— Aïe ! Cria-t-elle dans sa couchette.
C’était Neptune en personne. Canaille, il s’était faufilé sous sa couverture et maladroit, lui avait piqué les fesses avec son trident. Elle se retourna d’un bond pour faire face à l’intrus et lui dire sa façon de penser…Mais point de Neptune, elle avait rêvé ! Juste la cloison de sa couchette et une maudite pointe de clou qu’elle se promit d’aplatir au plus vite d’un bon coup de marteau.
Elle s’étira et enfila son long tricot, fit un rapide chignon qu’elle dissimula sous son suroît car la pluie tapotait, tendit le cou hors de l’écoutille, sauta sur le pont et souleva un coin de voile.
Des jours, des semaines peut-être – elle n’avait pas compté – qu’elle avait quitté Paimpol à l’aise sur un lougre qu’un bougre lui avait loué. Trop à l’étroit dans un printemps terne et étriqué, elle avait pris le large et le grand. Quitter la terre ferme pour la mer houleuse, mettre les voiles malgré l’interdiction.
Sur les traces des bretons, pêcheurs d’Islande, bien lotie, elle avançait seule dans ce désert marin. L’océan pour seul amant, tantôt câlin tantôt violent. Hier, il avait fait des siennes. Elle s’était tapie dans la cale et avait bien dormi espérant que passe l’orage, voguant à la misaine.
Aujourd’hui, seules subsistaient la brume et la bruine, reliquats de la tempête. En attendant une pointe de soleil, elle apprêta sa canne à pêche, s’assit sur le pont guettant un banc…qui vint.
Vite… la ligne…la garder… ne pas laisser filer le poisson et hop, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, elle tira la ligne, sauta sur la morue qui se débattait, lui trancha la gorge et tout le ventre d’un bon coup d’opinel, jeta les entrailles en pâture aux mouettes, signe de terre, leva les filets et les plongea dans la saumure. Du beau travail, certes sanglant mais propre. On salive déjà…
Plus tard, le brouillard et le crachin s’évaporèrent, elle aperçu le soleil. Celui-ci fit mine de tremper un petit bout dans l’eau mais remonta aussi vite, il devait trouver l’eau trop froide. Il n’y aurait pas de nuit. Elle scruta l’horizon et vit les côtes islandaises avec ses beaux volcans.
Dans une papillote, elle plaça sur un lit d’oignons un beau morceau de morue dessalée (24h.), des baies de poivre rose, un brin d’aneth et une petite julienne de légumes (carottes, courgettes, poivrons…). Un filet de vin blanc sur le tout. Elle referma délicatement les petits paquets. Elle fit péter les pommes de terre sous la cendre bouillante et déposa les papillotes 15 à 20 minutes dans le cratère (à défaut dans un four à 200 degrés). Avec un aïoli fait de chair de patate, de deux gousses d’ail, d’un jaune d’œuf et d’un bon filet d’huile d’olive, un vrai régal.
La fin de la journée fut sans histoire et la fin de l’histoire aussi.
Avait-elle rencontré quelque rude pêcheur islandais attiré par ce fameux fumet, toujours est-il que vers minuit, sous le soleil, amarré dans un fjord aux eaux calmes, le petit trois-mâts tanguait comme un fou….