Soleil, L’Éclipse, La Parodie, La Lune rousse, etc., qui eurent tant d’ennuis avec la censure du second Empire ou de la troisième République. (« Tout Français qui voudra publier un article quelconque dans un journal devra se constituer prisonnier vingt-quatre heures à l’avance ! « , ironisait amèrement Ludovic Halévy. Il faudra attendre 1881 et l’octroi de la Liberté à la presse pour que diminuent toutes ces saisies, poursuites, procès et autres emprisonnements de tous les « impertinents » osant ridiculiser l’un ou l’autre de leurs contemporains. ) Après avoir connu la gloire, Gill mourra interné à l’asile de Charenton. Les auteurs analysent ici spécifiquement la plupart des dessins réalisés pour Les Hommes d’aujourd’hui, où l’artiste « se payait la tête » d’un peu tout le monde, de Sarah Bernhardt à Clémenceau, en passant par Alphonse Daudet, Jules Ferry, Léo Taxil, Aurélien Scholl, Nadar, Hugo, Littré, Zola… Les lectures métaphoriques de la démence de Gill articulent la caricature et la politique, la satire et la folie.
Petite parenthèse « sca » (on a ses tics) avant de parler d’autres choses. Pendant que vos moufflets s’esbaudiront avec Petit héros fait caca comme les grands, de François BARCELO (texte) & Marc MONGEAU (illustrations), paru aux Éditions Les 400 coups ou bien se montreront ébahis par CHARB présente Maurice et Patapon dans C’est pas là qu’on fait caca ! (Charlie Hebdo junior, Éditions Les Échappés), que votre Égérie béera en dévorant In Pipi veritas, de Josh RICHMAN et Dr Anish SHETH, illustré par TEBO (Glénat), vous apprécierez pour votre part à sa juste valeur Comment retrouver le stade anal, d’Alain MIGNIEN, aux Éditions de la Fournial (Clavières, F 47140 Auradou), Guide Mabiroute n°1, illustré par Émile PARCHEMIN et préfacé par le Professeur Jules TAFFARY, Docteur es Chézonomie de la faculté du Peniskistan, Diplômé de l’Institut de Clitognomonie, Expert auprès des tribunaux agricoles en naturophilie, Auditeur libre de la Faculté de Pénisologie. Table des matières : Des doigts, de la succion, du pipi, du caca, de la constipation, de la colique, du prout, du boudin, de la bavouse, du fpret fpret, conclusion, bibliographie, musicographie, iconographie, index (que vous pouvez vous mettre dans… l’oreille). Chaque Leçon est suivie d’Exercices. Si cette
petite merveille vous tente, hâtez-vous car elle n’est tirée qu’à 5 exemplaires buccaux, 20 exemplaires urinaires et 44 exemplaires anaux, tous sur papier-toilette renforcé.
J’ose supposer que vous aurez suivi de très près l’affaire de la photo retrouvée de Rimbaud adulte, assis à la terrasse de l’Hôtel de l’Univers à Aden. Sinon, achetez donc le n°41 (dernier paru) d’Histoires littéraires. Ce visage de pur Ardennais trône aussi en couverture de la nouvelle brique assénée par Jean-Jacques LEFRÈRE, Arthur Rimbaud, Correspondance posthume, 1891 – 1900 (Fayard), suite (première, car on nous en promet deux autres, qui porteront sur la période 1901 – 1935) à la Correspondance du poète, parue chez le même éditeur en 2007. L’avant-propos (précédé de cette splendeur de Paul Masson : Pourquoi faire si grand cas de ceux qui traduisent un auteur étranger à livre ouvert ? Il me semble qu’à livre fermé la difficulté serait bien plus considérable. ) nous apprend la finalité de l’entreprise : réunir, pour les confronter, toutes les lettres échangées, après la mort du poète, le 10 novembre 1891, par tous ceux qui le connurent de près ou de plus loin (une sorte de correspondance posthume , en quelque sorte) permettra de décrypter comment s’est mis en place « le mythe Rimbaud » cher à Étiemble. Des documents non épistolaires (articles, photos, dessins, etc. ) complètent l’ensemble, évidemment indispensable pour qui s’intéresse à l’homme aux semelles de vent. Ceux qui préfèrent Woody Allen, Little Big Man (j’suis pas vite gêné par mes transitions, non ? ) se rueront sur l’opus de Fabian MARAY, publié par Le Somnambule équivoque dans sa collection Exaltations. C’est intelligent et, ce qui ne gâche rien, très souvent drôle ; on s’en serait douté. Les mêmes éditions, aux publications toujours de qualité, nous gratifient aussi, dans leur collection Dérapages cette fois, d’un recueil de Louis MATHOUX, illustré de photos d’Éléonore WACK, Le Livre des blasphèmes. Cet ensemble de textes courts, subtilement décalés, a décidément tout pour plaire. Autre truc décoiffant : La Philosophie dans le devoir, de Son Excellence OTTO de Nova Sodomia (Tabou, éditeur sans interdit, coll. Vertiges). Personnalité ubuesque et félinienne, Otto dit être né en 1896. Détenteur de quelque filtre de longévité (à moins que ce soit La Mort qui n’en veuille pas), il est toujours vivant aujourd’hui, à Paris. En être « contraire », politiquement indiscipliné et farouchement antigrégaire, Otto est animé par « la passion du mépris » et dit n’agir que pour « la laideur du geste ». – Bizarre, vous avez dit bizarre ? Comme c’est étrange… Frédéric ROUVILLOIS (dont l’Histoire de la politesse & l’Histoire du snobisme m’avaient déjà beaucoup plu) s’intéresse pour l’heure aux imposteurs de tout poil. Le collectionneur d’impostures (Flammarion) recense à peu près tous les personnages, toutes les époques confondues, connus ou beaucoup moins dans la lumière, qui prétendirent être ce qu’il n’étaient pas, commirent des faux, dupèrent leur monde, etc. Moult pistes à suivre, résolument passionnantes… Le bouquin « idéal » pour lire à petites doses, par exemple sur le pot. Henri VIGNES, grand libraire parisien, publie aux merveilleuses Éditions des Cendres, une Bibliographie des Éditions de Minuit, Du « Silence de la mer » à « L’Anti-Œdipe » (10 février 1942 – 18 février 1972). Ce livre magnifique est remarquablement utile à tout qui s’intéresse à la « vraie » littérature de la seconde moitié du XXème siècle (Bataille, Beckett, Pinget, …) et l’on souhaite que la suite de l’aventure de Minuit soit quelque jour concoctée par le même.
Les Spadois (sans doute par la vertu de l’H2O qui y sourd) ne sont guère inactifs. Le CAPITAINE LONCHAMPS vient de publier Le bon point ( amusant et instructif), quelques-unes des tribulations de son héros Snowman , chez L’usine à Stars (Galerie Nadja Vilenne, 5, Rue du Commandant Marchand 4000 Liège). La postface à ce (vraiment)
délicieux petit livre, due à Jean-Michel BOTQUIN est pétrie d’humour et la préface de Dominique PAÏNI se conclut par ce qui me semble, pour ma part, de la plus parfaite des évidences : On conviendra que Capitaine Lonchamps est un artiste plus sérieux qu’il en a l’air... Je conchie ma modestie pour me permettre de vous signaler que vient de paraître mon Ubu roi ou la Disparition du tyran polonais, Au Crayon qui tua (51 A, Rue du Volga F 75020 Paris), une »traduction » lipogrammatique du chef-d’œuvre de Jarry, en hommage à Georges Perec. Des fois qu’y en aurait l’un ou l’autre que ça puisse amuser… Je vous souhaite un bel été, vous quittant sur ce proverbe croate : Pendant que les sages cherchent le pont, les fous passent la rivière.