Au diable l’hiver ; Dieu merci, c’est le printemps ! Les géraniums aux balcons font la nique aux saints de glace et les seins des filles débordent des balconnets pour tâter la douceur ambiante et chatouiller les yeux des garçons. Dans les parcs, les arbres ne comptent plus leurs fleurs et les amants sur les bancs content fleurette. Les chiens reniflent et ne se sentent plus et dans la mare, les canards se font des signes. Les silènes enflent, la sève monte. Même le ding-ding du tramway est un peu dingue…
– Dring…Dring…Dring…
– Allô ?
– Allô voisine, mon tube est en panne! Mon tube cathodique s’entend !
– J’entends bien, mais vous m’avez toujours prétendu que vous ne regardiez jamais la télévision, alors c’est quoi le problème ?
– Exceptionnellement ce soir, une fois n’est pas coutume, je voudrai s regarder un documentaire sur les bonobos, je les adore, j’ai toujours eu beaucoup de tendresse pour les singes, j’ai donc pensé à vous…
– Merci !
– Alors, je peux ?
– Exceptionnellement, solidarité oblige…à ce soir…
Les aiguilles ont tourné, le soleil s’est couché et a éteint sa bougie…s’allument les téléviseurs…
– Je vous laisse avec vos primates, je me retire dans la cuisine préparer des rouleaux de printemps, c’est de saison.
– J’adore !
– Ah ! Vous vous invitez aussi à souper ?
– Si vous insistez…
Sur l’écran plat, les bonobos s’agitent. Ils sont du genre libertaire. Cric-crac par ci, cric crac par là. C’est leur manière à eux d’éviter et de résoudre les conflits.
Dans la cuisine, elle verse de l’eau bouillante légèrement salée sur les vermicelles de riz. Cinq minutes plus tard, elle les passe à l’eau froide et les égoutte.
« La fréquence des rapports est exceptionnelle dans le règne animal. On peut parler de sexe convivial et de sociabilité excessive… »
– Vous avez entendu ?
Elle n’a pas entendu et trempe une galette de riz dans l’eau tiède quelques secondes, puis l’étale sur un linge. Au centre, elle pose une grande et tendre feuille de laitue, des vermicelles, des feuilles de menthe et de coriandre et deux crevettes roses décortiquées.
« Nos génotypes seraient semblables à 99 % »
– Vous avez entendu ?
Elle ne répond pas car le moment est délicat. Il faut habilement rouler la galette en rabattant les côtés pour enfermer la garniture et obtenir ainsi un beau rouleau de printemps qu’elle pose sur une assiette et recouvre d’un papier absorbant humide. On les accompagnera d’une sauce soja tout simplement ou aigre douce ou pour ne pas se compliquer la vie, une sauce dite «Hoi-sin »achetée toute prête et à laquelle on peut ajouter des arachides fraîches pilées.
– Un peu de sauce Hoi-sin ?
– Volontiers voisine. Exquis vos rouleaux !
– Et vos singes ?
– Je pourrais vous en parler toute la nuit !
– Je vous vois venir !
– On ne peut rien vous cacher !