Le terme «organisation non gouvernementale» (ONG) est apparu pour la première fois dans la Charte des Nations-Unies lors de sa création en 1945. Elle donne un rôle consultatif à des organisations qui ne relèvent, ni d’un gouvernement, ni d’un État, ni d’une institution internationale pour des questions de droits humains et d’initiatives humanitaires. Les ONG sont des organisations d’intérêt public mais d’initiative privée qui agissent dans un but non-lucratif sur des bases financières autonomes, et avec une indépendance politique. Elles réalisent des actions de solidarité, nationales ou internationales, dans les secteurs sociaux, économiques, culturels, sanitaires, humanitaires ou écologiques. Cette notion s’est largement diffusée en France dans les années 70, lors du conflit du Biafra fortement médiatisé, qui verra naître les Médecins Sans Frontières.
Historique
Bien que la notion ait à peine plus de 50 ans, l’action collective de solidarité bénévole envers un membre extérieur à son groupe (professionnel, ethnique, social, familial,…) existe depuis des siècles. Le monde religieux a été le premier à mettre en place des actions de charité envers les plus démunis. Créée en 1099 et encore actif aujourd’hui, l’Ordre de Malte est considéré par le politologue François Rubio 1 comme le plus vieil ancêtre des ONG à l’image d’autres œuvres hospitalières. Il possède en effet des visées médicale, caritative, humanitaire, outre les dimensions religieuse et militaire 2. Sa mission était notamment d’accompagner et de soigner les pèlerins en Terre Sainte. Au 18ème siècle, la mobilisation pour l’abolition de l’esclavage sera la première campagne à caractère international. Suivront les grandes campagnes pour la paix au 19ème siècle, la défense des droits civils et politiques dont la lutte pour le droit de vote des femmes. C’est aussi à cette époque que naît le Comité international de la Croix Rouge, à l’origine du droit international humanitaire. En 1873, l’Institut de Droit international est fondé à Gand par 11 internationalistes de renom pour développer le droit international et promouvoir son application indépendamment de toute influence gouvernementale. En 1905, nait à Chicago le Rotary pour promouvoir l’entente culturelle entre les peuples.
On estime qu’en 1914, il existait plus d’un millier d’ONG. Plus de 200 d’entre elles sont présentes à Paris lors des négociations de paix de la première guerre mondiale notamment pour revendiquer la mise en place d’une juridiction pénale internationale. Les ONG internationales ont été très actives en faveur du désarmement lors la Conférence mondiale de Genève de 1932 à 34. Ce qui n’évitera pas la seconde guerre mondiale. C’est alors que les ONG anglaises et américaines se mobiliseront pour secourir les populations européennes (Oxfam sera créée dans ce contexte). La guerre froide mettra un frein à l’action solidaire de la société civile dont les ONG. Le déclin du bloc soviétique et la décolonisation leur donneront un nouvel essor avec de nouveaux fronts: environnement, accès à l’eau, questions des brevets médicamenteux ou des semences, effets néfastes du libéralisme outrancier… Le “sans frontiérisme” et le droit d’ingérence humanitaire gagnent l’opinion publique exigeant un libre accès aux victimes de catastrophes dans le monde. L’antimondialisation offrira aux ONG leur second souffle, même les moins contestataires critiquent les effets néfastes du capitalisme outrancier. «Pourfendeurs de la mondialisation, les ONG en sont pourtant les principales
bénéficiaires: jamais les mouvements associatifs n’ont pu bénéficier de telles caisses de résonance, de tels moyens médiatiques et de communication pour faire entendre leur voix.» 3
Image de soi et action : un difficile équilibre
La mondialisation oblige les ONG à évoluer sur un difficile équilibre entre indépendance politique et nécessité de lobbying : il est presque devenu impensable de ne pas participer aux politiques internationales et de mettre des points aux agendas diplomatiques. Si les ONG ont bien sûr réussi à concrétiser des points «oubliés» ou des causes «secondaires» de rencontres politiques ou d’institutions internationales (Cour pénale internationale, interdiction des mines anti-personnel, protection internationale des droits des enfants, commerce équitable,…), elles ont aussi été contraintes de répondre à des demandes de celles-ci, principalement pour obtenir des fonds.
Aujourd’hui, rares sont les ONG qui correspondent encore à la forme initiale faite du bénévolat quasi-artisanal d’une poignée d’individus. Les ONG sont obligées, pour survivre, de proposer une expertise professionnalisée dans un champ d’action de plus en plus étendu.
La mondialisation a également modifié les formes de solidarité mises en place. La tendance n’est plus de sauver les miséreux (ou sa version soft : offrir «notre expertise» pour les aider à se développer). Aujourd’hui, en dehors des crises, les ONG tentent de tisser des liens durables entre ici et là-bas mais aussi en renforçant les réseaux de solidarité déjà existants dans ces pays (comme la solidarité villageoise, les microéconomies locales -tontines de femmes-,…). Dans le créneau mondialisé, l’image véhiculée est : «nous sommes tous citoyens du monde» et de ce fait égaux et solidaires. Mais ce message n’est pas souvent celui qui est le mieux reçu par la population qui se sent moins directement impliquée (et qui préfère souvent payer le poisson plutôt que de leur apprendre à pêcher). En Belgique, les dons vont majoritairement aux causes humanitaires et fonctionnent plus sur l’à-coup d’une réaction émotionnelle que suite à une réflexion rationnelle. Dès lors, les ONG font face aux tensions entre leur mode d’action et la nécessité d’une présentation qui donnera envie aux citoyens de dénouer les cordons de leur bourse.
Universalité
La rhétorique employée dans un contexte mondial n’est plus celle de classes exploitées ou de catégories sociales en souffrance mais celle de «victimes universelles» qu’il faut aider où qu’elles se trouvent sur la planète et qui ont droit à une mobilisation internationale. Ce discours s’appuie sur des référents universels comme les prix (Nobel), les déclarations internationales, les agendas onusiens (année pour les réfugiés, journée internationale de l’Eau..). La référence ultime étant la déclaration des droits de l’Homme : droit d’accès aux victimes, liberté d’information, droit à disposer d’un environnement sain… Les ONG visent à assurer les droits universels de tous les citoyens du monde mais également à en promouvoir de nouveaux (droit d’ingérence humanitaire ou écologique, droit de poursuivre les crimes contre l’Humanité…). Or cette représentation des droits universels est une vision occidentale issue de la révolution libérale faisant primer l’individu (le citoyen) et ses droits. Vouloir appliquer notre vision des droits individuels universels partout dans le monde est finalement une nouvelle version ethnocentrique de la solidarité.
Par ailleurs, dans ce monde globalisé, le paradigme du dialogue des cultures a été remplacé par celui de la sauvegarde de la diversité culturelle 4. La défense des modes de vie traditionnels des
peuples autochtones est une forme de résistance à la mondialisation soutenue par nombre d’ONG. Cependant, pour que leurs revendications émergent sur la scène internationale, ces peuples autochtones doivent correspondre à l’image que nous avons d’eux. C’est-à-dire des peuples vivant en harmonie avec la nature, dont la culture ancestrale n’a pas évolué (toute modernisation est vue comme dépravée) et remplie d’enseignements philosophiques. Les ONG participent généralement à l’élaboration de cette rhétorique «primitiviste» mêlant revendication foncière, respect de la sagesse ancestrale, protection de la nature et référence au sacré (Amérindiens du Grand Nord, Maoris de Nouvelle-Zélande, Indiens d’Amazonie,…) Ces représentations aujourd’hui mondialement diffusées transforment la vision que les groupes autochtones ont d’eux-mêmes ou du moins les obligent à endosser une image esthétique de l’altérité qu’ont les Occidentaux.
En conclusion, au vu des grosses machineries caritatives que sont devenues les ONG, elles sont moins transparentes et donc moins contrôlables. De plus, leurs représentations de l’Autre et les revendications universalisantes qui en découlent sont le produit d’un contexte sociohistorique particulier : celui de l’Occident moderne. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les formes de solidarité que les ONG occidentales mettent en place. Avec quelle efficacité et avec quelle légitimité agissent-elles ?
Notes:
- Interview de François Rubio. Communication sans frontières. Juin 2005. http://www.communicationsansfrontieres.net/interviews/11_parole.html ↩
- La dimension humanitaire a peu à peu émergé souvent au détriment de la dimension religieuse qui persiste néanmoins dans des ONG comme Caritas, Entraide ou Fraternité et qui resurgit fortement aujourd’hui dans des ONG islamiques ou islamistes. L’aspect militaire existe encore localement comme dans le Hamas par exemple. ↩
- « Les ONG et la mondialisation ». Sylvie Brunel. Conférence à l’Université de tous les savoirs. 2003.
http://www.africalib.eu/rubrique,les-ong-et-la-mondialisation,81865.html ↩ - Terme consacré par la Déclaration universelle de l’Unesco de 2001 sur la diversité culturelle et par la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. ↩