De Chars et D‘Amandiers

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…Tout cela me revient, disait la vieille édentée… Entre feu, rochers, bâtisses qui volent en éclats, tout se rompt, brûle, sans syntaxe, en rupture. Le tout se disloque en naufrage, se brise, en friche, en fumée, en lenteur ou avec lenteur et une mer libre, témoin de ce que bon lui semble. On a cru tout d’abord à une rumeur. Une erreur. Ces hommes et femmes armés, décidés, tueurs avec des machines qui brûlent les chaumières, d’autres qui détruisent les maisons. On croyait tous qu’ils s’étaient trompés de guerres, d’ennemis, d’endroit, que finalement ils s’excuseraient et se retireraient comme ils étaient venus. Les choses ne se passaient pas ainsi. Ils criaient qu’ils étaient venus récupérer les terres de leurs ancêtres et qu’il fallait qu’on disparaisse ou ils nous tueraient jusqu’au dernier. La passion de la brisure, de la rupture.

Nous sommes partis, laissant nos lits encore chauds, le jasmin à peine fleuri, l’alcool à peine versé pour les dieux lointains, les coquelicots comme des robes de mariées mal dégrafées, le bétail paître comme si de rien n’était, le linge pendant sur les cordes dans les arrières-cours et sur les toits, au soleil, encore des grappes de piments rouges à préparer pour l’hiver. Sur les figuiers entre les feuilles, les oiseaux naissent à peine. Sur la place, le printemps étend ses mystères et les cerceaux des enfants tournoient encore.

Abondance… fraîcheur… paisibles traces… impérieuse clarté… somnolence des aubes à venir… imprévisibles murmures… chuchotements… scellés aux nuages qui passent… dans ce qui vient à nous… dans son étrangeté… en éclat… on ne se sort pas indemne de ce qui se murmure en nous… fragments pareils à des pierres, aux blessures, et se trame… comme secret… comme exil… comme refuge… comme lumière… comme trace… au visage de lanterne… disait la vieille dont la vue se gâte d’exil en exil.

Un mot m’a plu… disait la vielle… je marche « en rêve » sur les sable plus haut plus loin plus en oblique. Est-ce peut-être, des nuages ou la paix… sans m’en rendre compte, le brouillard était plus dense et plus songe que le mur dont on bénissait les malfaisances… J’enlace ma faible vue et fouille mes broderies… je… dois, disait-elle, déterrer les figuiers en attente des ondées… mères de toutes les promesses..

Les mots tenant aux racines du ciel comme aux galets, à la craie et à la chaux comme empreinte d’absence. Foisonnants de colère comme une tribu en silence et file indienne. Ces mots ne cherchent pas sur nos lèvres le portail étrange, leur blanche chevelure, leurs nœuds tressés souffle à souffle. C’est un vent errant qui nous conte et dit la césure. A la trace, ces hommes faisaient de nous des parias, une chair avec la nuit noire.

Absurde ! Détestables murs, ma volonté sans cesse vous assiège. Je finirai un jour par entrer.

Se pourrait-il qu’ainsi entre mailles et filets, pour un peu, nous ne serons que des ombres?
Je ne peux plus distinguer que peu d’ombre. Peu de fougères pour mon lit, que rien n’arrachera à la terre, je suis plus éparse qu’elle pour ressouder mon cœur.

Entre les arbres, loin de l’aube. Si ce n’était que quelques mots parmi des mots, des vents parmi des vents comme l’espace d’un figuier à un autre, comme les lavandes au parfum diffus parmi tant d’autres, on ne pensera plus sa vie, son itinéraire, ses chemins , ses sentiers et pensées subtiles.

Patiemment, plus encore, avec patience, avec rage, avec fureur, faire maladroit, faire cavale, faire irruption, pas même ailleurs, juste là où la poussière se disperse pour ne laisser à la question qu’un rien de répit.
Vois-tu, recueille les youyous, disait-elle, les cris des oiseaux, les rires hilares des enfants, les murmures des sentiers, les balbutiements de ce qui ne se dira, ne se partagera. Y aurait-il des amandiers qui habiteront les mots? Y aurait-il des orangers qui habiteront les silences? Y aurait-il des dos qui se cabreront par tant d’oubli?

Il ne reste que ruine, ils ont tout
enterré. Avec mes yeux qui ne voient plus que faiblement
Là où on sombre, notre regard est grand, dans le chaos, dans la plainte et le plaisir d’avoir voulu à peine connaître le calme. Nous ne guérirons du feu ni de ses cendres, nous n’appartiendrons qu’aux calligraphies des vents. En vrac, aux élans des provisions que, seuls, nos yeux pouvaient emporter…

La lenteur, la lumière, l’argile, la terre fourbe, le calme criblé de remord, le glissement des nuits et les respirations des herbes, les raccourcis des étangs, les tremblements assombris des terres et le vent noueux, rien de sûr, ici et là. La terre deviendra-t-elle, eau dans nos veines, sur nos fronts de voyageurs? Béante blessure dans des yeux vides, autre que les cris.
Était-ce entre le rêve et son rêve, entre la réquisition du temps et celle des mots, celle du silence à en mourir?

En friche, de la naissance à la mort, au fond de nous et ce serait forfaiture, la calligraphie du vent nous demande silence et trace les courbes des murs. En nous tout a déjà eu lieu.

Dans nos mains libres des mots libres, des silence et des histoires. Tout était plus grand, quoique peut-être, plus petit, oublié, mûri, formes vides, mêlé, voiles, mâts, mers, tribus, amarres, nœuds, yeux hébétés, membres hagards vers le haut, vers le large, vers les berceaux des stèles, vers le haut du haut, vers l’austral de ce qui nous chuchote comme des bègues.

Avec des chaumes sur les chemins, dans les lits des cœurs muets, la trace des amas, des césures, des fiefs, des désamarres, des géographies depuis les rivières du ciel et les cils de l’exil. C’est là où demeure l’énigme et le quel? Glaise, lisière, douleur, sentence nocturne gravée au feu de ce qui lancine en nous, de sous les couches de nos hivers empilés, de sous nos belles saisons nocturnes à travers déserts et camps.

Être à guet, être en vigilance, en cadence du monde, plus rien ne s’écoulerait dans le sablier du temps avec le temps. Le rêve mêlé au rêve dans le lit de ce qui ne se fit qu’incertain, insidieux, improbable, de plus en plus, sans nom, de plus en plus en cendre noyée dans la pale rumeur verticale et luisante douleurs jouées aux dés, derrière nos mains comme pour endiguer d’autres usages fous.

On apprend à danser la nudité des lieux et des temps pour dire la préséance de la douleur ou de la joie, de cambrure en défaite, d’insoumission à des serments de brèves bâtardises. Tôt ou tard on échappera au roulis des incertitudes, aux branches tendues des fougères, rien de plus. Il n’y aura rien après.

Si. Si. Eraflures, figures où se rêve tout lieu, disait elle, tout cela me revient. N’est-il qu’un rêve, il se brisera très vite. Ma mémoire s’effiloche peu à peu. Il y aura peut-être, un temps, un jour, un nuage qui nous élira pour domicile pour être ce qu’on désire ….

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