J’ai fait les poubelles avec un écologiste radical

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Il y a plusieurs manières d’aborder le problème des «fouille-poubelles ». On peut bien sûr se réfugier dans le ricanement et rappeler que le gourou de la secte Ecoovie, « l’initié indien » à l’accent québécois et aux multiples pseudonymes, envoyait lui aussi ses adeptes se nourrir de ce qu’ils trouvaient dans les poubelles, prônant un mode de vie préglaciaire – sauf en ce qui concerne les relations, très chaleureuses, avec les mineurs d’âge, ce qui valut à l’intéressé quelques déboires avec la justice. On peut au contraire considérer que les « déchétariens » posent de vraies questions sur nos modes de vie et notre participation à un système massivement tourné vers le gaspillage. Le film d’Agnès Varda « Le glaneur et la glaneuse » offre un exemple de réflexion subtile sur ce problème de la consommation.

Des marrons pour le bon larron

Depuis le moyen âge, une distinction sommaire s’est établie dans la conscience collective entre « bons » et « mauvais » pauvres, qui repose entièrement sur la question du « choix ». Une topique que la figure du Franciscain permet de déconstruire. Si l’adepte d’un ordre mendiant vit de l’aumône, c’est au nom d’une spiritualité qui, même dans une société laïque, sera acceptée (car Dieu mendie l’amour, etc.). Si toutes les religions prônent l’aumône aux pauvres et le partage avec les plus démunis, peu exaltent la mendicité, comme c’est le cas dans la règle de saint Dominique ou celle de saint François 1. De nos jours encore, on peut voir des Franciscains vivre selon ces préceptes. Dans les années 80, un documentaire de la RTB, intitulé « J’ai fait les poubelles avec un Franciscain », suivait ces hommes au foie solide qui se nourrissaient de restes trouvés çà et là. Ils font aujourd’hui figure de pionniers : ils faisaient les poubelles des fast-foods.

Jusqu’il y a peu, on pouvait, avec un peu de ténacité, se faire offrir les hamburgers restés de trop longues minutes sur l’étal des cuisines du Quick. Il suffisait d’attendre, de guetter le hamburger resté orphelin, de harceler le pauvre personnel de service, d’appeler le gérant en menaçant au besoin d’un esclandre, tant et si bien que, généralement, c’est le boss lui-même qui vous remettait votre pitance transgénique, en vous poussant du même geste vers la sortie. Depuis lors, la chaîne de restauration rapide a trouvé la parade : tout hamburger invendu après un certain temps est déclaré impropre à la consommation et, pour ne pas se faire voler ses déchets, ces denrées alimentaires sont jetées dans des conteneurs sous scellés. Certains magasins font garder les poubelles par des vigiles. Chez Aldi, ils sont encore plus radicaux : de l’eau de javel est jetée dans les conteneurs où sont jetés les aliments périmés. Aux Etats-Unis, des petits malins ont eu une idée plus lucrative : mettre aux enchères (pour les pauvres) la nourriture dont la date de péremption approche.

Les grandes marques et la grande distribution n’aiment pas qu’on parle de leurs déchets et des surplus alimentaires. 85.000 tonnes sont traitées chaque année à Flessingue (Zélande), dans une des plus importantes usines de retraitement, la Sita Food Recycling. Delhaize, qui, comme ses concurrents, refuse de communiquer sur les coûts du traitement de ces surplus, y enverrait 3500 t (la moitié selon eux), selon une enquête d’un journaliste de la RTBF pour le magasine « Question à la Une » (émission du 17 mai 2006). A 90 € la tonne, cela fait donc 315.000 €. A quoi il faut ajouter le manque à gagner, estimé à 1000 €/ t, soit 3,5 M €. Au total, 3,815 M €, à répercuter sur la facture du consommateur. Ces coûts représentent le transport, le déconditionnement, le tri, le compostage en boue organique, qui sera acheminée vers les usines qui la transformeront en énergie par biométhanisation.

Une erreur dans une ligne de production, une fin de série, une usine qui a fermé ses portes, un produit qui ne respecte pas les exigences de la marque,
les origines des « invendus » peuvent être nombreuses (outre le fait, bien sûr, de n’avoir pas trouvé preneur). Parmi les invendus, certains sont encore consommables. C’est pourquoi les responsables de cuisine des restaurants sociaux (style « Restos du cœur ») font leur récolte au Marché matinal de Bruxelles, ou des autres centres urbains, à la recherche des « déchets », les invendables. Et la grande distribution ? Elle donne, mais peu : entre 1 et 10% des invendus. Geste humanitaire ? Vu les coûts que l’on vient d’évoquer, cela permet surtout de faire des économies. Dont profitent les plus démunis, via les banques alimentaires. Il faut bien comprendre que pour les gérants des surfaces de distribution, les banques alimentaires sont des gâche-métiers, et les « freegans », de dangereux parasites. Plus il y a de déchets, plus la preuve est faite que la grande distribution gère mal ses stocks. Les filières de récupération des surplus alimentaires nous renvoient quotidiennement aux contradictions de notre société, tiraillé entre opulence et nécessité.

Nul plus que le grand cinéaste hollandais Joris Ivens ne les a dénoncées, ces contradictions. Lorsqu’en 1934 (déjà), il remonte le reportage qu’il a tourné pour le gouvernement néerlandais sur l’assèchement du Zuyderzee, hymne au travail humain qui permit d’arracher à la mer des kilomètres de terres arables, il est furieux. « Nieuwe gronden » (Nouvelles Terres), sur une musique de Hanns Eisler, sera enrichit de commentaires accusateurs, sur des plans d’actualité de la crise, des destructions des récoltes, des files de chômeurs, des enfants affamés, alternant avec les images des premières moissons du Wieringmeer qui, par sacs entiers, seront jetées à la mer.

En cabane pour une poubelle

Des « récupérateurs » ont décidé de ne pas attendre que les démocraties de marché mettent de l’ordre dans ce chaos organisé, qu’elles n’ont, après tout, peut-être pas tellement envie de déranger. Déchétariens ou franciscains, bobo choc ou SDF de tous les pays, tous se complaisent dans nos ordures. Mais est-ce légal de faire les poubelles ? Pas forcément. Un jeune Brugeois l’a appris à ses dépens. La chambre du conseil de Bruges a condamné en mars 2009 un SDF et militant vert à un mois de prison pour avoir «volé» de la nourriture périmée dans une poubelle d’un Delhaize de la région. (« Le Soir, 5 mars 2009) Le jeune homme de 28 ans avait été interpellé alors qu’il tentait de prendre la fuite à vélo après s’être « introduit dans une propriété privée ». Il avait nargué police et justice en refusant de révéler son identité, une attitude qui avait aussi singulièrement compliqué la tâche de son avocat, qui ignorait les coordonnées de son client…

Le juriste se plaira à rappeler que les poubelles ordinaires n’appartiennent plus à celui qui les a mises à la rue, et que n’importe qui peut donc ouvrir et fouiller les sacs et s’emparer du contenu qui l’intéresse. Les collectes sélectives ne jouissent pas du même regard des autorités, et on peut considérer que les vieux papiers ou vieux métaux n’ont pas été abandonnés mais offerts à l’intercommunale de collecte des immondices, et que vos vieux vêtements sont bien destinés à l’asbl Terre… En réalité, il n’y a pas de règles juridiques claires. A priori rien ne vous empêche de consulter le contenu des poubelles de vos voisins, pour autant de respecter la propriété privée, l’ordre public, etc. « Dans les années 80, le tribunal correctionnel de Bruxelles avait donné raison à un journaliste qui fouillait les poubelles à la recherche d’informations », lance Alain Martens, juriste de Bruxelles-Propreté (« Le Soir », 06 mars 2009). Car s’il faut mettre en cabane tout quidam qui ouvre un sac poubelle, il va falloir en construire des prisons. Et, à l’autre bout de la chaîne, réfléchissez bien quand vous jetez votre collection de vieux « Fluide glacial » à la poubelle (sac jaune, ne vous trompez pas). Ces subversifs magazines pourraient bien mener un inconnu tout droit en prison.

Notes:

  1. www.franciscainstoulouse.fr/fraternite/sujet_divers/iter/lacroix.htm

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