Nous connaissons tous les pigeons voyageurs. Ces jolies petites bêtes pleines de puces envoyées par camion à l’autre bout du continent qui retrouvent toujours le chemin de leur dulcinée restée au bercail. Par contre, on connait moins leur usage militaire, notamment dans la transmission de messages quand les autres moyens de communications sont HS.
L’histoire de Vaillant, le pigeon de la première guerre mondiale grâce à qui Verdun fût sauvé, et par là même une certaine idée de l’Europe, est restée célèbre, à tel point que des studios de cinéma s’en sont emparé. Au même titre que les héros, les exécutés ou les résistants, les pigeons militaires ont eux aussi leur monument commémoratif, à Lille.
Mais il y a cette histoire bien moins connue au sujet de l’expérience top-secrète du psychologue behavioriste américain Burrhus F. Skinner sur le guidage de missiles par des pigeons. En effet, durant la seconde guerre mondiale, le seul moyen d’envoyer un missile sur l’objectif était de le lancer dans la bonne direction et de couper le moteur quand l’engin avait parcouru la distance adéquate. Ce dispositif, inventé par les nazis et installé sur les V1, ne permettait que de toucher des cibles assez vastes, Londres par exemple. D’autant plus que le but était bien moins de détruire des objectifs stratégiques que de saper le moral de l’ennemi. Ce psychologue, grâce aux études sur le conditionnement opérant, demandait à trois pigeons installé à l’intérieur du missile de le guider. Le principe en est très simple. On projette aux trois pigeons, à l’aide d’une lentille spéciale, l’image de l’extérieur défilant à toute vitesse. Tant que les pigeons picorent le centre de l’image, le missile garde sa trajectoire. Si par contre les pigeons picorent un autre endroit de l’image (l’ancêtre des écrans tactiles en somme), le missile modifie automatiquement sa trajectoire suivant la règle de la majorité absolue des pigeons (démocratie oblige). L’armée américaine, malgré un énorme scepticisme, avait tout de même financé l’étude, dont le prix tournait aux alentours des 25.000 dollars.
L’histoire ne raconte cependant pas quel était l’endoctrinement idéologique des volatiles. Nous ne savons toujours pas si les Américains en faisaient d’ardents antisémites psychopathes afin qu’ils retrouvent plus facilement le chemin de Berchtesgaden ou s’ils les rendaient fous amoureux d’Eva Braun. Un autre problème était l’impossibilité de récupérer les meilleurs éléments, ceux qui avaient le mieux visé les nazis, pour les renvoyer guider un autre missile. Il s’agissait en effet de missions suicide (ce qui est une bonne chose d’ailleurs, on imagine les dégâts qu’aurait pu causer un mouvement de grève d’oiseaux mécontents).
Heureusement pour les pigeons et pour tous leurs défenseurs, les ingénieurs s’occupant de développer le guidage radar eurent plus de succès dans leurs expériences. Le projet fût finalement abandonné.