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L’ayahuasca et le chamanisme

L’ayahuasca est une décoction de couleur brune, au goût amer, utilisé depuis plus de 3000 ans par les chamanes de la forêt amazonienne, lors de cérémonies magico-spirituelles. Littéralement, le terme « ayahuasca » signifie « liane des esprits » et les effets de cette boisson si particulière sont proches de ceux du LSD. Puissant hallucinogène, il agit sur notre système nerveux et entraîne une altération de tous nos sens (visuels, auditifs, …). Purgatif, il provoque, lorsqu’il est ingéré, vomissements et nausées, très désagréables, mais considérés comme une étape préalable et indispensable à ce voyage d’une nature si particulière. Nettoyé, vous tomberez dans un état de transe, avec une modification de votre état de conscience. Egalement hypnotique, l’ayahuasca emmènera votre esprit dans un état d’« hyperconscience », comme un rêve éveillé, ou une séance d’hypnose.

L’utilisation de ce breuvage sacré a toujours été liée aux traditions chamaniques. Pour rappel, le chamanisme est un rituel ancestral, qui remonte à la préhistoire et que l’on retrouve dans différentes sociétés traditionnelles. Cette pratique repose sur trois notions importantes : le voyage de l’âme, l’alliance avec les esprits de la nature et la guérison. Le chamanisme suppose que notre monde est divisé en deux entités : le visible et l’invisible. D’un côté, le monde des esprits, des morts, des forces de la nature et de l’autre celui des vivants. Selon cette vision, seuls certains êtres humains, les chamanes, savent établir une communication avec les esprits qui peuplent l’au-delà. C’est eux qui, par leurs savoirs, vous délivreront votre ticket à destination de votre inconscient.

Mais la fonction première d’un chamane est celle de guérisseur. Le chamanisme suppose que la maladie est d’ordre magique. Il possède une large connaissance des plantes de la forêt et de leur utilisation dans la préparation de certains remèdes, comme l’ayahuasca. Son rôle ne se limite donc pas à la fabrication de cette substancedans la seule intention de planer ou de triper. L’ayahuasca est, à son origine, utilisée à des fins thérapeutiques, lors de rituels. Un détournement dans sa façon originelle de la consommer la réduirait à la simple prise d’une drogue.

Le voyage de l’ayahuasca

Depuis quelques années, fleurissent un peu partout en Europe et en Belgique de nombreux centres proposant des séances de prise d’ayahuasca lors d’un rituel chamanique. Il existe plusieurs « écoles » ou «tendances ». Certaines sont plus strictes, d’autres mêlent christianisme et chamanisme, comme l’église du « Santo Daime ». Nous avons rencontré une jeune femme, Isabelle, qui a partagé avec nous son expérience de l’ayahuasca, qu’elle définit comme «révélatrice » et surtout « spirituelle ». Isabelle se rend toutes les deux semaines, depuis un an, dans un centre belge du Santo Daime, pour y ingérer la boisson hallucinogène. Les participants à ces séances sont souvent introduits par des amis, et tous sans exception considèrent ce « travail » comme une thérapie. L’emprise de l’alcool et d’autres drogues, mais également un puissant désir de se retrouver, ont poussé Isabelle à entreprendre cette démarche. Les séances durent environ six ou sept heures et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, tous les âges y sont représentés, ainsi que toutes les couches sociales. Une préparation est nécessaire avant chaque prise d’ayahuasca : interdiction de boire de l’alcool, de manger des animaux ou du sel durant les jours qui précèdent.

Concrètement, un chamane, généralement originaire d’Amazonie prépare le liquide magique à destination des participants. Ceux-ci sont assis par terre en forme de demi-cercles, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Des seaux sont mis à leur disposition pour vomir, le rituel de la purge faisant partie intégrante de l’initiation. Première partie de la séance : la prière. La Terre mère est invoquée ainsi que les esprits des
animaux, et dans le cas précis de l’église du « Santo Daime », Sainte-Marie, mère de Dieu, fait également partie des dieux priés. Après avoir bu un peu du thé sacré, vomissements, nausées, tremblements, mais surtout visions et hallucinations vont alterner durant les heures qui suivront. Commence alors votre voyage. Votre enveloppe corporelle reste bien présente, mais votre esprit, en quelques minutes, s’en va rejoindre le pays d’« Alice ». Comme cette petite fille si chère à Lewis Caroll, vous vous envolez vers votre pays imaginaire. De quoi sera ponctué votre parcours ? Seul vous pouvez le savoir. La boisson magique va puiser dans votre inconscient toutes sortes d’images, de lieux, de personnes ou encore d’animaux qui, selon cette « philosophie » auront un lien direct avec vos problèmes psychiques, votre mal-être, votre maladie, votre mal à dire.

Les incantations du chamane, priant notre Terre Mère, vont tout naturellement vous amener à des visions d’espace, de nature, d’arbres, comme une sorte d’immersion, avec le monde végétal et animal. Dragons, serpents, et jaguars sont les animaux les plus souvent rencontrés lors de ces traversées. Des sentiments de possession, d’illumination, et de révélations ponctuent cette exploration à l’intérieur de votre subconscient. Le chamane chante et rythme la séance au son répétitif de son tambour. Il est également là pour rassurer les personnes qui ressentiraient un malaise, qui feraient un « bad trip », et les ramener à une perception positive de leur expérience. Car il ne faut pas oublier que l’ayahuasca est un psychotrope puissant, que votre séjour dans cet autre monde peut s’avérer très dangereux et pourrait ne pas vous plaire.

Si l’expérience s’est révélée intense et positive pour Isabelle et l’a aidée dans son travail vers une libération progressive de ses addictions, elle est fortement déconseillée, voire interdite, aux personnes souffrants de problèmes psychotiques graves ou de troubles anxieux. Car, malheureusement, nombreux sont les témoignages que l’on retrouve sur le web de participants nous relatant de très mauvaise, expériences. Comas, angoisses fulgurantes, évanouissement, dépression, sont d’autant d’effets négatifs que l’ayahuasca peut provoquer. Une extrême prudence est de mise, une confiance aveugle envers ces chamanes et ces centres révèlerait de l’inconscience. Ces centres proposent également des voyages pour rencontrer les authentiques chamanes d’Amazonie et réitérer l’expérience dans un environnement plus «naturel ».

Le narco-tourisme de l’ayahuasca

Depuis quelques années ils sont des centaines de Belges, Français ou Hollandais à se rendre au Pérou ou en Bolivie pour tenter l’expérience du breuvage visionnaire. Poussés par la curiosité et séduits à la fois par le psychotrope et la tradition chamanique, ils décident d’entreprendre ce voyage au bout du monde. Face à cette demande croissante, un véritable tourisme de l’ayahuasca s’est mis en place. Différents tours-opérateurs proposent même des minitrips en forêt amazonienne dans des « centres de vacances », considérant dès lors l’ayahuasca comme un produit de consommation touristique.

Au menu de ces voyages qui sortent de l’ordinaire : rencontres de pseudo-chamanes, et la prise du breuvage en une séance unique. Toutes les formules proposées par des agences sont proches de l’escroquerie. La boisson est très faiblement dosée et l’accompagnement quasi inexistant. Ces voyages sont bien loin de l’expérience originelle et la prise de la plante sacrée est totalement dénuée de sens dans ce contexte. Cependant, ces voyages ne désemplissent pas. Chacun d’entre nous peut prendre part à ce tourisme narcotique.

Le déclin des valeurs spirituelles est certainement à l’origine de cet engouement de la part des Occidentaux pour le chamanisme et cette drogue magique. Les dénis de la mort et de la maladie dans nos sociétés occidentales nous poussent tout naturellement à chercher des réponses dans de nouvelles formes de spiritualités. La séduction de la plante est grande, les
discours des chamanes très enchanteurs. Surtout pour les plus fragiles. On en oublierait presque que l’ayahuasca vous fait voir des serpents géants.

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