L’initiation, un voyage existentiel

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Pour mieux comprendre l’initiation dans nos sociétés, revenons quelque peu aux origines de ce rituel. On peut parler d’une pratique clairement généralisée: le voyage initiatique traverse toutes les cultures aux quatre coins de la planète et se trouve en amont de toutes les croyances. Elle a précédé toutes les grandes religions (Christianisme, Judaïsme, Islamisme, Hindouisme…) qui s’en sont elles-mêmes inspirée et l’ont actualisée. Tous comme les autres rituels, l’initiation s’érige en institution dans les diverses communautés. En effet, il garantit la survie du groupe en contrôlant les aspirations et les pulsions de tous ses membres. Car là se trouve le nœud de l’histoire. C’est la raison cachée de tous les rituels, de l’initiation aux sacrifices sanglants. Il s’agit de préserver le groupe d’un fléau craint par-dessus tout, d’une maladie capable de détruire en un rien de temps toute la communauté : la violence. Les rites n’existent que pour la juguler et l’empêcher de se répandre et de détruire le groupe. C’est aussi la raison d’être des interdits et des tabous qui touchent les objets liés à la violence : sexualité, cadavre, sang… Par exemple, dans certaines tribus, les femmes s’exilaient du village pendant leurs règles. Il fallait cacher le sang. D’un autre côté, les rituels libèrent cette violence durant un temps déterminé en suivant des règles extrêmement précises. Des maîtres de cérémonie vérifient la bonne tenue des rites en employant des outils particuliers et des mises en scènes réglées. On pourrait employer la métaphore médicale pour décrire cette situation : le groupe s’administre lui-même le virus (la violence) pendant un temps afin de se créer des anticorps (donc de se protéger de cette violence).

Dans l’esprit de ces communautés, le sacré est un sentiment permanent. Une manière de voir le monde, une manière de vivre. Tout ce qui l’entoure se voit investi de valeur sacrée. La nature, les habitations mais aussi les actes physiologiques et les grands moments de la vie humaine, les différents passages. Naissance, adolescence, vie adulte, mariage, mort ne sont finalement que des étapes. Passer de l’une à l’autre, c’est effectuer un voyage spirituel qu’il convient d’accomplir en suivant un rite aux codes précis.

Voyage vers la mort et la renaissance

D’abord, l’initié se retrouve isolé du reste de la communauté durant le temps de son initiation. On le mène dans un endroit éloigné comme dans une forêt ou un désert. Coupé du monde extérieur, les choses sérieuses commencent pour lui. Paradoxalement, son voyage débute par un enfermement dans un lieu confiné : une cabane ou une grotte. Un peu comme s’il se trouvait dans un ventre. C’est le début de l’initiation. Le voyage se déroule en deux phases bien distinctes. Dans un premier temps, le néophyte va mourir symboliquement parlant. Et c’est dans ce ventre qu’il va perdre la vie. Comme s’il avait été avalé, il se trouve dans le ventre d’un monstre. En plus de l’enfermement, cela va se traduire par une série de tortures de toutes sortes. Psychologiques mais également physiques. Elles varient selon les cultures (des morsures de fourmis à l’amputation d’un doigt), mais toutes recréent de toutes pièces une situation où l’initié est digéré, dévoré vivant pourrait-on dire. Dans beaucoup de croyances, le jeune homme est censé rencontrer ses ancêtres, ses divinités. Et celles-ci vont lui faire subir des épreuves qui prennent la forme de tortures. Ces épreuves vont le marquer dans sa chair : diverses blessures, plaies, morsures… Toutes ces marques sont essentielles dans le rituel car elles insistent sur la mort symbolique de la personne et prouveront plus tard qu’elle a bien passé le rite, qu’elle a effectué son voyage. Aussi, les scarifications et les tatouages sont légion dans les différentes initiations. Il faut à tout prix signifier la mort. Le voyage passe donc par la souffrance et par le corps.

La deuxième phase est le versant opposé. Après la mort, l’initié est appelé à renaître une
nouvelle fois, sous une nouvelle forme plus accomplie. Cette fois, le voyage conduit l’initié dans un autre lieu. Fini le ventre du monstre où l’on souffre et meurt. Il disparaît et devient un grand ventre maternel, un lieu fertile, regorgeant de potentialités. Dans un sens, la mort initiatique signifiait comme une sorte de retour à l’état embryonnaire. L’initié est purifié de tout. Et sa sortie du lieu clos est mise en scène comme un accouchement. Neuf, il revient vers le monde comme un surhomme car le processus qu’il a suivi est le même que celui de ses divinités, de ses ancêtres. Il fait comme eux et devient donc comme eux également. Quand il sort de la cabane, il n’est plus le même. Marqué à jamais par ces épreuves qui l’ont transformées. Mais il y a autre chose. Outre son passage de la mort à la vie, l’initié a acquis quelque chose de plus. Il devient quelqu’un qui sait. Car durant le processus, il a eu des révélations. D’une part, il va être mis au courant de certains secrets par le maître de cérémonie : présentation d’objets de pouvoir de la tribu par exemple, ou explications supplémentaires sur les divinités. D’autre part, il aura des révélations sur la sexualité et sur la part d’animalité qui est en lui. La violence, en d’autres mots, que l’initié devra maîtriser par la suite. Ainsi se termine le voyage initiatique et l’initié peut retourner dans la communauté où il sera accepté et fêté.

Le voyage initiatique de nos jours

On pourrait croire que l’initiation n’a plus cours aujourd’hui. Il n’en est rien. Mêmes dans nos sociétés dites désacralisées, selon les termes de Mircea Eliade, le rituel est sans cesse reconduit, souvent de manière inconsciente, dans de diverses occasions. Bien sûr, l’initiation est encore pratiquée dans les différentes religions. L’église chrétienne, par exemple, poursuit toujours ses propres rites de passage via notamment les communions. Rappelons également les origines initiatiques du dogme chrétien : mort et renaissance de Jésus Christ pour accéder à la vie éternelle.

Mais les principes du voyage initiatique ont également investi des domaines aux antipodes du sacré. Le monde du travail l’emploie dans plusieurs situations courantes. Certains événements de la vie d’un employé donnent lieu à des cérémonies héritées de nos ancêtres : les engagements, les promotions ou encore les mises à la retraite sont fêtées autour d’un pot selon une sorte de tradition immuable et codée. Des informations sont apprises à chaque palier, chaque passage où l’on effectue un voyage purement symbolique.

Le voyage initiatique séduit particulièrement les organisations de jeunes. Les baptêmes estudiantins en constituent le parfait exemple. Le jour du baptême se déroule dans un chapiteau (lieu clos), les bleus (initiés) sont emmenés par des maîtres de l’initiation (le comité) dans un parcours – un voyage donc – semé d’épreuves en tout genre (plus soft qu’avant quand même, quoique…) jusqu’au baptême proprement dit, dans une baignoire de sang, où l’on fête la mort du bleu et la renaissance d’un pair qui recevra des objets de pouvoir (penne, calotte…). Le même phénomène s’observe dans les mouvements de jeunesse : le principe de la promesse chez les scouts par exemple. Tous les autres groupements de jeunes (club de sports…) suivent des règles initiatiques dans leur organisation.

L’initiation se reproduit toujours dans des confréries laïques. La franc-maçonnerie résume bien cette idée. Elle exerce toujours de tels rituels où les révélations sont bien plus importantes encore : des secrets sont confiés aux initiés à chaque palier de la hiérarchie. D’un point de vue culturel, l’initiation a influencé (et influence encore) une énorme partie de la production artistique depuis des siècles. Combien d’histoires issues de la littérature ou du cinéma ne s’organisent-t-elles pas autour du schéma initiatique ? Certaines sciences comprennent mêmes dans leur fonctionnement des caractéristiques initiatiques. La psychanalyse est de celles-là : les épreuves s’apparentent aux traumatismes à surmonter pour
l’initié, le patient donc. Le guide initiatique est bien entendu le thérapeute et le but de la manœuvre est de se reconstruire et donc d’effectuer une nouvelle naissance.

Le voyage initiatique est indéniablement toujours présent dans l’existence humaine. Il est lié à elle. Ce voyage, obligé ou non, est tout simplement l’une des bases de la vie sociale, de la société. L’initiation est une manière d’exister dans un monde qui semble, pour beaucoup, dénué de sens. Elle tente de combler un manque dans nos vies : elle permet à nos sociétés désespérément fonctionnelles de redevenir un tant soi peu existentielles.

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