C4 : Pourriez-vous vous présenter ?
Michel Grommen: Je suis libraire, organisateur de ventes publiques de catalogues, de collections internet, de livres anciens, de manuscrits, de gravures, de tout ce qui est support papier.
C4 : Et vous êtes commissaire-priseur ?
M.G. : J’ai dû le devenir il y a quatre ans… les circonstances… On ne trouve plus de commissaires-priseurs. Comme je faisais des ventes, j’ai trouvé qu’il était plus simple de le faire moi-même.
C4 : En quoi consiste le métier ?
M.G. : Un commissaire priseur, c’est celui qui « dirige » les ventes publiques. Le mot « priseur » vient de « priser », qui est l’estimation d’une chose qui est destinée à la vente. La première vente aux enchères publique remonte à 146 avant JC. On parle donc d’un des plus vieux métiers du monde. Les prémisses des ventes publiques se situent à Rome, où on a commencé à vendre les trésors qui avaient été pillés en Grèce. Le terme de « commissaire-priseur» apparaît pour la première fois en 1713. Aujourd’hui en Belgique, le libraire commissaire-priseur est souvent livré à lui-même : c’est lui qui fait tout, depuis l’établissement du catalogue, la recherche des livres, l’estimation…
C4 : Il y a un diplôme, une reconnaissance ?
M.G. : En Belgique, non. En France, les commissaires priseurs étaient des agents de l’Etat (je crois que le système a changé), donc ils étaient soumis à des réglementations tout à fait particulières.
C4 : Donc, ici tout le monde peut se faire commissaire priseur?
M.G. : Absolument, à partir du moment vous vous inscrivez au Ministère des finances. C’est une profession qui est souvent liée à autre chose : on est antiquaire et commissaire priseur, libraire et commissaire priseur.
C4 : Est-ce qu’il y a des commissaires priseurs pour des reprises d’entreprises ?
M.G. : On peut être amené à saisir n’importe quelle occasion, mais en Belgique, on doit être accompagné d’un huissier qui représente l’Etat, qui garantit le côté légal. Tout un chacun peut s’installer comme commissaire priseur, voire comme « expert » commissaire priseur. Peu de gens le savent, mais «expert» est un titre qui n’est ni reconnu ni protégé en Belgique, tout le monde peut mettre « expert » sur sa carte de visite. Je ne l’ai jamais fait parce que je trouve ça inutile. On peut être expert en n’importe quoi, tandis qu’en France c’est réglementé.
C4 : Qu’est-ce qu’on gagne quand on est commissaire-priseur?
M.G. : Moi je ne gagne rien, mais je fais des économies en faisant les ventes moi-même, sans devoir engager un commissaire priseur. Un commissaire-priseurqui est engagé perçoit un salaire ou un pourcentage, ça dépend des accords conclus sur les ventes.
C4 : Est-ce que les ventes dont s’occupent les commissaires priseurs sont liées aux conditions sociales et historiques, à la crise par exemple ?
M.G. : La plupart sont des ventes volontaires, une personne vend volontairement, sans y être poussée par un quelconque problème. Il y a aussi les ventes involontaires, c’est-à-dire qui se font sous la responsabilité du libraire, par exemple. Il prend des pièces qu’on lui apporte pour des circonstances qu’il ne connait pas, problème d’argent par exemple, et qui sont mises en vente. C’est vrai qu’il y a un côté social quelque part….
C4 : Est-ce qu’il plus de ventes de ce type en temps de crise ?
M.G. : Il faudrait poser la question à mon huissier ! Mais il me semble, en effet, qu’il y a plus de ventes pour le moment.
C4 : Est-ce que vous recevez plus d’objets à vendre aujourd’hui qu’auparavant ?
M.G. : Oui, mais pour des raisons diverses. Il y a le social, et il y a la disparition du livre papier, avec internet. Et puis ensuite d’autres raisons qui sont annexes : on quitte une maison pour un appartement, etc. Des choses qui font partie de la vie.
Mais je reçois moins de marchandise de grande qualité. Moins les intérêts bancaires sont élevés, plus les gens vont garder comme valeur refuge les très belles choses. Finalement, les ventes publiques sont très liées à l’actualité sociale, politique et boursière.
C4 : Le papier, c’est une page tournée?
M.G. :C’est une page qui va se tourner par la force des choses. On a changé d’époque et internet a changé les donnes. Aujourd’hui, des livres des 17ème et 18ème siècles sont téléchargeables sur internet. On va devoir s’adapter mais je pense qu’il en est de même pour tous les métiers…
C4 : Vous êtes plutôt un libraire de collection. Est-ce qu’il n’y a pas là un marché qui s’ouvre avec la disparition du livre papier ?
M.G. : Le marché dépend du collectionneur. Moins il y a de collectionneurs moins il y a de marché. Et les collectionneurs changent, maintenant, on vend des bandes dessinées, on profite des anniversaires, les 100 ans d’untel, mais la crème retombe très vite. Là, on a vendu beaucoup de Simenon, mais quinze jours après les événements c’était terminé, plus personne n’en voulait. C’est une autre époque, il faut réagir vite. Je suis un peu largué, je suis de l’ancienne école…
C4 : Vous êtes libraire et commissaire-priseur, quels sont les autres métiers où il y a aussi des commissaires-priseurs ?
M.G. : Quand il y a lieu de faire des ventes publiques d’objets.
C4 : On peut vous demander de faire une vente de maison, à vous ?
M.G. : Non, je pense que ça passe par la maison des notaires.
C4 : Mais un notaire peut devenir commissaire-priseur?
M.G. : Oui, comme tout le monde ! Mais les notaires sont là pour vendre des maisons, l’immobilier, c’est leur partie. Pour les huissiers c’est plutôt une question de justice, ils doivent récupérer des sous au profit de quelqu’un d’autre, donc, ils essayent de vendre pour récupérer le plus de sous possible. Dans le cas des ventes que je réalise, l’huissier est payé au prorata sur la totalité de la vente, plus des taxes qui sont fixes. Sa présence sert à vérifier que tout se passe bien, et à trancher en cas de problème : quand deux mains se lèvent en même temps, c’est lui qui doit savoir laquelle s’est levée la première, sinon, il doit re-crier le livre. C’est lui qui fait un peu la police…
C4 : Il y a des cas ou un huissier a touché un magot?
M.G. : Comme il touche au prorata de la vente, sur des livres non… Sur la vente de tableaux, peut-être. Par exemple, sur une vente de 3 millions de franc belges, il y en a plus ou moins 60.000 qui sont à répartir selon des taux fixes entre l’Etat et l’huissier.
C4 : Quel est le profil les personnes qui viennent aux ventes publiques, et comment se passent-elles ?
M.G. :Ce sont des amateurs, par exemple quelqu’un qui a repéré un numéro dans le catalogue de la vente. Il vient pour acheter ce numéro là, qu’il cherche depuis des années. Le stress monte, et quand le numéro arrive, il faut absolument se battre. On est dans une position où il ne faut surtout pas que le voisin le prenne… En plus, on a ajouté au dernier moment des enchères téléphoniques, la possibilité pour les gens qui ne peuvent pas se déplacer de participer par téléphone Quand on voit quelqu’un, on peut le sentir, réagir, mais par téléphone c’est encore plus stressant. Il y a une ambiance, une fébrilité qui n’existe que dans ces moments-là. L’huissier se met sur l’estrade pour avoir une vue à 180° de la salle. Il voit un léger mouvement de tête, un index qui se lève légèrement sur un genou… L’amateur doit savoir repérer qui prend l’enchère suivante, en essayant de rester discret, ou il se met dans le fond de la salle… Et puis hop ! Il y a un petit doigt qui se lève… Ca fait partie du jeu, et nous, on doit essayer que tout se passe dans les règles. Et quand il y a le moindre problème, l’huissier est là pour dire « Allez, on recommence ! »
C4 : Comment expliquez-vous cette
fébrilité ?
M.G. : C’est propre au collectionneur, c’est l’envie de posséder quelque chose que l’autre n’aura pas. On peut imaginer quelqu’un qui a tout sur un écrivain sauf un titre, et il est là, il est à sa portée. Et il n’a que trois minutes pour l’acquérir… C’est une passion.
C4 : Vous allez parfois de l’autre côté de la barrière?
M.G. : Mais j’y suis régulièrement ! J’achète, mais avec une autre impression puisque je connais l’envers du rideau. Je pense qu’un autre métier qui conviendrait parfaitement à un commissaire-priseur, c’est celui de comédien. Parce que c’est du théâtre… Il faut jouer son rôle de commissaire-priseur, et essayer de rester neutre. Parce que les amateurs vous surveillent aussi, ils regardent si vous avez une hésitation, ils tentent de savoir à combien vous allez vous arrêter… Il y a un jeu qui est passionnant.