Un monde culturel très affecté
C’est ainsi que le quotidien de nombreuses structures se voit ébranlé du jour au lendemain. Parmi celles-ci, l’ASBL Panama, qui, notamment, organise de nombreux concerts au Belvédère à Namur. « L’ASBL fonctionne grâce aux nombreux bénévoles et aux trois personnes engagées grâce aux APE. Or, à cause de cette décision du Ministre Antoine, il nous sera impossible de financer ces trois employés sur fonds propres. On est au pied du mur ! Il est déjà certain que notre activité va fortement diminuer » explique Jean-François Flamey, coordinateur de l’ASBL. Face à cette problématique, certains n’hésitent pas à interpeller les autorités politiques, à l’image de Michel Debrulle, bénévole au sein de l’ASBL « Collectif du Lion » à Liège : « J’ai profité de la présence de Rudy Demotte à l’occasion de la conférence de presse de «Liège 2010, Métropole Culturelle » pour attirer son attention sur cette problématique des APE. Dans la mesure où Mr Demotte prône —à juste titre— la nécessité d’établir davantage de liens entre culture et économie, je l’ai interpellé sur le détricotage de la politique de Jean-Claude Marcourt opéré par le ministre Antoine. Un détricotage qui, de fait, fragilise les liens entre culture et économie. Dès lors,nous avons obtenu un rendez-vous avec un collaborateur de Monsieur Demotte, Joël Mathieu, spécialiste des matières culturelles. Nous nous y sommes rendus à trois, représentant respectivement les asbl «Collectif du Lion », « Jaune Orange » et «Espace 251 Nord», toutes trois concernées par le non-renouvellement ou la non-ouverture d’un poste APE. Au cours de l’entretien, un relevé dans le détail de chaque situation a été fait. Désormais, nous sommes dans l’expectative, mais nous savons pertinemment être nombreux dans ce cas-là, et l’entretien nous a renforcé dans la conviction selon laquelle l’attribution des APE est finalement un « fait du prince » qui relève de la seule décision du ministre. Il est difficile de cerner les conditions objectives qui président aux décisions d’octroi! ».
Conflit idéologique
Un monde de la culture qui gronde ne pouvait laisser indifférente la ministre de la culture à la Communauté française, Fadila Laanan. Son désaccord à l’égard de la politique menée par André Antoine atteste d’un manque de dialogue entre la Communauté française et la Région wallonne. Un représentant du «Collectif Jaune Orange », conglomérat musical liégeois lui aussi affecté par les récentes mesures, nous affirme : « Il n’y a vraiment pas de cohérence entre la Communauté et la Région à ce niveau. La Communauté française nous soutient, mais sans l’appui de la Région, elle ne peut pas véritablement nous aider ». En prenant un peu de hauteur, on se rend compte que le débat peut se déplacer à un niveau bien plus idéologique. En effet, pour Fadila Laanan, investir dans la culture permettrait, indirectement, d’importantes retombées sociales et économiques. Des propos que corrobore le représentant du « Collectif Jaune Orange »: « Le culturel crée beaucoup d’emplois, on ne s’en rend pas toujours bien compte. Par exemple, les concerts mobilisent de nombreux individus : personnes pour la sécurité, brasseurs… De plus, les organisations culturelles offrent différentes occasions à la population de se divertir, de se vider l’esprit… c’est aussi une conséquence sociale à ne pas négliger ». Pour Michel Debrulle, le lien entre la culture, le social et l’économie est évident : « Regardez des événements comme le festival d’Avignon, les Francofolies ou, à plus petite échelle, « Un éléphant dans la ville»… Ceux-ci génèrent énormément de travail et d’argent ». Et Jean-François Flamey de l’asbl Panama d’ajouter : « A Namur, sans exagérer, je ressens une crainte des Namurois au sujet de cette diminution d’activité au Belvédère. Cet endroit représente beaucoup pour eux ».
André Antoine, ennemi de la culture?
André Antoine est-il alors perçu comme le véritable
responsable de la situation dans le monde culturel ? La réponse est plus complexe. Ce qui est pointé du doigt, c’est l’incohérence du système politique belge. « Il faudrait plus de continuité entre les politiques de deux gouvernements se succédant » déclare le représentant du « Collectif Jaune Orange ». Ce dernier regrette cependant que le dialogue avec le ministre Antoine soit aussi difficile. En effet, la procédure veut que l’on passe par le médiateur de la Région wallonne : « Nous avons envoyé une lettre au médiateur à laquelle il n’a pas répondu. Nous avons envoyé une seconde lettre. Il nous a alors répondu que notre demande était traitée. Nous sommes toujours sans nouvelles depuis ». Michel Debrulle espère pour sa part une certaine logique dans les attributions financières : « On est conscients que d’autres domaines nécessitent de l’argent et nous respectons cela. Mais quand on voit que l’on donne des milliards à des investisseurs étrangers, on estime qu’il est cohérent que notre demande, bien moins importante en termes d’argent, soit prise en considération ».
Quelles solutions ?
Afin de surmonter ces problèmes, chaque association envisage différentes possibilités. En 2010, Liège est métropole culturelle. Une situation qui donne un certain espoir à Michel Debrulle : « Les décisions du Ministre Antoine de refuser le renouvellement ou la création de ces postes APE n’aide pas à l’expansion du développement de nos activités, et notamment dans le cadre de Liège 2010 qui représente un gros chantier pour lequel ces aides à l’emploi seraient tombées à point nommé. A présent, avec « 251 Nord » et «Jaune Orange », nous allons interpeller le Bourgmestre de Liège, Willy Demeyer, ainsi que les échevins Michel Firket et Jean-Pierre Hupkens, ce dernier ayant déjà accepté de soutenir officiellement nos démarches. » Du côté de l’ASBL Panama, la solution envisagée serait de se reconvertir dans l’éducation permanente. « A priori, l’éducation permanente, par exemple la création d’ateliers autour de la culture pour les jeunes, serait une possibilité. En diversifiant notre activité vers le domaine de l’éducation, on serait en effet susceptibles de pouvoir à nouveau recevoir des subventions APE. C’est d’ailleurs André Antoine lui-même qui a mentionné cette idée. Mais ce n’est qu’une possibilité. Nous devons encore nous réunir afin d’envisager toutes les alternatives. Ce qui est certain, c’est que l’on doit absolument revoir notre philosophie si on veut subsister ».
Complexité Belge
Il semble difficile de désigner un véritable responsable dans cette problématique entourant les APE, sinon la complexité et l’incohérence du système institutionnel belge. C’est du moins ce que semblent avancer les différents acteurs du monde culturel rencontrés. Cependant, la Belgique reste également une terre dite « de compromis ». Espérons donc que des accords seront trouvés afin que Liégeois, Namurois et autres puissent continuer à profiter de la vitalité de la vie culturelle wallonne.
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APE : kesako ?
Suite à un décret du 25 avril 2002, les A.P.E. ou Aides à la Promotion de l’Emploi, ont été créées afin d’harmoniser les différents systèmes de subvention existant à l’époque : T.C.T, P.R.I.M.E., F.B.I.E.,… Ces APE constituent une aide financière octroyée aux employeurs afin de subsidier partiellement la rémunération de travailleurs. Les APE permettent également une importante réduction des cotisations patronales de sécurité sociale. Cette aide est accordée sous forme de points (valeur actuelle du point : 2.813,29 €). Ces points varient en fonction des demandeurs d’emploi. En effet, l’aide accordée à l’employeur sera inversement proportionnelle à l’employabilité du demandeur d’emploi qu’il engage. Des facteurs comme la qualification, la durée d’inoccupation, l’âge… interviendront donc dans la désignation du nombre de points accordés. Les APE subventionnent des emplois dans le secteur associatif, dans les pouvoirs locaux (communes,
CPAS et provinces), dans l’enseignement et dans les entreprises qui développent des projets innovants.